Robba
 



Sur l’avenir énergétique de la Corse



Après un premier article où il racontait les débuts de l'énergie solaire en Corse, Georges Guironnet aborde ici les enjeux énergétiques d'aujourd'hui et de demain, en montrant bien qu'ils ne sont pas seulement environnementaux mais aussi économiques et sociaux. Les choix énergétiques sont bien -eux aussi- des choix de société.



Antonio Segui, 1983
Antonio Segui, 1983
En matière de stratégie énergétique, c’est un double discours particulièrement pervers qui a prévalu en Corse ces trente dernières années : d’un côté, on proclamait un soutien aux Energies Nouvelles et Renouvelables, de l’autre côté, on décidait en parallèle d’implanter des moyens de production thermiques aussi archaïques que la centrale au fioul lourd du Vazzio imposée contre toutes les volontés et les décisions de toutes les structures officielles et associatives. Difficile de faire plus éloquent !
Et les conséquences ne sont pas moins parlantes : au scandale de la pollution s’ajoute la gabegie de la note -de l’ordre de 6 à 7 milliards d’euros depuis sa création. A la qualité de l’air très médiocre que l’on subit au quotidien s’ajoutent donc plus de 200 millions d’euros de péréquation (compensation du surcoût prix de revient/prix de vente identique au Continent du Kwh) qui partent chaque année en fumée, détruisant au passage notre santé et contribuant au dérèglement climatique.
Pourtant oui, il est possible d’avoir rapidement une balance énergétique équilibrée voire positive dans l’île. La recherche d’autonomie totale n’étant guère pertinente en revanche, car nous devons être reliés au réseau européen pour des raisons évidentes de mutualisation, de partage des moyens et de débouchés pour notre production.
 

L’urgence et les leçons du contexte international

Pour l’instant les énergies fossiles bénéficient encore du double de subventions accordées aux ENR. L’actuelle guerre en Ukraine –qui comme tous les conflits trouve son origine dans les énergies fossiles, soit pour leur extraction, soit pour leur acheminement apportera sans doute comme toutes les guerres des sauts technologiques en matière d’énergie. La Grande guerre légua le moteur à explosion terrestre, maritime et aérien, espérons que celle-ci démontre l’importance des sources d'énergies locales et renouvelables et apporte une contribution au Progrès.
Jusqu’alors, la mésinformation continue d’occulter l’écart de coûts très en faveur des énergies locales et renouvelables. Pourtant, le coût de l’électricité produite dans le monde avec des sources renouvelables est actuellement de 4,5 centimes le Kwh, contre 9 centimes le Kwh avec des sources fossiles (pétrole, gaz, uranium, charbon), soit le double avec en prime les conséquences que l’on commence à connaître. Cet écart continuera de s’accroître car le développement des énergies renouvelables bénéficie de progrès technologiques constants et d’énormes économies d’échelle, alors que les ressources fossiles se raréfient, sont de plus en plus difficiles à extraire et coûteuses à exploiter. A titre d’exemple, le prix des panneaux photovoltaïques a été divisé par 50 depuis le début de mon activité professionnelle, au début des années 1980.

L’actualité démontre toujours plus les effets de notre dépendance aux énergies fossiles sur tous les plans politique, économique, social, environnemental. Elle entraîne aussi des ‘’vocations’’, voire de l’opportunisme. Il convient néanmoins d’être extrêmement vigilants sur des solutions semblant vertueuses, mais trompeuses comme les biocarburants. Essentiellement issus de cultures intensives, ils sont directement en conflit d’usage des sols avec l’alimentation, demandent beaucoup d’eau, d’engrais chimiques eux-mêmes d’origine fossile. Un seul exemple : la variation du cours du colza qui suit et même dépasse celui du pétrole.
Nous sommes au début de magnifiques chantiers. Tout reste à faire en prenant garde de sortir de l’ébriété énergétique héritée des Trente glorieuses. Cette ébriété nous aveugle et trouble nos analyses pour prendre les bonnes décisions à partir d’éléments évidents, humains, de bon sens, préexistants à la domination de l’ère thermo-industrielle.
En Corse comme ailleurs, pour changer de trajectoire, il faut commencer par réduire la consommation d’énergie en général, et d’électricité en particulier, alors même que les usages de celle-ci augmentent.

Réduire la consommation d’énergie dans le secteur du bâtiment

Un des premiers objectifs est de réduire de façon drastique la consommation dans le bâtiment, qui représente 40% de la consommation. C’est l’enjeu du programme de rénovation des maisons individuelles ORELI mis en place par l’AUE. Malgré l’énorme travail de conception réalisé en amont par les équipes de l’AUE, nous restons hélas très très loin des objectifs par manque cruel d’acteurs techniques compétents. Les entreprises préfèrent la construction neuve plus facile et plus rentable. Elles ne viendront jamais de leur propre initiative à la rénovation thermique qui leur demande des compétences trop subtiles et une mise en œuvre plus délicate. Il convient de monter un programme spécifique de formation avec une politique de soutien à la hauteur des enjeux d’économie d’énergie mais aussi de santé publique et de justice sociale.

