Robba
 



Pigna, une maison de l’écoute



Entre janvier 2022 et juillet 2023, Caroline Boë et Christine Esclapez ont mené à Pigna une expérience en recherche-création collaborative dans le cadre du projet [CO S-A]. Les deux chercheuses nous livrent le fruit de cette aventure et leur regard sur un village qui s’est progressivement hissé au rang des hauts-lieux du renouveau de la culture corse, grâce à la mise en valeur de différents dispositifs culturels visant notamment à valoriser les spécificités artisanales puis musicales par le renouveau de la facture instrumentale.



Tonì Casalonga
Tonì Casalonga

 

Depuis plus de quarante ans, Pigna a vu l’éclosion de nombreuses actions de transmission, de diffusion et de valorisation autour de la pratique des musiques corses. L’association musicale E Voce di u Cumune (créée en 1978) a été labellisée en 2017 Centre National de Création Musicale  [1] par le ministère de la Culture. La recherche sur les pratiques de création et de recréation patrimoniales y tient une place centrale et s’intègre également à un projet plus vaste, économique et écologique, qui concerne le village dans son ensemble. Le CNCM VOCE est l’un des principaux atouts du village de Pigna. Il lui permet de rayonner au niveau local, national mais aussi international grâce, entre autres, au festival Festivoce qui a lieu chaque année au mois de juillet.


[1] Les Centres Nationaux de Création sont au nombre de huit sur le territoire national. Ce label engage les structures à conduire diverses actions de recherche, de formation et de diffusion artistique et musicale en direction des pratiques contemporaines.
 


Pigna : une utopie concrète ?

Quatuor Rokhs en résidence à l’auditorium de Pigna, Photographie de C. Boë © CC BY
Quatuor Rokhs en résidence à l’auditorium de Pigna, Photographie de C. Boë © CC BY
Plusieurs structures au sein du CNCM VOCE prolongent concrètement ces actions : l’Auditorium (construit en terre crue et doté d’une acoustique exceptionnelle [2]), la Casa Musicale (lieu d’accueil des résidences), la Vaccaghja (ancien enclos transformé en amphithéâtre de plein air) qui accueille en extérieur une partie de la programmation de Festivoce). Un label indépendant Casa éditions et un studio d’enregistrement [3] ainsi que le MUSEUMusica qui rassemble une collection inédite d’instruments traditionnels de Corse et d’ailleurs complètent ces infrastructures. Une attention est également portée à la conservation des sources grâce au Repertorium VOCE [4] qui est l’une des plus grandes archives en ligne des musiques traditionnelles corses.

Entre tradition et modernité, Pigna attire, toute l’année, de nombreux touristes et habitants du village et des alentours qui y viennent, souvent, pour écouter de la musique corse, toujours vivante, ouverte aux esthétiques les plus contemporaines. Pigna est aussi un lieu de mise au travail de la pensée et de la création : artistes et chercheurs s’y retrouvent pour écrire et expérimenter. La mise en action d’une utopie concrète [5] a fabriqué de façon exemplaire ce territoire infra-insulaire de Balagne.


[2] « La construction d’un auditorium à Pigna, réalisée en 2000, fait appel à une technique peu répandue en Corse : l’architecture en terre. Inspiré des architectures d’Hassan Fathy, ce projet à l’architecture moderne et écologique a été réalisé avec des briques de terre, comprimées, fabriquées sur place, matériau qui améliore le confort thermique, hygrométrique et acoustique. L’édifice offert pour la musique, bâti en terre crue, surmonté d’une coupole magnifie les chants sacrés de notre île », https://www.darchitectures.com/ centre-culturel-auditorium-pigna-a4733.html .
[3] https://www.casa-editions.com
[4] https://repertorium.voce.corsica
[5] E. Bloch, Le principe espérance, t. I (trad. F. Wuilmart), Paris, Gallimard, 1976.
 

L’écoute et le territoire

L’attention particulière portée à la musique traduit l’importance que ce village accorde à l’écoute. Que la musique soit sacrée ou profane, traditionnelle ou contemporaine, sa pratique et son écoute consolident les liens existants entre les différents participants de la vie commune du village. Le projet de Pigna, de ce point de vue, s’inscrit dans une sorte de soin de l’écoute qui rejoint les problématiques soulevées par l’écologie sonore qui « est la relation entre les êtres vivants et leur environnement sonore » [6].
 

