Le développement d’une économie de service en Corse, liée notamment au tourisme, pose question notamment en terme de maintien et de renforcement de la place occupée par l’artisanat, l’industrie. Dans un contexte marqué par des dépendances fortes liées à l’insularité, le chemin vers une plus grande autonomie productive semble pourtant se dessiner. Nous prenons ici le cas des productions issues de l’élevage (ovin-caprin), activité structurante en Corse mais dont la fonction est trop souvent associée à sa seule production laitière.
Spécialisation et globalisation : un appauvrissement des économies territoriales
Lorsque la spécialisation professionnelle de l’élevage s’est substituée à l’agriculture familiale, il y a eu des conséquences aussi sur les « fonctions » associées aux animaux. L’économie ovine et caprine laitière telle qu’on la connaît aujourd’hui s’est construite tout au long du XXe siècle, avec un tournant dans les années 1900 marqué par l’industrialisation de la production avec l’apparition de Roquefort dans le paysage productif insulaire[1].
Aux sociétés pastorales succède ainsi une nouvelle figure sociale, « l’éleveur », dont le travail est piloté par le développement du progrès technique. Dans cette trajectoire, la spécialisation laitière tournée vers la production de fromages à la typicité reconnue, va progressivement écarter la prise en compte de ce que l’on appelle aujourd’hui les « co-produits » : laine, peaux et cornes. Dans une société traditionnelle marquée par l’autosubsistance, toutes les ressources étaient optimisées. La laine était utilisée pour l’élaboration de matelas ou de vêtements comme en témoigne l’importance du travail de tissage dans le Niolu. La corne était quant à elle employée principalement par les bergers pour la réalisation de manches de couteaux utilisés dans le cadre du travail agricole (abattage, curage, vannerie, etc.). Cette valorisation de ressources plurielles était alors étroitement liée à la structure communautaire de la société et la dimension collective des activités de production, aujourd’hui largement écartée au profit d’une individualisation du métier d’agriculteur.
Or, si la spécialisation de l’élevage est l’une des causes de l’abandon de ces usages, il convient aussi d’insister sur l’incidence d’un modèle économique globalisé[2], dans lequel chaque bassin de production est en concurrence directe avec des territoires parfois très lointains. Le secteur du textile a d’une part été progressivement marqué par l’utilisation de matériaux synthétiques issus de la pétrochimie (polyester), alors que l’utilisation de la laine dans l’habillement s’est principalement tournée vers la race mérinos, élevée en Australie, Nouvelle-Zélande ainsi qu’en Amérique du Sud. Les artisans qui subsistent se sont ainsi bien souvent convertis à cette laine, souvent au détriment de l’usage des toisons locales offrant des performances techniques moindres (la qualité des laines est appréciée en microns et les laines corses sont dites « jarreuses », contrairement aux laines mérinos qui offrent plus de finesse).
On peut aussi en ce sens citer le cas de la corne, auparavant utilisée par les bergers pour élaborer leurs manches de couteaux. La professionnalisation du secteur de la coutellerie à l’échelle mondiale a engendré une désappropriation entière de ces savoirs au prix bien souvent d’une usurpation des codes de la coutellerie insulaire comme en témoigne le couteau Vendetta. Elaboré principalement à Thiers ainsi que sur le continent asiatique, il reflète les effets néfastes d’une mondialisation imparfaite déconstruisant l’attachement au lieu d’une création au profit de l’industrialisation[3]. Chez les artisans, la nouvelle génération a su se réapproprier la tradition coutelière, mais il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui le secteur de l’approvisionnement est largement dominé par des grossistes spécialisés, offrant une gamme de matériaux très hétérogènes, dont la corne, importée d’Afrique du Nord est revendue entière ou sous forme de plaquettes.
Aux sociétés pastorales succède ainsi une nouvelle figure sociale, « l’éleveur », dont le travail est piloté par le développement du progrès technique. Dans cette trajectoire, la spécialisation laitière tournée vers la production de fromages à la typicité reconnue, va progressivement écarter la prise en compte de ce que l’on appelle aujourd’hui les « co-produits » : laine, peaux et cornes. Dans une société traditionnelle marquée par l’autosubsistance, toutes les ressources étaient optimisées. La laine était utilisée pour l’élaboration de matelas ou de vêtements comme en témoigne l’importance du travail de tissage dans le Niolu. La corne était quant à elle employée principalement par les bergers pour la réalisation de manches de couteaux utilisés dans le cadre du travail agricole (abattage, curage, vannerie, etc.). Cette valorisation de ressources plurielles était alors étroitement liée à la structure communautaire de la société et la dimension collective des activités de production, aujourd’hui largement écartée au profit d’une individualisation du métier d’agriculteur.
