Pourquoi du théâtre. Et pourquoi cette question.
Il suffit d’ouvrir les yeux. En France, en cas d’épidémie, ce sont les lieux d’art, de culture, de savoir et de fête que l’on ferme en premier et que l’on ouvre en dernier, sans que cela conduise pour autant à une amélioration de la situation sanitaire. Toujours plus de malades, toujours plus de morts et des millions de gens et d’existences qui ne tiennent plus à grand-chose. Mais « il n’y a qu’à chevaucher le tigre » pour réinventer son activité culturelle, artistique (E. Macron) comme «il n’y a qu’à traverser la rue pour trouver du travail » (E.M. bis) et comme il n’y aurait maintenant qu’à ré-ouvrir les lieux de culture pour qu’on s’y remette un peu comme si rien ne s’était passé. Le néolibéralisme, c’est ça. Et ça marche plutôt pas mal. Même dans notre camp - l’art et la culture d’État. Des newletters nous informent tous les matins (elles nous arrivent la nuit) qu’ici on « ré-ouvre en fanfare », que là on est « dans des starting-blocks » et que là-bas, on est « fin prêts depuis des mois » etc. partout les mêmes élans, les mêmes mots, la même tristesse. Je ne parle pas de start-up chinoises, je parle de théâtres français subventionnés à 100%. Gaz néolibéral à tous les étages. Retour du volontarisme, du positivisme, dans tous les domaines. Seconde jeunesse des vieux discours. Montée en puissance des sciences « cognitives ». Nouveau sésame : le mot « science ». Nouvel Olympe : « le conseil scientifique ». Nouveaux mots d’ordre : « fermez – ouvrez – refermez – ré-ouvrez ». Et cela, en un temps (le nôtre) où l’on assène et nous enseigne tous les jours qu’on ne pourra plus arrêter les grandes catastrophes en cours et que la mort de la planète n’est plus une probabilité, mais une certitude pour dans pas trop longtemps. Mais pourtant, passée la panique du printemps dernier, nos gouvernants auraient pu consulter aussi des philosophes, des poètes, des artistes, des étudiants, des migrants, des sans-abris, des retraités, des travailleurs avec ou sans papiers – hommes, femmes - auraient pu tenter le pari d’une pensée autre. Tenter le pari de la rencontre AVEC d’autres, AVEC des gens, AVEC des œuvres. Le pari de « la joie devant la force du travail actif de la pensée » (Leslie Kaplan) au cœur même du désastre.
Que répond le devin Tirésias au roi Œdipe qui lui demande quelles sont les causes de la peste qui décime Thèbes ? – « Rentre dans ta maison et réfléchis ».
Il suffit d’ouvrir les yeux. En France, en cas d’épidémie, ce sont les lieux d’art, de culture, de savoir et de fête que l’on ferme en premier et que l’on ouvre en dernier, sans que cela conduise pour autant à une amélioration de la situation sanitaire. Toujours plus de malades, toujours plus de morts et des millions de gens et d’existences qui ne tiennent plus à grand-chose. Mais « il n’y a qu’à chevaucher le tigre » pour réinventer son activité culturelle, artistique (E. Macron) comme «il n’y a qu’à traverser la rue pour trouver du travail » (E.M. bis) et comme il n’y aurait maintenant qu’à ré-ouvrir les lieux de culture pour qu’on s’y remette un peu comme si rien ne s’était passé. Le néolibéralisme, c’est ça. Et ça marche plutôt pas mal. Même dans notre camp - l’art et la culture d’État. Des newletters nous informent tous les matins (elles nous arrivent la nuit) qu’ici on « ré-ouvre en fanfare », que là on est « dans des starting-blocks » et que là-bas, on est « fin prêts depuis des mois » etc. partout les mêmes élans, les mêmes mots, la même tristesse. Je ne parle pas de start-up chinoises, je parle de théâtres français subventionnés à 100%. Gaz néolibéral à tous les étages. Retour du volontarisme, du positivisme, dans tous les domaines. Seconde jeunesse des vieux discours. Montée en puissance des sciences « cognitives ». Nouveau sésame : le mot « science ». Nouvel Olympe : « le conseil scientifique ». Nouveaux mots d’ordre : « fermez – ouvrez – refermez – ré-ouvrez ». Et cela, en un temps (le nôtre) où l’on assène et nous enseigne tous les jours qu’on ne pourra plus arrêter les grandes catastrophes en cours et que la mort de la planète n’est plus une probabilité, mais une certitude pour dans pas trop longtemps. Mais pourtant, passée la panique du printemps dernier, nos gouvernants auraient pu consulter aussi des philosophes, des poètes, des artistes, des étudiants, des migrants, des sans-abris, des retraités, des travailleurs avec ou sans papiers – hommes, femmes - auraient pu tenter le pari d’une pensée autre. Tenter le pari de la rencontre AVEC d’autres, AVEC des gens, AVEC des œuvres. Le pari de « la joie devant la force du travail actif de la pensée » (Leslie Kaplan) au cœur même du désastre.