L’Agence de l’Urbanisme et de l’Energie de la CdC met en place un programme de sensibilisation et de formation avec la mise à disposition de kits de mesures pour une meilleure connaissance des relations températures : consommation, des appels à projets de rénovation de bâtiments publics qui doivent montrer l’exemple. Il n’en reste pas moins que sans entreprises compétentes, qui appliquent des tarifs raisonnables, ces rénovations resteront marginales encore très longtemps.

Pourtant, en plus d’éviter un énorme gaspillage et de redonner du pouvoir d’achat, la suppression des passoires énergétiques contribue à offrir une meilleure santé, à réduire la violence sociale. Sur les moyens de financements, Il faut savoir que ce n’est pas avec les économies faites sur les consommations que l’on financera les rénovations mais sur la plus-value du bien. Donc à terme sur la transmission ou la cession. Parmi les bâtiments neufs qui sortent de terre, combien sont aujourd’hui à haute qualité environnementale, passifs, à énergie positive, ou relèvent de l’architecture frugale ? Aucun ou presque. Ce sont des normes à imposer car il est inconcevable de permettre d’aggraver encore l’épuisement des ressources, de permettre à certains de faire des bénéfices en laissant la dette à nos enfants.
 

Réduire la consommation d’énergie dans le secteur des transports

Il faut avoir conscience que notre potentiel de production est immense : soleil, vent, eau, biomasse sont surabondants chez nous et ont fait leurs preuves partout dans le monde -ici à moindre échelle. Il faut les développer en les mariant, en les « mixant » grâce aux Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication qui ont connu des progrès fulgurants en moins d’une décennie.
Comme souvent néanmoins, le frein principal relève de l’inertie des habitudes, de la difficile acceptation des changements. Nous devons donc accepter des inconvénients souvent mineurs, très inférieurs en tout cas aux avantages qu’ils offrent. Nous n’avons pas encore la pleine conscience des conséquences dramatiques du réchauffement climatique, dû en très grande partie à l’utilisation et aux gaspillages de l’énergie carbonée. Nous avons raté ce virage dans les années 1990. Alors que la Corse avait une avance importante, il fallait passer au développement à grande échelle, c’était possible.(cf Robba). Les décideurs locaux et nationaux ont préféré le ronronnement des habitudes et des relations amicales et carbonées…

Maintenant, les nouvelles technologies permettent une gestion infiniment plus précise et efficace, tant des moyens de production, de stockage, que de distribution. Les développements des énergies locales 2.0 sont exponentiels comme le démontre le dernier ouvrage de Jérémy Rifkin Le New deal vert mondial. L’hydrogène, vecteur énergétique prometteur pour la mobilité et l’industrie, doit être ‘’vert’’.
La technologie de l’hydrogène est ancienne. Il y a déjà une vingtaine d’années lors d’une édition du Festiventu, j’ai eu l’occasion de rouler dans un taxi anglais d’un genre particulier : la seule émission de sa pile à combustible était de la vapeur d’eau. Là encore, c’est la source de l’énergie pour produire l’hydrogène qui doit être locale et renouvelable. Les chercheurs du Centre de Vignola en ont fait la démonstration à petite échelle, depuis près de 10 ans. Il convient de passer à l’étape industrielle, ici et maintenant. Les flottes captives de véhicules autour de points de production, l’électrification des bateaux à quai sont des réalisations à portée de main.

C’est une question de volonté politique : il faut s’approprier nos ressources, monter des structures collectives, d’intérêt commun afin que les bénéfices restent en Corse au profit de tous. Il est temps de sortir de la Guerre du feu générant conflits et malheurs en remplaçant ce système archaïque, centralisé issu du XVIIIe siècle, avec des consommateurs captifs qui s’appauvrissent. Il est temps d’imaginer et de construire un modèle économique adapté à nos sources d’énergie, locales, gratuites, bien réparties sur toute la Corse. Les énergies renouvelables -soleil, vent, eau, biomasse- sont des biens communs, générateur d’emplois locaux, d’équité. Ils doivent être exploités, valorisés de façon commune. La meilleure façon de lutter contre la pauvreté c’est de créer de la richesse, à condition de la partager. Avec les énergies locales, renouvelables, gratuites, c’est possible si nous faisons preuve d’imagination, de générosité, et le décidons ensemble, aujourd’hui, ici, maintenant.    
 

Cet article complète le témoignage de Georges Guironnet sur l'aventure du solaire en Corse, à lire ici

 
Dimanche 24 Juillet 2022
Georges Guironnet


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