Or, si la spécialisation de l’élevage est l’une des causes de l’abandon de ces usages, il convient aussi d’insister sur l’incidence d’un modèle économique globalisé[2], dans lequel chaque bassin de production est en concurrence directe avec des territoires parfois très lointains. Le secteur du textile a d’une part été progressivement marqué par l’utilisation de matériaux synthétiques issus de la pétrochimie (polyester), alors que l’utilisation de la laine dans l’habillement s’est principalement tournée vers la race mérinos, élevée en Australie, Nouvelle-Zélande ainsi qu’en Amérique du Sud. Les artisans qui subsistent se sont ainsi bien souvent convertis à cette laine, souvent au détriment de l’usage des toisons locales offrant des performances techniques moindres (la qualité des laines est appréciée en microns et les laines corses sont dites « jarreuses », contrairement aux laines mérinos qui offrent plus de finesse).
On peut aussi en ce sens citer le cas de la corne, auparavant utilisée par les bergers pour élaborer leurs manches de couteaux. La professionnalisation du secteur de la coutellerie à l’échelle mondiale a engendré une désappropriation entière de ces savoirs au prix bien souvent d’une usurpation des codes de la coutellerie insulaire comme en témoigne le couteau Vendetta. Elaboré principalement à Thiers ainsi que sur le continent asiatique, il reflète les effets néfastes d’une mondialisation imparfaite déconstruisant l’attachement au lieu d’une création au profit de l’industrialisation[3]. Chez les artisans, la nouvelle génération a su se réapproprier la tradition coutelière, mais il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui le secteur de l’approvisionnement est largement dominé par des grossistes spécialisés, offrant une gamme de matériaux très hétérogènes, dont la corne, importée d’Afrique du Nord est revendue entière ou sous forme de plaquettes.
[1] Delfosse, C., & Prost, J. A. (1998). Transmission et appropriation des savoirs fromagers: un siècle de relations entre industriels de Roquefort et transformateurs corses. Ruralia. Sciences sociales et mondes ruraux contemporains, (02).
[2] Pecqueur, B. (2006). Le tournant territorial de l'économie globale. Espaces et sociétés, (1), 17-32.
[3] Dans un article daté du 9 juin 2021, les couteliers de Laguiole ont manifesté leur opposition vis-à-vis des contrefaçons en organisant une opération de destruction des imitations. L’absence de reconnaissance officielle du couteau laguiole a donné lieu à l’industrialisation de sa production aujourd’hui largement mondialisée, question qui se pose en des termes semblables pour la Corse.
Du déchet à la circularité : vers un renouvellement du rapport aux ressources
L’incidence de ces changements est significative sur notre rapport à l’économie puisque dans ces conditions, ces co-produits sont bien souvent devenus des déchets[1]. De nombreux éleveurs brûlent ainsi leur laine après la tonte, ce qui est le cas en Corse, où le prix de la matière ne parvient pas à rémunérer un chantier de tonte, et ce alors même que la « Tundera » demeure encore très ancrée culturellement. Dans le cas de la corne, les carcasses d’animaux issues de la valorisation bouchère ou de l’équarrissage dans le cas des animaux de réforme, sont destinés à l’élimination, participant alors à la qualification des cornes en tant que déchets dans la réglementation communautaire. La destruction est ici privilégiée au ré-usage bien que ces matériaux disposent de propriétés fonctionnelles pouvant participer à leur incorporation dans un tissu économique comme celui de l’artisanat ou aujourd’hui de l’industrie. Mais cet abandon tient aussi au déficit des équipements structurants que l’on retrouve dans différents secteurs. En effet très peu d’infrastructures permettent d’intégrer localement les étapes de transformation ce qui est le cas par exemple pour la laine (lavage, filage), les peaux (tannage), ainsi que les cornes (abattoirs). Se pose ainsi la question dans certains cas de délocaliser une partie des activités comme en Sardaigne qui dispose d’infrastructures dédiées la transformation de la laine[2]. À ce titre la coopération interrégionale est l’une des voie entreprises notamment dans le cadre du projet Défi Laine à l’échelle de la Grande région, permettant de structurer une filière à l’échelle de plusieurs États. C’est aussi la voie entreprise dans le cas du collectif pour la sauvegarde de la race Brigasque (Alpes du Sud), dont les laines brutes sont expédiées en Sardaigne (Tessile Crabolu ) où elle est travaillée pour en faire des tapis revendus localement.