L’environnement sonore de Pigna, village sans automobiles, peut donner une impression de silence. Cependant, dès lors que nous tendons l’oreille dans ses ruelles, nous percevons des voix : celles des habitants qui bavardent sur le pas de leur porte, celles des touristes qui visitent le miracle de Pigna [7]. 
Nous percevons aussi des artisanes et des artisans au travail, des cloches de brebis à la tombée de la nuit, des cris de milans et des pépiements de mésanges. Le silence est rempli de petits sons qui dévoilent des vies actives.
Ce silence est aussi chargé de souvenirs musicaux : le concert de la veille donné à l’
Auditorium, les improvisations vocales de clients au restaurant qui ont métamorphosé l’ambiance du repas, le son de ces archives-témoignages de la vie musicale du passé écouté lors d’une visite virtuelle du Repertorium. De ce fait, notre relation à l’environnement sonore incarne des émotions symboliques et culturelles.

Dans ce paysage sonore, l’effort collectif d’attention concentré sur l’écoute nous rappelle notre appartenance à une communauté acoustique, « un
modèle subjectif, cognitif et culturel » [8] issu de « l’élargissement de la portée du modèle de l’auditeur individuel à des structures sociales plus larges » [9]. Le paysage prend, en effet, en compte les dimensions perceptives et communicatives imbriquées entre le sonore, le culturel, le social et le politique. En s’engageant dans l’écologie sonore du village de Pigna, le projet [CO S-A] permet de valoriser le maillage du commun liant les publics – habitants, artistes, artisans, touristes et chercheurs. Cet engagement avec le monde par l’écoute du paysage sonore produit du sens, car c’est une sorte de double célébration, celle de « la connexion humaine et [celle de] la subordination à la complexité de l’environnement » [10]. 

Plusieurs questionnements ont ainsi guidé la recherche en relation avec la question du lien entre l’écoute, la mémoire, le territoire et ses habitants. Dans quelles mesures un exercice d’écoute active permettrait-il d’ajouter une strate supplémentaire à l’expérimentation culturelle et sociale déjà conduite au sein de ce territoire infra-insulaire ? Dans quelles mesures le projet de recherche-création développé par [CO S-A] permettrait-il d’éveiller une autre forme de « vivre ensemble » grâce à l’écoute partagée ?


[6] R. M. Schafer, Le paysage sonore : le monde comme musique (trad. S. Gleize), Marseille, Wildproject, [1977] 2010, p. 293.
[7] L’expression Le miracle de Pigna provient d’une discussion informelle – avec une conseillère municipale d’une commune voisine –, à propos de l’effervescence sociale, économique, touristique et culturelle de Pigna.
[8] M. Droumeva, R. Jordan (Eds), Sound, Media, Ecology, Cham, Palgrave Macmillan, 2019, p. 40.
[9] Ibid.
[10] Ibid.
 


Le projet [CO S-A] : Corsica Sud-archives

Pascal Galeazzi installant les QR Codes d’accès au Chant du Geste, Photographie de C. Boë © CC BY.
Pascal Galeazzi installant les QR Codes d’accès au Chant du Geste, Photographie de C. Boë © CC BY.

L’objectif de [CO S-A] [11] est de réfléchir de façon collaborative à la vie de l’archive musicale après sa mise en archive. Le corpus de référence est le Repertorium VOCE. Numérisé à partir de 2010 grâce à l’aide du ministère de la Culture, de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence et de la Collectivité Territoriale de Corse, ce fonds d’archives résulte de plusieurs collectes initiées dès les années 1970 par Antoine Massoni [12], Nando Acquaviva [13], Tonì Casalonga [14] et Nicole Casalonga [15].

L’un des trois axes du projet [16] cherche à favoriser une action locale auprès des habitants et des usagers du village, en développant une écoute active du territoire et de son environnement sonore mais aussi patrimonial et historique. En collaboration avec les artisans du village de Pigna, Caroline Boë – compositrice – a élaboré la balade sonore Le Chant du Geste, proposant devant chaque échoppe d’artisans un point d’écoute sous la forme de pastilles sonores.

