Dans le premier article de cette série, j’étais remonté aux origines de la question du développement de la Corse pour en arriver à l’adoption du programme d’action régionale adopté par le gouvernement en 1957, fondé sur le développement de l’agriculture et du tourisme. Dans cette deuxième contribution, je vais montrer comment cette stratégie étatique, dont les grands maîtres d’œuvre étaient la société de mise en valeur agricole de la Corse (Somivac) et la société d’équipement touristique de la Corse (Setco), fera très rapidement l’objet de virulentes critiques.
En matière touristique, la Setco aura un bilan bien inférieur à celui qui était escompté. Alors qu’on évoquait la construction d’une centaine d’hôtels, la Setco n’en a construit que quatre. Toutefois, une dynamique était bien lancée. Dès le début des années 1960, alors que la Corse recevait encore moins de 300000 touristes par an – au reste, elle « ne pouvait en loger simultanément que 13 à 14000 » –, Jeannine Renucci alertait d’un risque de « colonisation littorale » et de différents phénomènes dont l’écho n’a certainement pas disparu : la flambée de prix et la spoliation foncières, les risques de « dépossession du paysage » et d’exclusion de la plupart des Corses des bénéfices du tourisme, la « perturbation sur les habitudes et la mentalité locales », la dépendance aux exportations et l’augmentation du coût des produits de consommation.
Cependant, la question de la massification touristique se posera avec davantage d’acuité dans les années 1970. Dans les années 1960, c’est la mise en valeur agricole qui suscite rapidement de fortes tensions.
Même s’il était jugé nécessaire d’attirer en Corse des professionnels plus performants, le rapatriement des Français d’Algérie a eu un impact décisif. Non seulement ils disposaient de compétences techniques et de capacités financières supérieures, mais ils ont bénéficié du soutien spécifique du ministère des Rapatriés et de « prêts spéciaux de reclassement » du Crédit agricole. Ces derniers étaient très avantageux, puisque le taux s’élevait à 2,5% sur trente ans, et ils leur étaient exclusivement réservés.
Cela ne pouvait rester sans réactions. Avant même que les premières terres mises en valeur soient distribuées, la séance du conseil général du 25 mai 1959 fut consacrée à un débat avec le président de la Somivac, et le conseiller communiste Noël Franchini y posa déjà les questions qui seront au centre de la future contestation régionaliste.
« La prépondérance de la Caisse des Dépôts à la direction de la Somivac, les conditions plutôt abusives proposées aux exploitants corses étant donné leurs faibles ressources, étant donné également que les prêts consentis ne peuvent pas être contractés (on ne sait pas pourquoi) par l’intermédiaire du Crédit Agricole corse – tout ceci cause un grand malaise. Nous souhaitons que la mise en valeur de la Corse s’opère rapidement mais nous redoutons que, pour les gens d’ici, il ne reste que la ressource de travailler pour les organismes ayant de grosses possibilités financières et qu’ils soient exploités par eux. […]. Il y a eu également quelques petites maladresses d’apparence vexatoire envers certaines personnes, par exemple à Alzitone où des personnes ont été expulsées de terrains qu’elles occupaient depuis des générations ; ces terrains rentrent dans la catégorie des biens communs qu’il ne faut pas confondre avec les biens communaux ; ces biens communs sont régis par des lois traditionnelles, mais la responsabilité incombe davantage aux Mairies qu’à la Somivac, je tiens à le dire. »
Il est fort possible que ces inquiétudes précoces aient eu un effet immédiat sur les dirigeants de la Somivac, logiquement soucieux d’éviter les crispations. Dans le Bulletin d’information de la Somivac d’août-octobre 1959, le directeur général affirmait que la moitié des 18 premiers lots attribués – à Ghisonaccia – l’avaient été « à des candidats Corses », et reconnaissait ensuite que ces derniers – à une seule exception près – résidaient encore en Afrique du Nord.