Que répond le devin Tirésias au roi Œdipe qui lui demande quelles sont les causes de la peste qui décime Thèbes ? – « Rentre dans ta maison et réfléchis ».
Réfléchir, penser, agir.
Et encore et toujours à partir de trois questions (pour moi) essentielles – À qui nous adressons-nous ? Pourquoi ? Comment ?
Il n’y a pas de nouveauté en art qui ne soit l’examen sérieux de ces trois questions.
Aujourd’hui en Corse, dans notre projet commun d’une société Autre à construire, il me semble que ce dont nous avons besoin pour un théâtre qui aide à penser (et pour l’art et la culture), c’est d’œuvrer à de nouvelles alliances avec la population à partir de ces trois questions (1).
La Corse est une île (c’est peut-être une chance), mais une île dans un monde basculé « en Pandémie, ce nouveau continent mental, parti de l’Asie pour recouvrir l’Europe, puis pour s’imposer finalement en Amérique » (Barbara Stiegler). Dans ce monde-là et en une ère dite « cognitive », où la pensée est réduite au calcul et l’émotion à la satisfaction, le théâtre (comme l’art et la culture) doivent plus que jamais tenir une place cruciale. Si nous cédons même d’un pouce aux techno-gourous, aux experts, aux geeks, aux fans, aux inspecteurs, au pilonnage des dirigeants chinois et à celui de la Silicon Valley, à leurs projets d’une humanité saine, silencieuse, désinfectée, censurée d’émotions, centrée sur quelques leaders (« premiers de cordée ») et dans le but purement commercial de substituer à la pensée et au rêve de l’art, une mystique de la technologie, nous n’en avons plus pour longtemps.
En Corse, comme ailleurs, chacun peut constater à quel point le tissu social se défait tous les jours et de toutes sortes de façons. À quel point nous sommes gravement touchés par les conséquences catastrophiques des marches mauvaises de notre monde.
En Corse, où comme ailleurs « nul homme n’est une île » (J. Donne), il est plus que jamais nécessaire et urgent de penser/repenser, définir/redéfinir, des projets artistiques et culturels au service de la plus grande diversité possible des habitants d’un territoire (quartier, ville, village, vallée…) pour travailler tous les jours à ce que notre monde soit plus beau et plus juste pour tous.
Nous devons pour cela créer les conditions pratiques d’une expérience artistique et sociale (un théâtre d’intervention) propre à expérimenter et à inventer des rapports nouveaux à un lieu, un environnement et un public.
En Corse, nous avons des gens (artistes, acteurs culturels, élus, habitants…) disposés à repenser nos métiers d’art et de culture en quelques lieux déjà existants.
Nous avons une richesse inépuisable de lieux de nature merveilleux pour le plein air.
Nous avons des lieux souvent vides d’activités, non créés ni tenus par les questions qui nous occupent aujourd’hui.
Nous avons donc potentiellement de quoi, comme dirait l’autre, en étonner plus d’un.
Il n’y a pas de nouveauté en art qui ne soit l’examen sérieux de ces trois questions.
Aujourd’hui en Corse, dans notre projet commun d’une société Autre à construire, il me semble que ce dont nous avons besoin pour un théâtre qui aide à penser (et pour l’art et la culture), c’est d’œuvrer à de nouvelles alliances avec la population à partir de ces trois questions (1).
La Corse est une île (c’est peut-être une chance), mais une île dans un monde basculé « en Pandémie, ce nouveau continent mental, parti de l’Asie pour recouvrir l’Europe, puis pour s’imposer finalement en Amérique » (Barbara Stiegler). Dans ce monde-là et en une ère dite « cognitive », où la pensée est réduite au calcul et l’émotion à la satisfaction, le théâtre (comme l’art et la culture) doivent plus que jamais tenir une place cruciale. Si nous cédons même d’un pouce aux techno-gourous, aux experts, aux geeks, aux fans, aux inspecteurs, au pilonnage des dirigeants chinois et à celui de la Silicon Valley, à leurs projets d’une humanité saine, silencieuse, désinfectée, censurée d’émotions, centrée sur quelques leaders (« premiers de cordée ») et dans le but purement commercial de substituer à la pensée et au rêve de l’art, une mystique de la technologie, nous n’en avons plus pour longtemps.
