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Una lingua da ritruvà, per truvà si ?



In Corsica, si parla à spessu di a ghjuventù, simbulu di sperenza è d'avvene. A vulemu curà, a vulemu sente. On se souvient d'une session de l'Assemblée de Corse qui évoquait "cette jeunesse qui, dans cette île comme partout en France, en Europe et dans le monde, est la prunelle de nos yeux", "une jeunesse dont nous devons préserver et renforcer le droit au bonheur". Mais qui se cache derrière cette catégorie générique ? Qui sont les jeunes en Corse ? À quoi aspirent-ils ? Comment s'efforcent-ils d'articuler leur construction personnelle et leur appartenance collective ? Pierre Luciani, jeune diplômé de Corte a accepté de partager son introspection et ses questionnements.



Denis Roche
Denis Roche
Qu’il est étrange de ne pas parler corse pour un jeune homme comme moi - aptitude pourtant nécessaire pour appartenir à une communauté dont j'aspirais à être le membre anonyme le plus fervent.
Elle était la logique qui animait ma quête d’identité personnelle au lycée, il n’y a pas si longtemps, une dizaine d'années tout au plus.

Cresce in Corsica, Esse Corsu ?

Né en Corse, de parents corses, avec un nom corse et héritier non pas d’un, mais de deux villages, je détenais les attributs essentiels qui scellaient mon appartenance à cette communauté. À mes propres yeux, bien sûr, mais surtout, et j’insiste sur ce point, aux yeux de mes congénères.

La Corse, territoire insulaire et faiblement peuplé, est soumise à des dynamiques sociales spécifiques liées à cette configuration démographique. À cette époque, j’avais identifié trois états d'existence pour un Corse :
- Une vie privée où le secret se fait fardeau, tant il est fragile face aux regards scrutateurs.
- Une vie officieuse, partagée entre quelques intimes, mais librement abandonnée aux élans imaginatifs des puttachjoni, ces faiseurs de légendes insulaires.
- Et une vie officielle, parée de diplômes et d’exploits, exhibée avec soin non pour inspirer le respect mais pour éveiller l’envie, car en Corse, plus qu’être honorable, il faut savoir se rendre désirable aux yeux de notre communauté.

J’en suis venu, logiquement, à admettre qu’un Corse, pour exister pleinement, avait besoin du regard approbateur de sa communauté, de ceux qu’il reconnaissait comme étant « des siens » et dont nul ne pouvait remettre en question l’appartenance incontestable à la “communauté corse”.
Appartenir à cette communauté me semblait une évidence, fondée moins sur une démonstration rationnelle que sur une intime conviction, nourrie par des attributs dont je n’étais que l’héritier. Je la percevais comme l’émanation naturelle de mon ancrage dans un ensemble social, historique et culturel. Dès l’instant où j’ai pris conscience de son existence, j’ai cru en son éternité, celle de la nation corse. À mes yeux de jeune Corse, elle était immuable dans son essence, unique et irremplaçable.
 
Comme tant d’autres jeunes femmes et jeunes hommes, j’ai pris sur mes épaules le poids de cette conscience nationale. J’aurais pu naître ailleurs, à une autre époque, et une suite d’événements fortuits, sur lesquels je n’avais aucune prise, a fait de moi un Corse, un Corse du XXIᵉ siècle.
Paradoxalement, c’est en prenant la pleine mesure du caractère aléatoire et volatile de mon appartenance que j’ai choisi de m’y ancrer. Entre fatalité et résignation, je n’avais pas décidé d’être corse : le destin l’avait décidé pour moi. J’aurais pu renier mes origines, me détacher de tout enracinement et me forger une identité affranchie de toute appartenance. Pourtant, j’ai fait un choix : celui d’exister en tant que Corse.
 
Vient alors la quête d’un jeune homme, plus un enfant mais presque un adulte, vers sa culture, le sens profond des traditions auquel je participais et dont j’assurais par ma simple présence la transmission, accompagner de l’ambition suprême : la maîtrise de la langue. Si naturelle pour les anciens, si belle dans la bouche des chanteurs, mais si rare au quotidien.
Le raisonnement est personnel mais il n'en reste pas moins puissant ; en tant que Corse, je devais apprendre la langue corse.

