Propeller-driven trains, 1936
Dans nos deux premières chroniques, nous avons appelé à une nouvelle affirmation de notre corsitude. Celle-ci doit tout à la fois prendre en compte nos invariants géographiques (une île si particulière...) et nos tendances historiques multi-séculaires (latinité, relations avec la France...) et plus récentes (un développement plein de contradictions depuis les années 1960).
Cette affirmation est d'autant plus nécessaire que, partout dans le monde, comme en Corse, la vie collective paraît manquer de sens. Nous employons ici ce mot dans son double... sens : avec le recul des grandes idéologies la vie collective paraît manquer de signification, mais aussi de direction quant à son évolution probable et surtout souhaitable.
Certes, le destin du peuple corse - l'ensemble des résidents de l'île et de toutes celles et de tous ceux de la diaspora qui s'en sentent solidaires - ne peut se concevoir indépendamment de celui des ensembles plus vastes qui englobent notre île (la France, la Méditerranée, l'Europe, le monde...) et il nous faut donc participer à la réflexion générale à ces différents niveaux, mais il nous faut conjointement réfléchir sur ce qui est plus particulièrement possible et souhaitable pour ce peuple corse.
Une question de méthode
Pour mener cette salutaire réflexion collective, trois précautions méthodologiques paraissent nécessaires :
- La première concerne l'horizon souhaitable de cette réflexion collective. Nous proposons qu'elle englobe les huit décennies qui restent pour compléter notre siècle. Nous avancerons pour cela deux raisons :
la première est que cet horizon 2100 est déjà celui de tous les modèles prospectifs les plus sérieux dans le domaine climatique comme dans le domaine démographique : or, ces deux domaines conditionnent à l'évidence toute définition de notre destin pour le reste du siècle. La seconde raison est que 80 ans correspond précisément à l'espérance de vie actuelle. Or, la réflexion que nous appelons de nos vœux ne trouve sa légitimité que si elle concerne au premier chef les nouvelles générations qui auront à vivre et à assumer les résultats de l'ensemble de nos choix collectifs.
- La seconde précaution concerne la nature des perspectives que l'on dessine : ne retenant que le souhaitable, entendons-nous écrire une nouvelle utopie, peut-être rassurante, à moins que sa dimension illusoire ne la rende décourageante ?
Ou, au contraire, doit-on céder à l'air du temps, vicié par un pessimisme radical qui conduit à n'envisager que des scenarii dystopiques ? Nous soutenons plutôt que dans un univers chaotique, où dominent les dynamiques non linéaires, les devenirs sont imprédictibles et qu'il faut donc adopter une démarche a-topique ou, si on préfère, dialectique : toutes les nouvelles mutations qui viendront impacter la société corse dans ce siècle, par exemple la numérisation croissante ou encore les migrations, comportent évidemment des aspects positifs et négatifs. C'est justement là que nos "battements d’ailes" de papillon peuvent tenter de privilégier les premiers et d'écarter les seconds. Encore faut-il que, collectivement, nous ayons su les discerner, car s'il est vrai que l'humanité écrit le plus souvent l'histoire, la plupart du temps, elle ne sait pas laquelle.
- La première concerne l'horizon souhaitable de cette réflexion collective. Nous proposons qu'elle englobe les huit décennies qui restent pour compléter notre siècle. Nous avancerons pour cela deux raisons :
la première est que cet horizon 2100 est déjà celui de tous les modèles prospectifs les plus sérieux dans le domaine climatique comme dans le domaine démographique : or, ces deux domaines conditionnent à l'évidence toute définition de notre destin pour le reste du siècle. La seconde raison est que 80 ans correspond précisément à l'espérance de vie actuelle. Or, la réflexion que nous appelons de nos vœux ne trouve sa légitimité que si elle concerne au premier chef les nouvelles générations qui auront à vivre et à assumer les résultats de l'ensemble de nos choix collectifs.
- La seconde précaution concerne la nature des perspectives que l'on dessine : ne retenant que le souhaitable, entendons-nous écrire une nouvelle utopie, peut-être rassurante, à moins que sa dimension illusoire ne la rende décourageante ?
