John Minton, Corsican Landscape
Vous vous émerveillez des rondeurs arborées de mes flancs mais combien d’entre vous ne savent pas différencier le hêtre du sureau, le chêne vert et l’acacia. Sur les sentiers, vous cueillez l’asphodèle, le genêt, l’immortelle, la lavande et le thym mais les vertus curatives des plantes vous demeurent inconnues. Vous vous abreuvez des brumes qui, montées du rivage, épousent mes plis et courent sur mes crêtes, mais vous n’entendez pas le craquement des bois morts dans le lit de la rivière, ni le cri des libellules qui ont soif. Vous contemplez au dîner le lever des lunes rousses sur la mer qui habillent d’or liquide la pointe des vagues avant d’éclairer la montagne, mais vous vous plaignez des méduses qui vous empêchent de descendre à la plage. Et vous prétendez m’aimer ?
Le rouge-gorge et le merle s’enrouent, les martinets ne reviendront peut-être pas au printemps, la chouette chevêche qui ponctue de son chant métronome vos soirées d’été mourra bientôt et vous faites comme si vous ne le saviez pas. Quel genre d’amoureux êtes-vous donc pour vous intéresser si peu à moi ? Vous n’entendez plus le murmure de la cascade qui enchantait hier encore vos réveils après avoir bercé vos nuits d’été et cela vous rend triste ? Apprenez-le nom de ce chagrin-là : il s’appelle oubli.
Vous avez sculpté pendant des siècles des terrasses de pierre sur mes pentes pour retenir l’eau des pluies. En s’infiltrant dans le sol, elle le fécondait. Les blocs de schiste verts et bleus veinés de quartz prélevés dans le maquis se prêtant bien à la taille, vous en faisiez les murs de vos vergers, de vos vignes, de vos bergeries, de vos moulins et aussi ceux de vos maisons. Nous vivions alors en connivence. Vous me rendiez ce que je vous donnais. Vous saviez comment retarder l’érosion de mes roches, nettoyer la rivière, tailler les châtaigniers, récolter et presser les olives, cueillir les mandarines et les citrons. Partageant les secrets de mes sources et de mes cours d’eau, connaissant le tracé de mes courbes et la profondeur de mes creux, vous les avez baptisés en lien avec leur topographie, leur personnalité solaire, ombreuse : Petra Cavata, Lenzole, Casella, Aghja à u Monte, Ponte à Noce, Petra Noce, Monti Falati, Lovaca… mais aujourd’hui ces noms-là ne vous disent plus rien de moi. Vous m’avez ensemencé de mots que vous avez laissé pourrir. Et vous prétendez m’aimer ?
Habitants de la vallée de Lota, écoutez le silence de la cascade de Forci pour entendre les pleurs des pierres qui se fendent et compatissez à la détresse des hérissons, des tortues, des papillons, des abeilles, c’est la vôtre demain. Entretenez mon goût pour l’abondance et vos figuiers l’été prochain vous donneront plus de fruits qu’ils ne vous en accordent cette année, vos citrons muriront cet hiver et à la Toussaint vous pourrez offrir à vos morts la dernière fleur cueillie dans vos jardins.
Donnez-moi les moyens de me défendre contre la brutalité de votre oubli et j’accepterai votre amour.
Le rouge-gorge et le merle s’enrouent, les martinets ne reviendront peut-être pas au printemps, la chouette chevêche qui ponctue de son chant métronome vos soirées d’été mourra bientôt et vous faites comme si vous ne le saviez pas. Quel genre d’amoureux êtes-vous donc pour vous intéresser si peu à moi ? Vous n’entendez plus le murmure de la cascade qui enchantait hier encore vos réveils après avoir bercé vos nuits d’été et cela vous rend triste ? Apprenez-le nom de ce chagrin-là : il s’appelle oubli.
Vous avez sculpté pendant des siècles des terrasses de pierre sur mes pentes pour retenir l’eau des pluies. En s’infiltrant dans le sol, elle le fécondait. Les blocs de schiste verts et bleus veinés de quartz prélevés dans le maquis se prêtant bien à la taille, vous en faisiez les murs de vos vergers, de vos vignes, de vos bergeries, de vos moulins et aussi ceux de vos maisons. Nous vivions alors en connivence. Vous me rendiez ce que je vous donnais. Vous saviez comment retarder l’érosion de mes roches, nettoyer la rivière, tailler les châtaigniers, récolter et presser les olives, cueillir les mandarines et les citrons. Partageant les secrets de mes sources et de mes cours d’eau, connaissant le tracé de mes courbes et la profondeur de mes creux, vous les avez baptisés en lien avec leur topographie, leur personnalité solaire, ombreuse : Petra Cavata, Lenzole, Casella, Aghja à u Monte, Ponte à Noce, Petra Noce, Monti Falati, Lovaca… mais aujourd’hui ces noms-là ne vous disent plus rien de moi. Vous m’avez ensemencé de mots que vous avez laissé pourrir. Et vous prétendez m’aimer ?
Habitants de la vallée de Lota, écoutez le silence de la cascade de Forci pour entendre les pleurs des pierres qui se fendent et compatissez à la détresse des hérissons, des tortues, des papillons, des abeilles, c’est la vôtre demain. Entretenez mon goût pour l’abondance et vos figuiers l’été prochain vous donneront plus de fruits qu’ils ne vous en accordent cette année, vos citrons muriront cet hiver et à la Toussaint vous pourrez offrir à vos morts la dernière fleur cueillie dans vos jardins.
Donnez-moi les moyens de me défendre contre la brutalité de votre oubli et j’accepterai votre amour.