Lors de notre première visite de Pigna, nous avons été surprises de constater une importante activité artisanale dans ce petit village. Cherchant une perspective artistique pour développer une balade sonore qui valoriserait les archives musicales du Repertorium VOCE, nous sommes parties de l’hypothèse que les gestes des artisans étaient semblables à des archives, conservant de façon vivante des savoir-faire incarnés.
C’est ainsi que nous avons élaboré un protocole de réalisation de pastilles sonores, composées à partir de deux sources hétérogènes : des sons captés en 2022 dans les ateliers d’artisans et des musiques issues du
Repertorium collectées et enregistrées depuis les années 1970. Nous nous sommes inspirées de la démarche artistique de Loïc Guénin pour le projet Sault ça s’écoute (aussi) de la compagnie Le Phare à Lucioles
[17] qui cherchait à valoriser l’activité des petits commerçants du village de Sault grâce à des créations sonores.
Nous avons transposé ce protocole vers l’activité artisanale et avons passé quelques heures avec chaque artisan·e pour nous imprégner de l’atmosphère du travail dans l’atelier. Nous avons ensuite réalisé des captations sonores et échangé avec les artisans et artisanes à propos de leur relation à la musique patrimoniale [18]. Un travail de composition musicale de type acousmatique a suivi, mélange de musique concrète et de musique traditionnelle. La musique a été sélectionnée dans les archives du
Repertorium soit en fonction de son thème qui réfère de près ou de loin à l’objet fabriqué, soit en fonction de la participation de l’artisan·e ou de ses ancêtres à la musique archivée. Les six pastilles sonores sont accessibles sur smartphone, via un QR Code imprimé sur un petit panneau apposé devant chaque échoppe.

Le 23 février 2023,
Le Chant du Geste a été inauguré dans le village lors d’une balade sonore collective. Les témoignages de certains participants ont ensuite été recueillis. Retenons ce retour d’expérience qui souligne le rapport immersif et singulier à l’environnement que propose Le Chant du Geste :
D’un point de vue humain, c’est un moment particulier qui m’a permis de me poser, ça m’a mis dans une bulle. […] c’est vraiment une échappatoire. Et, d’un point de vue technique, c’est extrêmement bien réalisé, tout est juste, rien n’est envahissant, tout est posé, et c’est très réaliste au final. […] on arrive à avoir cette émotion parce que c’est un travail très bien fait.


Proposant un labyrinthe de l’écoute sur un « territoire-laboratoire », Le Chant du Geste invite habitants, touristes, promeneurs, visiteurs à habiter ou à découvrir autrement le village de Pigna grâce à l’écoute active et intériorisée [19] – quasi archéologique – de gestes et de voix enfouis.


[11] Le projet [CO S-A] est lauréat de la fondation A*Midex (AAP Transferts de compétences) et a été conduit de janvier 2022 à juillet 2023. Il résulte d’une collaboration entre le laboratoire PRISM (UMR 7061), la Phonothèque de la MMSH (UAR 3125) et le CNCM VOCE.
[12] Facteur d’orgue.
[13] Chanteur, instrumentiste, compositeur et pédagogue.
[14] Musicien et artiste (peintre, sculpteur, scénographe et metteur en scène).
[15] Chanteuse, instrumentiste et pédagogue.
[16] https://cosa.hypotheses.org/184
[17] https://www.pharealucioles.org/sault_village_sonore/
[18] Les réponses des artisanes et artisans sont écoutables en ligne : https://cosa.hypotheses.org/category/axe-3 .
[19] Les pastilles sonores s’écoutent au casque après avoir flashé un QR Code ou en cliquant sur le lien
https://www.voce.corsica/pastilles/ 
 


Archives vivantes et écriture de l’histoire

Inauguration du Chant du Geste, 23/02/2023. Photographie de C. Esclapez © CC BY.
Inauguration du Chant du Geste, 23/02/2023. Photographie de C. Esclapez © CC BY.

En 1964 est créée la Coopérative pour l’Organisation, le Regroupement, la Sélection, l’Indépendance Commerciale des Artisans D’Art (CORSICADA) qui poursuivra jusque dans les années 1980 des actions de compagnonnage et de formation ou d’aide à l’installation d’artisans pour « freiner l’hémorragie qui vide l’intérieur de la Corse de ses forces vitales » [20]. En 1966, les premières Maisons de l’artisanat ouvrent à Bastia et à Pigna [21]; le premier stage d’artisanat d’art se tiendra dès 1971 [22]. Cette « chronique de ces “années de braise” » [23] qui a duré plus de vingt ans (1964-1984) est relatée dans l’ouvrage de Jean-Luc Morucci, Les années Corsicada ou l’histoire singulière d’un projet d’économie alternative  [24]