Dans son rapport d’information de 1961, le député Neuwirth fut moins diplomate. Il attestait que seize lots avaient été donnés à des agriculteurs venus d’Afrique du Nord, un à un agriculteur venu de Guinée, et le dernier à un Corse. Même s’il était précisé que la moitié des rapatriés avait des origines corses, les critères de choix étaient âprement défendus, pour des raisons : 1/ financières – en certifiant que « peu de Corses habitant l’île » avaient la trésorerie requise –, 2/ techniques et même 3/ « psychologiques ». En quelque sorte, les agriculteurs locaux ne pouvaient garantir la réussite du processus. « Il était indispensable que ces premiers essais de mise en valeur soient une réussite conditionnant l’avenir même du programme de développement et c’est le souci d’exemplarité et d’efficacité qui a amené la désignation des ‘colons’ ; quelle que soit leur origine lointaine, ils apportent à l’île un élément dynamique indispensable et leurs exploitations doivent être autant de noyaux de progrès au milieu de propriétés actuellement sous-cultivées. »
Face à cela, les agriculteurs locaux ont réagi négativement, évoqué une dimension coloniale et aussi mis en évidence un enjeu identitaire. Suivant le président de la chambre, cité par Charles Santoni (in L’Union Corse, n° 4, février-mars 1962), « il ne faudrait pas que l’œuvre de relèvement prenne l’aspect d’une sorte de colonisation à la suite de laquelle les Corses continueraient à s’expatrier et à céder la place à des étrangers. La Corse sans les Corses ne serait qu’une terre neutre et cela nous paraît impensable. Le relèvement de l’île ne se conçoit que s’il apporte la prospérité à ses habitants, s’il les retient et même s’il attire à nouveau tous ceux qui l’ont quittée, non sans regret. » À une époque où il n’existait aucun mouvement régionaliste, ces mots résonnent de façon encore plus spéciale.
Cependant, la question de la massification touristique se posera avec davantage d’acuité dans les années 1970. Dans les années 1960, c’est la mise en valeur agricole qui suscite rapidement de fortes tensions.
Même s’il était jugé nécessaire d’attirer en Corse des professionnels plus performants, le rapatriement des Français d’Algérie a eu un impact décisif. Non seulement ils disposaient de compétences techniques et de capacités financières supérieures, mais ils ont bénéficié du soutien spécifique du ministère des Rapatriés et de « prêts spéciaux de reclassement » du Crédit agricole. Ces derniers étaient très avantageux, puisque le taux s’élevait à 2,5% sur trente ans, et ils leur étaient exclusivement réservés.
Cela ne pouvait rester sans réactions. Avant même que les premières terres mises en valeur soient distribuées, la séance du conseil général du 25 mai 1959 fut consacrée à un débat avec le président de la Somivac, et le conseiller communiste Noël Franchini y posa déjà les questions qui seront au centre de la future contestation régionaliste.
« La prépondérance de la Caisse des Dépôts à la direction de la Somivac, les conditions plutôt abusives proposées aux exploitants corses étant donné leurs faibles ressources, étant donné également que les prêts consentis ne peuvent pas être contractés (on ne sait pas pourquoi) par l’intermédiaire du Crédit Agricole corse – tout ceci cause un grand malaise. Nous souhaitons que la mise en valeur de la Corse s’opère rapidement mais nous redoutons que, pour les gens d’ici, il ne reste que la ressource de travailler pour les organismes ayant de grosses possibilités financières et qu’ils soient exploités par eux. […]. Il y a eu également quelques petites maladresses d’apparence vexatoire envers certaines personnes, par exemple à Alzitone où des personnes ont été expulsées de terrains qu’elles occupaient depuis des générations ; ces terrains rentrent dans la catégorie des biens communs qu’il ne faut pas confondre avec les biens communaux ; ces biens communs sont régis par des lois traditionnelles, mais la responsabilité incombe davantage aux Mairies qu’à la Somivac, je tiens à le dire. »
Il est fort possible que ces inquiétudes précoces aient eu un effet immédiat sur les dirigeants de la Somivac, logiquement soucieux d’éviter les crispations. Dans le Bulletin d’information de la Somivac d’août-octobre 1959, le directeur général affirmait que la moitié des 18 premiers lots attribués – à Ghisonaccia – l’avaient été « à des candidats Corses », et reconnaissait ensuite que ces derniers – à une seule exception près – résidaient encore en Afrique du Nord.