En Corse, comme ailleurs, chacun peut constater à quel point le tissu social se défait tous les jours et de toutes sortes de façons. À quel point nous sommes gravement touchés par les conséquences catastrophiques des marches mauvaises de notre monde.
En Corse, où comme ailleurs « nul homme n’est une île » (J. Donne), il est plus que jamais nécessaire et urgent de penser/repenser, définir/redéfinir, des projets artistiques et culturels au service de la plus grande diversité possible des habitants d’un territoire (quartier, ville, village, vallée…) pour travailler tous les jours à ce que notre monde soit plus beau et plus juste pour tous.
Nous devons pour cela créer les conditions pratiques d’une expérience artistique et sociale (un théâtre d’intervention) propre à expérimenter et à inventer des rapports nouveaux à un lieu, un environnement et un public.
En Corse, nous avons des gens (artistes, acteurs culturels, élus, habitants…) disposés à repenser nos métiers d’art et de culture en quelques lieux déjà existants.
Nous avons une richesse inépuisable de lieux de nature merveilleux pour le plein air.
Nous avons des lieux souvent vides d’activités, non créés ni tenus par les questions qui nous occupent aujourd’hui.
Nous avons donc potentiellement de quoi, comme dirait l’autre, en étonner plus d’un.
Ces dispositifs d’un théâtre d’intervention, définis à partir des trois questions citées plus haut, doivent être à la fois implantées localement (ce qui est déjà souvent le cas pour nombre de structures) et rayonner dans toute la Corse. C’est-à-dire être inscrites dans un réseau de diffusion/circulation à vocation sociale, artistique, doté de moyens humains et matériels, simples et concrets. Nous n’avons pas forcément besoin pour cela d’une scène nationale en réseau, vieux serpent de mer de notre vie culturelle depuis près de trente ans et probablement très coûteux. Nous avons besoin pour mener à bien, au moins à titre d’essai cette expérience, que les responsables des lieux déjà existants considèrent avec des artistes, des travailleurs sociaux, des habitants… etc. les questions qui les occupent et les propositions qui en découlent.
Je propose que cette hypothèse soit débattue en cette nouvelle année pré-électorale, avant la prochaine et son soi-disant « cap au pire » (nous aurions à choisir entre un parti fantôme et une famille de damnés pour laquelle 70 à 90% de français s’acharnent à ne pas voter depuis près de quarante ans sans être entendus) et au cœur d’une crise sanitaire, politique, sociale, économique, culturelle… - humaine trop humaine – le plus vite possible en de très nombreux lieux.
Je propose que cette hypothèse soit débattue en cette nouvelle année pré-électorale, avant la prochaine et son soi-disant « cap au pire » (nous aurions à choisir entre un parti fantôme et une famille de damnés pour laquelle 70 à 90% de français s’acharnent à ne pas voter depuis près de quarante ans sans être entendus) et au cœur d’une crise sanitaire, politique, sociale, économique, culturelle… - humaine trop humaine – le plus vite possible en de très nombreux lieux.
* Dans l’histoire du théâtre, beaucoup d’aventures et d’expériences importantes, situées dans l’espace et dans le temps ont toutes tiré leur nécessité artistique (donc poétique et politique) de s’adresser à toutes et à tous dans des situations précises, dans leurs pays, dans leurs réalités immédiates. Meyerhold en Russie révolutionnaire, Stein et Grüber (après Brecht et Fassbinder) en Allemagne divisée et déchirée, Vitez, de Vitry à la Comédie Française via Chaillot en une mise en question et en jeu continuelle de la France, Dasté à Saint-Etienne, Kantor, Lupa et Warlikowski en Pologne occupée, puis secouée et bouleversée, Strehler au Piccolo Teatro de Milan, dans un âge à la fois d’or (cinéma italien) et bientôt de plomb en une Italie livrée en un rien de temps à la sous-culture télévisuelle, plus récemment Milo Rau à Gand, Marie-Josée Malis à Aubervilliers ou chez nos voisins italiens, Pippo Delbono, Emma Dante … - liste non exhaustive.