L’émergence de préoccupations en faveur du développement durable dans les années 1970 est venue sensibiliser la société à ces questions. Pour autant, le débat est longtemps resté orienté vers la préservation des ressources naturelles biologiques dans une acception environnementaliste. Si les modèles économiques y sont questionnés, il s’agit bien souvent d’en mesurer l’impact en termes de pollution (air, eau, sol, etc.), plutôt que de penser une alternative au mode de développement du moment. Aujourd’hui l’économie circulaire offre un cadre d’appréciation et d’analyse fécond pour analyser conjointement industrie et écologie. Son fondement s’appuie sur le célèbre adage de Lavoisier, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », et a donné lieu depuis à une réelle appropriation politique et sociétale, tout d’abord popularisé par la fondation MacArthur, puis relayé par des politiques publiques, et aujourd’hui à l’agenda des recherches de nombreux établissements scientifiques. La théorie du bouclage des flux influence le cheminement de ce concept en considérant que les déchets d’une activité peuvent être considérés comme des ressources pour d’autres activités. C’est ce qui a donné lieu à de nombreux travaux sur la symbiose de Kalundborg étudiée au Danemark dans le cas d’une ville portuaire[3]. Ces travaux, longtemps réalisés à des échelles telles que les éco-parcs industriels, trouvent aujourd’hui un élargissement de leur champ d’application à d’autres secteurs comme l’agriculture et l’élevage permettant ainsi d’intégrer la dimension territoriale [4]. Cet engouement est aussi sous-tendu par le développement et la promotion de la bioéconomie. Le secteur productif est aujourd’hui largement encouragé à se renouveler notamment en terme de sourcing et d’approvisionnement en matières premières. On parle ainsi de bioéconomie pour définir un modèle dans lequel est encouragée l’utilisation de matériaux biosourcés, dont les caractéristiques sont à la fois associées à leur neutralité carbone, issues de ressources renouvelables, et prioritairement d’un bassin local de production[5].
L’émergence de préoccupations en faveur du développement durable dans les années 1970 est venue sensibiliser la société à ces questions. Pour autant, le débat est longtemps resté orienté vers la préservation des ressources naturelles biologiques dans une acception environnementaliste. Si les modèles économiques y sont questionnés, il s’agit bien souvent d’en mesurer l’impact en termes de pollution (air, eau, sol, etc.), plutôt que de penser une alternative au mode de développement du moment. Aujourd’hui l’économie circulaire offre un cadre d’appréciation et d’analyse fécond pour analyser conjointement industrie et écologie. Son fondement s’appuie sur le célèbre adage de Lavoisier, « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », et a donné lieu depuis à une réelle appropriation politique et sociétale, tout d’abord popularisé par la fondation MacArthur, puis relayé par des politiques publiques, et aujourd’hui à l’agenda des recherches de nombreux établissements scientifiques. La théorie du bouclage des flux influence le cheminement de ce concept en considérant que les déchets d’une activité peuvent être considérés comme des ressources pour d’autres activités. C’est ce qui a donné lieu à de nombreux travaux sur la symbiose de Kalundborg étudiée au Danemark dans le cas d’une ville portuaire[3]. Ces travaux, longtemps réalisés à des échelles telles que les éco-parcs industriels, trouvent aujourd’hui un élargissement de leur champ d’application à d’autres secteurs comme l’agriculture et l’élevage permettant ainsi d’intégrer la dimension territoriale [4]. Cet engouement est aussi sous-tendu par le développement et la promotion de la bioéconomie. Le secteur productif est aujourd’hui largement encouragé à se renouveler notamment en terme de sourcing et d’approvisionnement en matières premières. On parle ainsi de bioéconomie pour définir un modèle dans lequel est encouragée l’utilisation de matériaux biosourcés, dont les caractéristiques sont à la fois associées à leur neutralité carbone, issues de ressources renouvelables, et prioritairement d’un bassin local de production[5].
[1] Un déchet correspond à tout matériau, substance ou produit qui a été jeté ou abandonné car il n’a plus d’utilisation précise.
[2] Plusieurs coopérations interrégionales sont en cours aujourd’hui, développées au travers des programmes INTERREG afin d’encourager des synergies entre régions transfrontalières (Lanaland, Défi Laine).
[3] Erkman, S. (2001). L'écologie industrielle, une stratégie de développement. Le débat, (1), 106-121.
[4] Niang, A., Bourdin, S., & Torre, A. (2020). L’économie circulaire, quels enjeux de développement pour les territoires?. Développement durable et territoires. Économie, géographie, politique, droit, sociologie, 11(1).