Dans son rapport d’information de 1961, le député Neuwirth fut moins diplomate. Il attestait que seize lots avaient été donnés à des agriculteurs venus d’Afrique du Nord, un à un agriculteur venu de Guinée, et le dernier à un Corse. Même s’il était précisé que la moitié des rapatriés avait des origines corses, les critères de choix étaient âprement défendus, pour des raisons : 1/ financières – en certifiant que « peu de Corses habitant l’île » avaient la trésorerie requise –, 2/ techniques et même 3/ « psychologiques ». En quelque sorte, les agriculteurs locaux ne pouvaient garantir la réussite du processus. « Il était indispensable que ces premiers essais de mise en valeur soient une réussite conditionnant l’avenir même du programme de développement et c’est le souci d’exemplarité et d’efficacité qui a amené la désignation des ‘colons’ ; quelle que soit leur origine lointaine, ils apportent à l’île un élément dynamique indispensable et leurs exploitations doivent être autant de noyaux de progrès au milieu de propriétés actuellement sous-cultivées. »
Face à cela, les agriculteurs locaux ont réagi négativement, évoqué une dimension coloniale et aussi mis en évidence un enjeu identitaire. Suivant le président de la chambre, cité par Charles Santoni (in L’Union Corse, n° 4, février-mars 1962), « il ne faudrait pas que l’œuvre de relèvement prenne l’aspect d’une sorte de colonisation à la suite de laquelle les Corses continueraient à s’expatrier et à céder la place à des étrangers. La Corse sans les Corses ne serait qu’une terre neutre et cela nous paraît impensable. Le relèvement de l’île ne se conçoit que s’il apporte la prospérité à ses habitants, s’il les retient et même s’il attire à nouveau tous ceux qui l’ont quittée, non sans regret. » À une époque où il n’existait aucun mouvement régionaliste, ces mots résonnent de façon encore plus spéciale.
Un nouveau régionalisme
L’autonomisme de l’Entre-deux-guerres, trop compromis par des sympathies avec le fascisme, ne laissa pas de legs politique direct. Bien que condamnés par la justice en 1946, Petru Rocca et Hyacinthe Yvia-Croce retrouvèrent une place importante dans le milieu culturel et littéraire. En revanche, ils ne montrèrent pas – du moins en apparence – de nouvelles tentations politiques.
C’est bien un nouveau mouvement régionaliste qui se développa dans les années 1960, qui ne revendiquait aucun héritage de ses aînés. Au surplus, l’une de ses branches avait des orientations idéologiques parfaitement contraires à celles de Rocca et de ses compagnons. Elle naquit et se développa sur le continent, notamment à l’initiative des étudiants corses de Paris, et prit des positions de plus en plus orientées à gauche.
L’Union Corse l’Avenir [UCA], créée en 1963, n’avait initialement rien d’un parti politique. Il s’agissait d’un comité essentiellement uni par le journal éponyme et le combat associatif des étudiants. En janvier 1965, on y affirmait encore « nous ne faisons pas de politique et nous entendons ne pas en faire ». Toutefois, les discours, eux, étaient très politiques, et la question des stratégies d’aménagement y occupaient une place centrale. On y retrouve très tôt la volonté de caractériser la dimension coloniale de la stratégie de l’État. Par exemple, dans le numéro de novembre-décembre 1963, Marc Valery écrit :
« Oui, la Corse est en train de se vendre, il est temps de s’en apercevoir ! Il se passe aujourd’hui chez nous ce qui s’est passé dans bien d’autres pays qui, comme nous, n’avaient pas les moyens financiers de mettre en valeur leur capital naturel. L’argent vient d’ailleurs, s’approprie le capital, le fait prospérer et récupère les profits pour les investir au dehors. À ce compte-là, le tourisme dont on veut faire le levier de la renaissance économique de l’île, ne sera jamais pour nous que le plus sûr moyen de subir ce qui présente toutes les caractéristiques d’une colonisation économique. »
En 1964, c’est en Corse qu’apparaissait une nouvelle organisation régionaliste, le Comité d’Études et de Défense des Intérêts de la Corse [CEDIC], à l’initiative de Max Simeoni et de Paul-Marc Seta. Dès cette même année, leur « manifeste pour l’ethnie corse » développe lui aussi cette idée de colonialisme et dénonce « une politique de privilèges pour des privilégiés », ne profitant nullement aux Corses et les incitant au contraire à quitter leur île. La défense des agriculteurs corses était particulièrement appuyée – « dans l’octroi des crédits et des lotissements, nos compatriotes ne doivent pas être frappés d’ostracisme, sous prétexte qu’ils n’ont ni surface financière, ni connaissances techniques suffisantes » –, ce qui vaudra aux frères Simeoni de très fortes sympathies dans ce milieu.