Ou, au contraire, doit-on céder à l'air du temps, vicié par un pessimisme radical qui conduit à n'envisager que des scenarii dystopiques ? Nous soutenons plutôt que dans un univers chaotique, où dominent les dynamiques non linéaires, les devenirs sont imprédictibles et qu'il faut donc adopter une démarche a-topique ou, si on préfère, dialectique : toutes les nouvelles mutations qui viendront impacter la société corse dans ce siècle, par exemple la numérisation croissante ou encore les migrations, comportent évidemment des aspects positifs et négatifs. C'est justement là que nos "battements d’ailes" de papillon peuvent tenter de privilégier les premiers et d'écarter les seconds. Encore faut-il que, collectivement, nous ayons su les discerner, car s'il est vrai que l'humanité écrit le plus souvent l'histoire, la plupart du temps, elle ne sait pas laquelle.
Enfin, il nous faudra nous souvenir, comme nous le suggérions dans notre première chronique que la Corse n'est pas l'île de Pâques, tellement perdue au milieu des océans que ses habitants avaient finalement pu se croire seuls au monde. Nous sommes, au contraire une (relativement) petite île continentale qui ne peut choisir son destin que dans la plus grande conscience de ce qui l'entoure : une France, une Méditerranée, une Europe, un monde, en pleine crise de civilisation. A chacun de ces niveaux, se redéfinit la place respective des trois grandes forces que la sociologie depuis Emile Durkheim et l'anthropologie avec David Graeber, désignent comme essentielles à la définition et à l'évolution de toutes les sociétés humaines:
- l'esprit de communauté ;
- le pouvoir hiérarchique ;
- les catégories marchandes.
Prendre en compte la démarchandisation
Qui ne voit que, partout dans le monde, depuis au moins deux siècles, ces dernières étaient devenues de plus en plus hégémoniques, consacrant le "règne de la marchandise"?
Mais, moins directement perceptible, il nous semble que le dernier demi-siècle marque des signes de son déclin, dont la financiarisation à outrance, de moins en moins régulée, apparaissait comme une (ultime ?) fuite en avant. Si l'argent demeure roi, n'est-il pas temps de passer d'une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle ? Dans l'ordre politique, à la fin du XVIIIe siècle, il ne fallut pas moins d'une révolution pour passer de l'une à l'autre... Pour sortir des multiples crises particulières (économiques, sociales, écologiques, culturelles, géopolitiques...) qui constituent cette crise globale de civilisation ne faut-il pas retenir l'hypothèse d'une démarchandisation tendancielle de nos sociétés contemporaines ? Ou, si on préfère, d'une décélération de l'histoire, plutôt que de sa perpétuelle accélération ?
Nous avons bien conscience du caractère iconoclaste de cette dernière interrogation.
C'est pourquoi notre prochaine chronique s'efforcera de montrer que, depuis le milieu des années 1960, les grandes tendances démographiques et économiques du monde, en d'autres termes, le développement des forces productives, ont connu une grande inflexion, abandonnant leur croissance exponentielle pour un freinage logistique, qui débouche sur une stagnation séculaire, voire une décroissance contrainte, si elle n'est pas choisie : face à ces perspectives sans précédent, comment pourrait et devrait réagir le peuple corse, jusque-là aux prises avec le mal-développement, où la spéculation tend à tout corrompre ?
Mais, moins directement perceptible, il nous semble que le dernier demi-siècle marque des signes de son déclin, dont la financiarisation à outrance, de moins en moins régulée, apparaissait comme une (ultime ?) fuite en avant. Si l'argent demeure roi, n'est-il pas temps de passer d'une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle ? Dans l'ordre politique, à la fin du XVIIIe siècle, il ne fallut pas moins d'une révolution pour passer de l'une à l'autre... Pour sortir des multiples crises particulières (économiques, sociales, écologiques, culturelles, géopolitiques...) qui constituent cette crise globale de civilisation ne faut-il pas retenir l'hypothèse d'une démarchandisation tendancielle de nos sociétés contemporaines ? Ou, si on préfère, d'une décélération de l'histoire, plutôt que de sa perpétuelle accélération ?
Nous avons bien conscience du caractère iconoclaste de cette dernière interrogation.
C'est pourquoi notre prochaine chronique s'efforcera de montrer que, depuis le milieu des années 1960, les grandes tendances démographiques et économiques du monde, en d'autres termes, le développement des forces productives, ont connu une grande inflexion, abandonnant leur croissance exponentielle pour un freinage logistique, qui débouche sur une stagnation séculaire, voire une décroissance contrainte, si elle n'est pas choisie : face à ces perspectives sans précédent, comment pourrait et devrait réagir le peuple corse, jusque-là aux prises avec le mal-développement, où la spéculation tend à tout corrompre ?