[5] À terme, l’évaluation environnementale des biens de consommation peut induire des effets discriminants pour certains matériaux ne remplissant pas ces exigences, comme c’est déjà le cas dans le secteur du bâtiment (RT 2020).
Réappropriation et hybridation, quand la matière se réinvente
Plusieurs démarches émergent aujourd’hui en faveur de la redynamisation de ces matériaux oubliés. Le syndicat des couteliers de la Corse a initié depuis 2015 une démarche de labélisation qui fixe un certain nombre de standards associés à la création coutelière. S’il n’y a pas pour l’heure de restrictions quant à la provenance des matières premières, la charte encourage à l’utilisation des cornes issues des cheptels insulaires[1]. En effet leur emploi est mobilisé de manière à conforter l’ancrage territorial de la production, véhiculant une articulation à l’identité pastorale de la Corse. Les couteliers, en mobilisant les cornes locales, établissent une filiation socioculturelle avec le monde de l’élevage, manifestant ainsi la promotion de qualités externes au produit, associées au lieu. Cela relève de la qualification du lien à l’origine dans le cas de l’artisanat, qui ne peut s’appuyer comme dans le cas des productions agro-alimentaires sur des dimensions agronomiques ou zootechniques (variétés, races, cépages, etc.).
La laine connaît aussi un engouement renouvelé auprès de plusieurs créateurs qui souhaitent s’engager dans une dynamique de revalorisation des toisons locales. C’est une trajectoire que l’on connaît dans différentes régions françaises marquées elles aussi par un engouement en faveur de la proximité (Ardelaine, Laines paysannes, Raiolaine), engagée initialement en Corse par l’entreprise Lana Corsa dans les années 1980. Parmi les dimensions mobilisées, la spécificité de la race corse, offrant une diversité de couleurs (Bianca, Nera, Rossa) est mobilisée afin de différencier les productions, limitant l’usage des teintures synthétiques. On constate aussi un investissement en faveur du renouvellement des usages, introduisant de nouvelles fonctions technologiques comme l’extraction de la lanoline à destination du secteur cosmétique[2], ou encore son aptitude dans des applications liées au bâtiment et ce en faveur de l’écoconstruction[3].
Réhabiliter la place de ces matériaux dans la conception ne peut se faire qu’au prix d’une réactualisation de la tradition. En effet, si les approches culturalistes ont tendance à figer et muséifier les techniques et le rapport à la matière, l’hybridation en revanche semble une voie ouverte afin de perpétuer un lien à l’histoire tout en s’adaptant aux usages contemporains. Les expériences menées au sein du Palazzu Naziunale à Corte témoignent de ces possibles adaptations. La résidence Fabbrica Design consacrée à la laine a ainsi permis de découvrir un rapport nouveau à la matière, qui s’est matérialisé par l’élaboration de pièces innovantes (housse d’ordinateur, chaussures, etc.). Tandis que dans le cadre d’un workshop Manu & Ciarbellu, le traditionnel couteau « Cornicciolu » a pu être revisité en conservant l’esprit de la forme et ses matériaux d’origine tout en proposant de nouveaux usages comme la réalisation d’un tire-bouchon[4]. Ces trajectoires empruntent aux régimes des indications géographiques un certain nombre de proximités quant au lien à l’origine, ce qui a donné lieu à un élargissement aux produits industriels et manufacturés. Pour autant, ce nouveau régime juridique ne fixe pas d’exigences spécifiques quant à la provenance des matériaux, au profit d’une approche qui semble plus axée sur les savoir-faire et l’historicité. La tapisserie d’Aubusson est révélatrice de ces enjeux puisque bien que bénéficiant d’une IG PIA (Indication Géographique Produits Industriels et Artisanaux), la provenance des laines n’est pas un critère discriminant d’appartenance à ce dispositif. La question se pose en Corse puisque les couteliers se projettent vers l’élaboration d’un cahier des charges dans lequel les sources d’approvisionnement en matériaux peuvent donner lieu à la cohabitation de deux logiques parfois contradictoires.
La laine connaît aussi un engouement renouvelé auprès de plusieurs créateurs qui souhaitent s’engager dans une dynamique de revalorisation des toisons locales. C’est une trajectoire que l’on connaît dans différentes régions françaises marquées elles aussi par un engouement en faveur de la proximité (Ardelaine, Laines paysannes, Raiolaine), engagée initialement en Corse par l’entreprise Lana Corsa dans les années 1980. Parmi les dimensions mobilisées, la spécificité de la race corse, offrant une diversité de couleurs (Bianca, Nera, Rossa) est mobilisée afin de différencier les productions, limitant l’usage des teintures synthétiques. On constate aussi un investissement en faveur du renouvellement des usages, introduisant de nouvelles fonctions technologiques comme l’extraction de la lanoline à destination du secteur cosmétique[2], ou encore son aptitude dans des applications liées au bâtiment et ce en faveur de l’écoconstruction[3].