On retrouve dans le manifeste du CEDIC la même réserve que l’UCA vis-à-vis du combat politique dans sa dimension institutionnelle. En revanche, les auteurs lançaient un appel très net à la mobilisation populaire afin de défendre les droits des Corses et de la Corse, tout en reconnaissant la grande modestie de leurs moyens initiaux. Initialement, la principale activité visible du CEDIC était de partager ses analyses dans les colonnes du journal bastiais L’Informateur Corse. Toutefois, ces mêmes analyses trouveront des échos bien plus sonores.
C’est bien un nouveau mouvement régionaliste qui se développa dans les années 1960, qui ne revendiquait aucun héritage de ses aînés. Au surplus, l’une de ses branches avait des orientations idéologiques parfaitement contraires à celles de Rocca et de ses compagnons. Elle naquit et se développa sur le continent, notamment à l’initiative des étudiants corses de Paris, et prit des positions de plus en plus orientées à gauche.
L’Union Corse l’Avenir [UCA], créée en 1963, n’avait initialement rien d’un parti politique. Il s’agissait d’un comité essentiellement uni par le journal éponyme et le combat associatif des étudiants. En janvier 1965, on y affirmait encore « nous ne faisons pas de politique et nous entendons ne pas en faire ». Toutefois, les discours, eux, étaient très politiques, et la question des stratégies d’aménagement y occupaient une place centrale. On y retrouve très tôt la volonté de caractériser la dimension coloniale de la stratégie de l’État. Par exemple, dans le numéro de novembre-décembre 1963, Marc Valery écrit :
« Oui, la Corse est en train de se vendre, il est temps de s’en apercevoir ! Il se passe aujourd’hui chez nous ce qui s’est passé dans bien d’autres pays qui, comme nous, n’avaient pas les moyens financiers de mettre en valeur leur capital naturel. L’argent vient d’ailleurs, s’approprie le capital, le fait prospérer et récupère les profits pour les investir au dehors. À ce compte-là, le tourisme dont on veut faire le levier de la renaissance économique de l’île, ne sera jamais pour nous que le plus sûr moyen de subir ce qui présente toutes les caractéristiques d’une colonisation économique. »
En 1964, c’est en Corse qu’apparaissait une nouvelle organisation régionaliste, le Comité d’Études et de Défense des Intérêts de la Corse [CEDIC], à l’initiative de Max Simeoni et de Paul-Marc Seta. Dès cette même année, leur « manifeste pour l’ethnie corse » développe lui aussi cette idée de colonialisme et dénonce « une politique de privilèges pour des privilégiés », ne profitant nullement aux Corses et les incitant au contraire à quitter leur île. La défense des agriculteurs corses était particulièrement appuyée – « dans l’octroi des crédits et des lotissements, nos compatriotes ne doivent pas être frappés d’ostracisme, sous prétexte qu’ils n’ont ni surface financière, ni connaissances techniques suffisantes » –, ce qui vaudra aux frères Simeoni de très fortes sympathies dans ce milieu.
On retrouve dans le manifeste du CEDIC la même réserve que l’UCA vis-à-vis du combat politique dans sa dimension institutionnelle. En revanche, les auteurs lançaient un appel très net à la mobilisation populaire afin de défendre les droits des Corses et de la Corse, tout en reconnaissant la grande modestie de leurs moyens initiaux. Initialement, la principale activité visible du CEDIC était de partager ses analyses dans les colonnes du journal bastiais L’Informateur Corse. Toutefois, ces mêmes analyses trouveront des échos bien plus sonores.
L’irruption de la violence
En 1962 déjà, la Corse avait connu quelques attentats signés du Comité Corse pour l’indépendance. Les cinq personnes arrêtées furent condamnées à des peines très légères, un seul à de la prison ferme (pour un an). Toutefois, à partir de 1965, la question des plasticages va prendre un tour nouveau.
