La société du spectacle, Guy Debord, 1973
Oui, il faut avoir un certain âge pour savoir qui était Claude Sautet … ce cinéaste des années 1980, qui de César et Rosalie à Max et les ferrailleurs, en passant par Vincent, François, Paul et les autres, raconte les incertitudes et les tourments de l’époque, à travers des histoires douces-amères de personnages attachants, dont les amitiés viriles sous-tendent la narration : pudeur, solidarité, fidélité, tendresse ne sont pas les moindres de leurs qualités ! Et même, quand des personnages féminins forts et lumineux viennent traverser l’histoire, l’amitié garde les codes que l’on attribue à celles des hommes : pudeur, solidarité, fidélité, tendresse…ce qui n’exclut pas la force des sentiments, ni chez les unes, ni chez les autres.
Ces personnages de Sautet, nous les avons aimés, ils ont été nos amis, ou nous avons rêvé d’être les leurs… Pas encore bobos, déjà gauchos, urbains, nous les connaissions au-delà de l’écran et nous partagions avec eux une intimité pour le moins familière, puisqu’elle ne pouvait être familiale.
En ce temps-là le président s’appelait François Mitterrand, et même si un jeune humoriste appelé Thierry Le Luron le brocardait férocement, il continuait à s’appeler François Mitterrand, ni Fanfan, ni Fanou… Charlie Hebdo pouvait se moquer de ses ennuis de prostate, et un chanteur de variétés, Daniel Balavoine, pouvait lui dire son fait, sans ambages, sur un plateau de télévision : il restait François Mitterrand, celui dont le regard aussi bien que la voix vous tenaient à distance.
Ces personnages de Sautet, nous les avons aimés, ils ont été nos amis, ou nous avons rêvé d’être les leurs… Pas encore bobos, déjà gauchos, urbains, nous les connaissions au-delà de l’écran et nous partagions avec eux une intimité pour le moins familière, puisqu’elle ne pouvait être familiale.
En ce temps-là le président s’appelait François Mitterrand, et même si un jeune humoriste appelé Thierry Le Luron le brocardait férocement, il continuait à s’appeler François Mitterrand, ni Fanfan, ni Fanou… Charlie Hebdo pouvait se moquer de ses ennuis de prostate, et un chanteur de variétés, Daniel Balavoine, pouvait lui dire son fait, sans ambages, sur un plateau de télévision : il restait François Mitterrand, celui dont le regard aussi bien que la voix vous tenaient à distance.
Il faudra attendre un certain Nicolas pour passer de l’autre côté du miroir, et partager les peines de cœur de l’homme de l’Elysée. De Mitterrand, nous ne savions pas qu’il menait une double vie, car nous n’avions pas encore pris l’habitude de soulever les jupons de la République. A la télévision, Michel Polac animait des débats houleux et enfumés, au Tribunal des Flagrants Délires, Luis Rego réglait son compte à Le Pen, et un certain Pierre Desproges fracassait tout ce qui semblait confit dans la respectabilité et le conformisme.
Chez nous, le Statut Particulier faisait ses premiers pas, et si on s’était permis un « Prosper Yop là Boum ! » pour surnommer le premier président de la première Assemblée de Corse, il fallait y voir du sarcasme plus que de la familiarité !
I Storti sévissaient à la télévision, et à la radio I Scrianzati déchiquetaient de leurs mignonnes dents tous ceux qui avaient pignon sur rue, les politiques bien sûr, et d’une façon générale les notables : l’Establishment nustrale !
Les débats étaient vifs, ils furent même parfois zébrés d’éclairs tragiques, mais les idées s’entrechoquaient, se mêlaient, s’emmêlaient, se défaisaient, rebondissaient en un mouvement tectonique, et ce, quel que soit le public : que l’auditoire soit nombreux, ou qu’il soit réduit aux membres d’une association ou d’une section syndicale, le débat était toujours là, sous-jacent, nécessaire comme un préalable à l’action.
Chez nous, le Statut Particulier faisait ses premiers pas, et si on s’était permis un « Prosper Yop là Boum ! » pour surnommer le premier président de la première Assemblée de Corse, il fallait y voir du sarcasme plus que de la familiarité !
I Storti sévissaient à la télévision, et à la radio I Scrianzati déchiquetaient de leurs mignonnes dents tous ceux qui avaient pignon sur rue, les politiques bien sûr, et d’une façon générale les notables : l’Establishment nustrale !
Les débats étaient vifs, ils furent même parfois zébrés d’éclairs tragiques, mais les idées s’entrechoquaient, se mêlaient, s’emmêlaient, se défaisaient, rebondissaient en un mouvement tectonique, et ce, quel que soit le public : que l’auditoire soit nombreux, ou qu’il soit réduit aux membres d’une association ou d’une section syndicale, le débat était toujours là, sous-jacent, nécessaire comme un préalable à l’action.
E oghje ?