Réhabiliter la place de ces matériaux dans la conception ne peut se faire qu’au prix d’une réactualisation de la tradition. En effet, si les approches culturalistes ont tendance à figer et muséifier les techniques et le rapport à la matière, l’hybridation en revanche semble une voie ouverte afin de perpétuer un lien à l’histoire tout en s’adaptant aux usages contemporains. Les expériences menées au sein du Palazzu Naziunale à Corte témoignent de ces possibles adaptations. La résidence Fabbrica Design consacrée à la laine a ainsi permis de découvrir un rapport nouveau à la matière, qui s’est matérialisé par l’élaboration de pièces innovantes (housse d’ordinateur, chaussures, etc.). Tandis que dans le cadre d’un workshop Manu & Ciarbellu, le traditionnel couteau « Cornicciolu » a pu être revisité en conservant l’esprit de la forme et ses matériaux d’origine tout en proposant de nouveaux usages comme la réalisation d’un tire-bouchon[4]. Ces trajectoires empruntent aux régimes des indications géographiques un certain nombre de proximités quant au lien à l’origine, ce qui a donné lieu à un élargissement aux produits industriels et manufacturés. Pour autant, ce nouveau régime juridique ne fixe pas d’exigences spécifiques quant à la provenance des matériaux, au profit d’une approche qui semble plus axée sur les savoir-faire et l’historicité. La tapisserie d’Aubusson est révélatrice de ces enjeux puisque bien que bénéficiant d’une IG PIA (Indication Géographique Produits Industriels et Artisanaux), la provenance des laines n’est pas un critère discriminant d’appartenance à ce dispositif. La question se pose en Corse puisque les couteliers se projettent vers l’élaboration d’un cahier des charges dans lequel les sources d’approvisionnement en matériaux peuvent donner lieu à la cohabitation de deux logiques parfois contradictoires.
[1] Pour l’instant les abattoirs ne disposent pas des équipements nécessaires afin de traiter les cornes dans des conditions sanitaires telles qu’exigées par la nomenclature sur les déchets de catégorie 2.
[2] Guillaume Costa, étudiant Pépite, met en œuvre des expérimentations en vue de l’extraction de la lanoline au sein de l’Université de Corse.
[3] L’école d’ingénieur Paoli Tech a encadré deux stagiaires ayant réalisé des essais techniques sur la laine corse en collaboration avec l’association Casgiu Casanu.
[4] Workshop Manu & Ciarbellu, Jean-Dominique Susini et Fanny Muller.
Conclusion
Ce travail renvoie à une dimension importante des travaux de recherche conduits en géographie, traitant des déterminants de l’organisation spatiale des activités de production. Une des voies majeures de développement empruntée depuis les années 1990 est associée au concept de terroir, faisant référence à la spécificité des produits liée à leur origine. On connaît ce modèle avec le régime juridique des indications géographiques qui a été largement diffusé en Corse dans de nombreux secteurs de l’agro-alimentaire. Pour autant, ce modèle semble aujourd’hui remis en question en raison de la spécialisation induite des activités de production qui peut être en contradiction avec les enjeux de circularité. S’il est en mesure de répondre à certaines préoccupations en faveur du localisme, de l’ancrage territorial des productions, il n’intègre pas nécessairement les enjeux de multifonctionnalité. Dans les cas étudiés, il s’agit d’encourager les synergies de production entre activités localisées, où la matière issue de certaines activités qui n’en assurent pas la valorisation constitue une ressource pour des secteurs périphériques. On voit ici en effet que des interactions fécondes se nouent entre l’élevage et l’artisanat au travers des sous-produits, supposant d’apprécier le métabolisme territorial comme un système d’échange de flux d’énergie et de matière à l’échelle d’un territoire, qui en renforce l’autonomie productive.
Pour aller plus loin
Bonnefont, M., Tempier, A., Balzer, S., Simoni, M., & Pons, Y. (2015). Le poids du tourisme dans l'économie corse. Editions de l’INSEE.
Flori F. (1982). Filà è Tesse, les techniques du tissage en Corse, Études Corses, 18-19.
Flori F. (1982). Filà è Tesse, les techniques du tissage en Corse, Études Corses, 18-19.