À une époque où les nouveaux acteurs régionalistes étaient à peine connus, les élus prenaient de plus en plus clairement le parti de la défense des agriculteurs corses, d’autant qu’ils craignaient de voir la contestation s’amplifier. En novembre 1964, le conseil général votait une motion relative à la distribution des lots du domaine de la Fortef, à Migliacciaro, par la Somivac. Elle cautionnait l’emprunt nécessaire à l’achat du domaine dans la mesure où – selon les mots du rapporteur Charles Galletti – « tous les lots résultant du morcellement de ce domaine devaient être exclusivement attribués aux agriculteurs insulaires ». Ce positionnement des élus eut certainement un effet sur l’action et la communication de la Somivac, mais ne put empêcher l’irruption de contestations plus virulentes.
Parmi les agriculteurs, la colère était déjà bien plus affirmée. Ce même mois de novembre 1964, la réunion de la chambre d’agriculture fut houleuse. Le président François Santoni y affirma que « si par malheur, satisfaction n’était pas accordée aux agriculteurs corses, il y aura des incidents graves et la justice n’y pourra rien. Réfléchissez : lorsqu’on a toujours vécu dans un pays et qu’on a le désir d’y demeurer, on ne s’efface pas pour permettre le recasement d’autres personnes, et le banditisme peut se recréer avec l’assentiment de toute une région. » (L’informateur corse, 5 juillet 1965).
Or, le ministère des Rapatriés était co-financeur de l’opération Fortef, et exigeait à ce titre que la moitié des lots soient donnés à des rapatriés. Les élus exigèrent alors des compensations, à travers la cession d’une partie du domaine de Casabianda à une coopérative d’agriculteurs corses, mais en vain. Le 11 juin 1965, la Somivac attribuait treize des 27 lots de la Fortef à des rapatriés. De plus, selon le président de la chambre d’agriculture, le conseil d’administration de la Somivac, dont il était membre, ne s’était même pas prononcé (Le petit bastiais, 28 juillet 1965).
La réaction fut rapide. Le 27 juin, deux fermes construites par la Somivac sur le domaine de la Fortef étaient plastiquées. Les bombages retrouvés sur les lieux – « La Corse aux Corses », « Somivac 1er avertissement », « À bas le clan », etc. – étaient sans équivoque. Une semaine plus tard, c’est l’appartement – alors inoccupé – du directeur général de la Somivac, René Watin, qui était visé à Bastia (cf. Le Monde, 8 juillet 1965).
À une époque où les nouveaux acteurs régionalistes étaient à peine connus, les élus prenaient de plus en plus clairement le parti de la défense des agriculteurs corses, d’autant qu’ils craignaient de voir la contestation s’amplifier. En novembre 1964, le conseil général votait une motion relative à la distribution des lots du domaine de la Fortef, à Migliacciaro, par la Somivac. Elle cautionnait l’emprunt nécessaire à l’achat du domaine dans la mesure où – selon les mots du rapporteur Charles Galletti – « tous les lots résultant du morcellement de ce domaine devaient être exclusivement attribués aux agriculteurs insulaires ». Ce positionnement des élus eut certainement un effet sur l’action et la communication de la Somivac, mais ne put empêcher l’irruption de contestations plus virulentes.
Parmi les agriculteurs, la colère était déjà bien plus affirmée. Ce même mois de novembre 1964, la réunion de la chambre d’agriculture fut houleuse. Le président François Santoni y affirma que « si par malheur, satisfaction n’était pas accordée aux agriculteurs corses, il y aura des incidents graves et la justice n’y pourra rien. Réfléchissez : lorsqu’on a toujours vécu dans un pays et qu’on a le désir d’y demeurer, on ne s’efface pas pour permettre le recasement d’autres personnes, et le banditisme peut se recréer avec l’assentiment de toute une région. » (L’informateur corse, 5 juillet 1965).
Or, le ministère des Rapatriés était co-financeur de l’opération Fortef, et exigeait à ce titre que la moitié des lots soient donnés à des rapatriés. Les élus exigèrent alors des compensations, à travers la cession d’une partie du domaine de Casabianda à une coopérative d’agriculteurs corses, mais en vain. Le 11 juin 1965, la Somivac attribuait treize des 27 lots de la Fortef à des rapatriés. De plus, selon le président de la chambre d’agriculture, le conseil d’administration de la Somivac, dont il était membre, ne s’était même pas prononcé (Le petit bastiais, 28 juillet 1965).