Comme le rappelle l’auteur, ce renouveau de la culture corse s’élabore sur fond d’engagement culturel mais aussi social et économique. Au départ, un groupe de jeunes artistes partage une certitude : il ne s’agit ni de partir ni de renoncer [25] mais d’initier, de collaborer et de prendre part. Sera ainsi progressivement créée l’infrastructure juridique et administrative nécessaire pour permettre au projet de croître et de se ramifier. Le projet initial de la CORSICADA a été de favoriser un circuit court (le juste prix) entre producteur et acheteur pour contourner le rôle de l’intermédiaire, mais aussi d’encourager l’émergence d’un artisanat d’art propre à la Corse, sans que celui-ci ne devienne un marqueur identitaire ou un produit folklorique.
Dans les années 1970, grâce à la fidèle collaboration avec le Centre de Promotion Sociale de Corte (CPS), les actions s’orientent vers le développement d’actions de formation qui inaugurent « pour la première fois en France, le principe de l’alternance des périodes communes de formation théorique au centre et de périodes de formation pratique en compagnonnage chez un maître de stage » [26]
. En parallèle, les « ateliers de village » continuent à se développer dans différentes communes autour de Pigna. Si Pigna n’a pas été le seul village à défendre cette dynamique, le fait que certains de ses habitants aient été directement à l’origine de la création de la CORSICADA 
[27] lui a permis de porter les principes de cette économie alternative : la ruralité, le juste prix, la coopération et l’autogestion, ainsi que le rapport au marché. Loin de la logique industrielle, l’artisanat est un échange éthique : « une chose que l’on fait avec plaisir et que l’on peut échanger contre les moyens de vivre normalement » [28]. Même si, en 1984, a eu lieu la dissolution de la CORSICADA, traversée par plusieurs crises et schismes à partir de 1976, ses valeurs perdurent à Pigna.

Les pastilles sonores du Chant du Geste donnent à entendre plusieurs couches d’histoire. Celle, actuelle, des sons enregistrés en février 2022 des artisans au travail ; celle, passée, des archives du Repertorium VOCE. Leur superposition s’est avérée bien plus historiquement informée que les premières intuitions artistiques ne pouvaient l’imaginer. En effet, en août 2022, la municipalité de Pigna installe la nouvelle signalétique de la CORSICADA sous la forme d’une plaque en céramique disposée devant chaque échoppe d’artisan.
L’un des enjeux de cette action est de rappeler aux usagers et habitants l’histoire de cette coopérative associative ainsi que son idéal fédératif. Si les deux événements (la pose de la signalétique et
Le Chant du Geste) sont totalement indépendants, les points d’écoute proposés permettent d’expérimenter sensiblement le projet social et culturel du village basé sur l’économie alternative portée par les habitants depuis les années 1960. Lors de l’inauguration, ces témoignages paraissent d’ailleurs conforter ce constat :

Ça apporte quelque chose au village, parce que c’est dans la même lignée que la Corsicada.
Je pense que pour les touristes ça va leur donner une image encore plus culturelle et un rapport plus profond au village, plutôt que simplement commercial. Ça peut en très peu de temps donner une dimension sociale et culturelle, même sans explications, ça montre un travail.

Les pastilles sonores, hybridant les musiques locales d’hier et les savoir-faire artisanaux d’aujourd’hui, sont comme des métaphores de cet engagement politique. En synchronisant une réalité concrète et actuelle de l’activité artisanale à celle du chant polyphonique patrimonial de Balagne, elles nous permettent d’habiter collectivement l’histoire de ce territoire au-delà de nos singularités. Elles sont les archives vivantes de mémoires artisanales et musicales, de gestes, de voix, de corps absents mais incarnés sensiblement par les compositions sonores. Ces archives vivantes sont ainsi données à entendre à toutes les oreilles attentives qui seront tentées, lors de leur déambulation dans le village, de s’arrêter devant les échoppes des artisans pour écouter ces mémoires arrachées à leur silence, sonorisant et incarnant un petit fragment de l’histoire de Pigna.
Le montage anachronique de différentes couches de mémoire transformées en créations sonores inédites interroge et permet, d’ores et déjà, de signaler l’intérêt de conduire des actions de recherche-création où la fertilisation de l’une par l’autre permet tout à la fois d’anticiper et d’imaginer, mais aussi de questionner et problématiser, de récolter et de rencontrer ; de remonter finalement les fils invisibles de l’histoire qui président à sa mise en récit. Ainsi, « le surgissement d’une histoire “critique” à mettre inlassablement au présent » [29] est-il certainement l’un des résultats les plus pertinents de cette méthodologie, encore en émergence dans les sciences humaines et sociales.