Vulè amparà per capisce è per esse

J’en garde des souvenirs encore vifs, non pas seulement des événements passés, mais d’une douleur plus insidieuse : une honte profonde qui me paralysait. Je restais en retrait, le regard fuyant, accablé de ne pouvoir converser avec les anciens, rongé d’envie devant ces prodiges qui avaient eu la chance d’apprendre le corse.
C’était un sentiment d’exclusion, un vertige face à la vacuité de ma présence lorsque, enfant, j’accompagnais mon père au village. Cet homme, d’une normalité évidente, détenait pourtant une clé, une appartenance pleine et entière à un monde dont j’étais exclu dès la naissance: A LINGUA MATERNA.
 
Choix malencontreux de mes parents, partagé par des milliers de semblables à travers l'île, ne pas parler Corse aux enfants.
Ces “innocents” qui construisent leurs identités personnelles et leurs personnalités par le concours des événements aléatoires qu’ils subissent et les choix délibérés de ceux qui font leurs éducations.
Plus tard j’ai compris que j'étais tributaire d’un jugement collectif, bien plus ancien que ma conception.
Nos ancêtres immédiats ont nourri nos parents d’un imaginaire collectif calamiteux à l’égard de leur propre culture. Bercés par un sentiment collectif de dépréciation des voies de développement insulaire, sentiment qui n’a jamais été aussi prégnant que durant les Trente Glorieuses, cette ère du capitalisme triomphant où les Corses ont vu s’imposer l’idée que leur mode de vie traditionnel, l’usu paisanu, était un frein évident au progrès de l’île et à leur développement personnel.
 
À cela s’ajoutait le traumatisme de l’occupation italienne de 1943, transmis par ceux qui l’avaient vécu. Ainsi, la langue corse, les usages et les pratiques ancestrales n’étaient plus perçus que comme des vestiges d’un passé encore existant mais condamné à disparaître. S'éloigner signifiait alors renoncer à toute marque d’identité culturelle commune, s’arracher à cet héritage jugé archaïque, pour ne pas dire nocif, pour gravir les échelons sociaux que le continent, perçu comme sain et développé, semblait offrir aux âmes audacieuses.
Cette relation schizophrénique avec ce qui faisait d’eux des "Corses" a logiquement cédé la place à une époque de déclin culturel. Ce n’est que grâce au Riacquistu et aux âmes engagées dans ce mouvement qu’il a été possible de freiner cet effacement et de réhabiliter la langue corse.

Preghera per a lingua corsa - è per me

Moi, simple enfant de mes parents et de cette histoire singulière, j’ignorais encore les enjeux qui entouraient la sauvegarde de la langue. Je les vivais, j’y participais, je les éprouvais sans en mesurer pleinement la portée. Je grandissais, imprégné de cette réalité, et ce n’est que plus tard que j’ai compris les tenants et aboutissants de cette lutte, dont la pratique de la langue corse me semble un acte de résistance moteur.
 À mes yeux, la définition d’un Corse ne saurait se réduire à une simple acceptation de ses racines, à la possession d’une tombe au village ou à une question de couleur de peau. Cette vision réductrice, limitée et raciste, pourrait d’ailleurs s’appliquer à n’importe quelle communauté européenne, et même au-delà, noyée dans un océan de similitudes, sans qu’aucun véritable nationalisme ou sentiment d’appartenance unique à une communauté clairement identifiée ne puisse en émerger.
 Si la maîtrise de la langue corse ne suffit pas à définir un Corse, elle demeure un élément essentiel. Son apprentissage, sa transmission et son usage dans l’ensemble des sphères de la société constitueraient l’aboutissement d’une société Corse assumée et apaisée, pleinement inclusive, je dirais même : intégratrice.
 
Que la langue corse irrigue l’ensemble des pans de la société insulaire.
Que la langue corse soit le moteur de cette fameuse “machine à faire des Corses”.
Que la langue corse coalise des ensembles de personnes marginalisées.
Que la langue corse permette à chacun d’affirmer son identité personnelle, sans jamais la brimer ni l’effacer.
 
Ce que les membres du FLNC désignaient comme une « communauté de destin » repose sur une idée simple : toute personne qui se reconnaît comme partie intégrante de la société corse — ce que je considère comme les forces vives de l’île — et qui est animée par un projet politique commun.
Un projet dont l’objectif ultime serait la reconnaissance officielle de cette communauté, de notre peuple, et l’obtention de dispositions légales spécifiques, propres à notre identité collective. Un projet porté dans l’intérêt des Corses, pour leur bonheur, leur bien-être et leur avenir. Dunque un prughjettu ancu per mè è per tè !

 
Dimanche 2 Mars 2025
Pierre Luciani


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