La réaction fut rapide. Le 27 juin, deux fermes construites par la Somivac sur le domaine de la Fortef étaient plastiquées. Les bombages retrouvés sur les lieux – « La Corse aux Corses », « Somivac 1er avertissement », « À bas le clan », etc. – étaient sans équivoque. Une semaine plus tard, c’est l’appartement – alors inoccupé – du directeur général de la Somivac, René Watin, qui était visé à Bastia (cf. Le Monde, 8 juillet 1965).
Le calme avant la tempête ?
L’origine de ces plasticages ne faisait guère de doute mais les auteurs ne furent jamais confondus, et l’analyse des réactions est instructive. Si les grands élus ont dénoncé ces actes, ils ne se sont pas désolidarisés pour autant des agriculteurs locaux. Par exemple, dans sa motion du 2 août 1965, la fédération des élus républicains, marquée à gauche, « dénonce un changement effectif d’orientation de la politique de la Somivac qui doit faciliter la promotion des petits et moyens agriculteurs corses désireux de mettre en valeur la terre où ils sont nés et sur laquelle ils entendent demeurer » (Le petit bastiais, 5 août 1965).
Quant aux syndicats et aux régionalistes, ils ont surtout accablé la politique de la Somivac. Pour Gisèle Poli, il s’agissait sans conteste d’agriculteurs fiumurbacci révoltés par une injustice insupportable et l’incapacité de leurs élus à défendre efficacement leurs droits (L’Union Corse l’Avenir, n° 20, novembre 1965). Même la CGT, tout en rejetant les « moyens terroristes », fondait son communiqué sur la politique discriminatoire de la Somivac et la nécessité d’une mobilisation générale afin de la faire cesser (Le petit bastiais, 25 juillet 1965).
Sans en arriver là, la création du Comité de défense des intérêts du Fiumorbo, initiée le 18 juillet, fut un événement majeur, notamment car l’instance unissait l’ensemble des élus de la microrégion. C’était naturellement un moyen important d’empêcher la situation de dégénérer, mais aussi de porter efficacement des revendications centrales telles que la remise en cause de l’attribution des lots et la parité financière et technique entre catégories d’agriculteurs. Dès le 30 juillet, le préfet reçut les élus et les assura de « satisfaire un certain nombre de candidatures non retenues, parmi les Fiumorbais ayant les meilleures références » (Le petit bastiais, 31 juillet 1965). En définitive, on n’assista donc pas à une multiplication des actes de violence contre la Somivac et les biens des rapatriés. Au demeurant, le feu couvait déjà.
Quant aux syndicats et aux régionalistes, ils ont surtout accablé la politique de la Somivac. Pour Gisèle Poli, il s’agissait sans conteste d’agriculteurs fiumurbacci révoltés par une injustice insupportable et l’incapacité de leurs élus à défendre efficacement leurs droits (L’Union Corse l’Avenir, n° 20, novembre 1965). Même la CGT, tout en rejetant les « moyens terroristes », fondait son communiqué sur la politique discriminatoire de la Somivac et la nécessité d’une mobilisation générale afin de la faire cesser (Le petit bastiais, 25 juillet 1965).
Sans en arriver là, la création du Comité de défense des intérêts du Fiumorbo, initiée le 18 juillet, fut un événement majeur, notamment car l’instance unissait l’ensemble des élus de la microrégion. C’était naturellement un moyen important d’empêcher la situation de dégénérer, mais aussi de porter efficacement des revendications centrales telles que la remise en cause de l’attribution des lots et la parité financière et technique entre catégories d’agriculteurs. Dès le 30 juillet, le préfet reçut les élus et les assura de « satisfaire un certain nombre de candidatures non retenues, parmi les Fiumorbais ayant les meilleures références » (Le petit bastiais, 31 juillet 1965). En définitive, on n’assista donc pas à une multiplication des actes de violence contre la Somivac et les biens des rapatriés. Au demeurant, le feu couvait déjà.