Aujourd’hui Sautet est mort, et nous n’avons plus besoin de ses héros de fiction, car les histoires d’amitié virile développées dans ses films, nous les vivons chaque jour avec nos politiques. Pourquoi ? Sans doute parce que nous les avons vus grandir quand nous n’avons pas grandi avec eux… Parce que nous les voyons chaque jour, et même plusieurs fois par jour : chaque jour, sur nos téléphones, sur nos tablettes, sur nos ordinateurs, via Facebook, Instagram ou Twitter, nous les voyons, nous les entendons, ils nous disent en temps réel où ils sont, ce qu’ils pensent, ce qu’ils éprouvent, comment ils sont reçus… etc. Souvent, nous les voyons plus que les membres de nos propres familles ! Se développe ainsi avec eux une intimité, une vraie familiarité : d’où l’emploi systématique de leurs prénoms, d’où le recours complice aux diminutifs, d’où une surenchère justifiée par le désir d’appartenir à la même communauté.
En effet, dans notre société du paraître, il est de bon ton d’être informé, de savoir, ou au moins de le laisser croire. Ceci nous permet d’appartenir au cercle vertigineux des amis, peut-être plus justement, des amis d’amis, parfois plus sûrement encore, des amis d’amis, d’amis inconnus ! Bref, de quoi aurions-nous l’air si, à aucun moment, nous n’étions capables de dire d’un air entendu : « Gilles a dit…ou Jean-Fé a dit, ou Jean-Cri, ou Nanette ! » Et qui on est ?
Cette intimité partagée sur les « réseaux sociaux », virtuels, ou pas dans notre société de proximité, s’accompagne évidemment d’une empathie qui va toucher toutes les strates de l’entourage de nos hommes…et de notre femme ! On va (on veut ?) tout savoir, sur lui, sur elle, sur ses enfants, sur sa belle-mère, sur son canari, sur son poisson rouge…
Dans ce contexte, le débat démocratique va rapidement s’effriter : « Il a l’air fatigué ! » ; « Il est contrarié : son fils a raté ses examens. » ; « Je l’ai vue : elle s’achetait un sac chez (suit le nom de la boutique.) » ; « Il n’assiste pas à la session : il accompagne sa fille qui rentre à HEC. » Car l’intérêt ne va pas résider dans l’échange d’idées, mais dans le fait d’appartenir au même groupe, donc de n’être ni « pour » ni « contre » mais « avec. » Et puis, la trace des débats, combien dure-t-elle sur les réseaux ? Pourquoi s’ennuierait-on à les écouter avec attention alors qu’un simple « like » suffit à manifester avec qui on est ?
Que faut-il en conclure ? L’amitié serait incompatible avec la démocratie ? Peut-être… Mais, pour ce qui est de la communication, car il ne s’agit que de ça, un seul constat s’impose : elle n’en offre qu’un avatar !
L’Art pourrait voler à son secours : Claude Sautet est mort…Et il ne s’est jamais intéressé à la Corse. Thierry de Peretti lui, en fouit les viscères pour en arracher Les Apaches et Une vie violente. The show must go on.
En effet, dans notre société du paraître, il est de bon ton d’être informé, de savoir, ou au moins de le laisser croire. Ceci nous permet d’appartenir au cercle vertigineux des amis, peut-être plus justement, des amis d’amis, parfois plus sûrement encore, des amis d’amis, d’amis inconnus ! Bref, de quoi aurions-nous l’air si, à aucun moment, nous n’étions capables de dire d’un air entendu : « Gilles a dit…ou Jean-Fé a dit, ou Jean-Cri, ou Nanette ! » Et qui on est ?
Cette intimité partagée sur les « réseaux sociaux », virtuels, ou pas dans notre société de proximité, s’accompagne évidemment d’une empathie qui va toucher toutes les strates de l’entourage de nos hommes…et de notre femme ! On va (on veut ?) tout savoir, sur lui, sur elle, sur ses enfants, sur sa belle-mère, sur son canari, sur son poisson rouge…
Dans ce contexte, le débat démocratique va rapidement s’effriter : « Il a l’air fatigué ! » ; « Il est contrarié : son fils a raté ses examens. » ; « Je l’ai vue : elle s’achetait un sac chez (suit le nom de la boutique.) » ; « Il n’assiste pas à la session : il accompagne sa fille qui rentre à HEC. » Car l’intérêt ne va pas résider dans l’échange d’idées, mais dans le fait d’appartenir au même groupe, donc de n’être ni « pour » ni « contre » mais « avec. » Et puis, la trace des débats, combien dure-t-elle sur les réseaux ? Pourquoi s’ennuierait-on à les écouter avec attention alors qu’un simple « like » suffit à manifester avec qui on est ?
Que faut-il en conclure ? L’amitié serait incompatible avec la démocratie ? Peut-être… Mais, pour ce qui est de la communication, car il ne s’agit que de ça, un seul constat s’impose : elle n’en offre qu’un avatar !
L’Art pourrait voler à son secours : Claude Sautet est mort…Et il ne s’est jamais intéressé à la Corse. Thierry de Peretti lui, en fouit les viscères pour en arracher Les Apaches et Une vie violente. The show must go on.