[20] J.-L. Morucci, Les années Corsicada ou l’histoire singulière d’un projet d’économie alternative, Ajaccio, Albania, 2008, p. 10.
[21] Ibid., p. 30.
[22] Ibid., p. 51.
[23] Ibid., p  10.
[24] Ibid.
[25] Ibid., p. 15.
[26] Ibid., p. 48.
[27] Le siège social de la CORSICADA a été déplacé d’Ajaccio à Pigna en 1964 quand Toni Casalonga et sa femme Nicole s’installent à Pigna.
[28] J.-L. Morucci, op. cit., p. 54.
[29] D. Charles, La fiction de la postmodernité selon l’esprit de la musique, Paris, Presses universitaires de France, 2001, p. 55.
 


Pigna, un « territoire-laboratoire » infra-insulaire ?

Toni Casalonga & Jacky Quilichini installant la nouvelle  signalétique de la CORSICADA, 2/09/2022 Photographie de C. Boë © CC BY
Toni Casalonga & Jacky Quilichini installant la nouvelle signalétique de la CORSICADA, 2/09/2022 Photographie de C. Boë © CC BY

Il s’est agi pour [CO S-A] de penser localement et écologiquement les relations entre ce territoire insulaire, ses ressources culturelles et l’action conjointe et collaborative d’artistes et de chercheurs autour de la notion philosophique d’écologie sonore [30]. Nous avons adopté pour cela le concept de « territoire-laboratoire » [31] proposé par Bernard Stiegler dans le cadre du projet L’Archipel du vivant [32]. Ce concept permet de penser un territoire comme un lieu d’expérimentation propice à produire des innovations sociales, économiques, mais aussi culturelles. En effet, selon Stiegler, « penser écologique a à voir avec l’art, la philosophie, la littérature, la musique et la culture » [33]. Pigna était déjà un territoire dédié à l’écoute ; le projet [CO S-A] en a fait une maison de l’écoute [34], comme le souligne Carmen Pardo Salgado dans son article « Pour une écou-logie sans entraves » :

Il existe au premier regard plusieurs maisons pour l’écoute : les sons de la nature ; les sons des villes ; le langage ; la musique…, mais, en fait, la façon dont l’écoute les habite oblige à changer les corrélations entre les éléments qui forment chaque maison. La maison de l’écoute n’est pas un bâtiment solide, mais un rapport dynamique de l’écoute avec son milieu. La maison de l’écoute est toujours en mouvement [35].


[30] L’écologie sonore a été, entre autres, théorisée par Roberto Barbanti, Carmen Pardo Salgado et Makis Solomos. R. Barbanti et P. Mariétan, Sonorités, n° 7. Écologie sonore entre sens, art, science, Nîmes, Champ social, 2012. M. Solomos, R. Barbanti, G. Loizillon, C. Pardo Salgado, K. Paparrigopoulos, M. Iliescu, A. Di Scipio et F. Mossberg, Musique et écologies du son. Propositions théoriques pour une écoute du monde, Paris, L’Harmattan, 2016.
[31] 
Le concept de « territoire-laboratoire » proposé par Stiegler prolonge celui d’« île-laboratoire » d’Anne Meistersheim. A Squadra Robba, Habiter la Corse dorénavant, Bastia, Éditions Éoliennes, 2022, pp. 13-14.
[32] B. Stiegler, « L’archipel des Vivants. Des territoires laboratoires en archipel pour une politique et une économie des formes de vie », Etica & Politica / Ethics & Politics, Trieste, 2020, pp. 157-170.
[33] A Squadra Robba, op. cit., p. 10.
[34] C. Pardo Salgado, « Pour une écou-logie sans entraves », Sonorités, n° 7. Écologie sonore entre sens, art, science, Nîmes, Champ social, 2012, pp. 47-68.
[35] Ibid., p. 48.
 


Pour en savoir plus

Vous pouvez consulter le site du projet [COS-A]: Corsica Sud-Archives.

 
Dimanche 31 Décembre 2023
Caroline Boë & Christine Esclapez


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