carte scolaire Midi et Méditerranéen, détail (régions naturelles de la France par Paul Kaeppelin, 1960)
Une plongée dans l’épistémologie de la géographie révèle une certaine difficulté à définir précisément l’objet paysage tout en pointant toutefois une certitude : un paysage n’existe que parce qu’il est observé. Intégrer le paysage dans l’aménagement, c’est donc favoriser « l’irruption du sensible » dans les projets spatiaux, pour reprendre l’expression de Georges Bertrand, sans pour autant renier le tangible.
Définir le paysage
Paul Vidal de la Blache, le père de la géographie moderne, propose dans son Tableau de la Géographie de la France de 1903 une caractérisation exhaustive d’ensembles territoriaux homogènes pouvant correspondre aux régions naturelles françaises et aux micro-régions que nous connaissons en Corse. Cette « description enrichie », comporte deux des trois fondements du paysage : la distinction des régions par leurs caractéristiques biophysiques d’une part, et par l’usage du territoire d’autre part. Bien que se cantonnant aux espaces ruraux, elle jette les bases du paradigme paysager qui sera repris, théorisé et utilisé par certains géographes tout au long du vingtième siècle.
Différents courants animeront un débat épistémologique sur les contours du paysage mais avec Jean-Robert Pitte, on s’approche d’une définition consensuelle : « l’expression observable par les sens à la surface de la Terre de la combinaison entre la nature, les techniques et la culture des hommes [...] ne pouvant être appréhendée que dans sa dynamique ». En mobilisant la culture, il ajoute un troisième niveau de lecture du paysage, celui de la représentation collective des espaces environnants. Les géographes toulousains vont encore plus loin dans cette direction avec le « système GTP » pour géosystème, territoire, paysage : la démarche paysagère reposerait sur un continuum à trois niveaux intégrant une part tangible (un milieu biophysique composite), une part fonctionnelle (l’utilisation de ce milieu selon certaines techniques et pour satisfaire certains besoins), et enfin une part idéelle (les représentations individuelles et collectives de ce milieu-ressource).
Dans son article sur le maquis, Jean-Michel Sorba offre un bel exemple d’application du paradigme paysager : le maquis recouvre une réalité biophysique ; il existe donc comme un milieu au sens des écologues. Il est le dépositaire d’une histoire agraire spécifique ; il est donc approprié comme territoire. Enfin, il charrie son lot de représentations qui varient et s’hybrident pour lui donner une identité.
C’est l’association de ces trois paramètres qui permet d’utiliser le paysage comme un levier de concertation dans le cadre d’une démarche de médiation paysagère. Le milieu biophysique cantonne la discussion ; le territoire dans sa matérialité, ses usages et ses dynamiques, constitue une référence commune ; tandis que l’idéel permet d’interpréter différemment son environnement, d’apporter de la nuance et de mettre à jour les aspects identitaires du paysage, qui pourront éventuellement constituer une ressource par la suite. Le paysage est rassembleur et sa prise en compte peut permettre d’utiliser des méthodes d’évaluation et de gouvernance participatives : parcours commenté, collecte de témoignages, focus groups thématiques, définition en commun de chartes paysagères locales... Une mise en tension des pratiques et des récits pourra également mettre en lumière le rôle de « faiseurs de paysages » qui s’ignorent.
Différents courants animeront un débat épistémologique sur les contours du paysage mais avec Jean-Robert Pitte, on s’approche d’une définition consensuelle : « l’expression observable par les sens à la surface de la Terre de la combinaison entre la nature, les techniques et la culture des hommes [...] ne pouvant être appréhendée que dans sa dynamique ». En mobilisant la culture, il ajoute un troisième niveau de lecture du paysage, celui de la représentation collective des espaces environnants. Les géographes toulousains vont encore plus loin dans cette direction avec le « système GTP » pour géosystème, territoire, paysage : la démarche paysagère reposerait sur un continuum à trois niveaux intégrant une part tangible (un milieu biophysique composite), une part fonctionnelle (l’utilisation de ce milieu selon certaines techniques et pour satisfaire certains besoins), et enfin une part idéelle (les représentations individuelles et collectives de ce milieu-ressource).
Dans son article sur le maquis, Jean-Michel Sorba offre un bel exemple d’application du paradigme paysager : le maquis recouvre une réalité biophysique ; il existe donc comme un milieu au sens des écologues. Il est le dépositaire d’une histoire agraire spécifique ; il est donc approprié comme territoire. Enfin, il charrie son lot de représentations qui varient et s’hybrident pour lui donner une identité.
C’est l’association de ces trois paramètres qui permet d’utiliser le paysage comme un levier de concertation dans le cadre d’une démarche de médiation paysagère. Le milieu biophysique cantonne la discussion ; le territoire dans sa matérialité, ses usages et ses dynamiques, constitue une référence commune ; tandis que l’idéel permet d’interpréter différemment son environnement, d’apporter de la nuance et de mettre à jour les aspects identitaires du paysage, qui pourront éventuellement constituer une ressource par la suite. Le paysage est rassembleur et sa prise en compte peut permettre d’utiliser des méthodes d’évaluation et de gouvernance participatives : parcours commenté, collecte de témoignages, focus groups thématiques, définition en commun de chartes paysagères locales... Une mise en tension des pratiques et des récits pourra également mettre en lumière le rôle de « faiseurs de paysages » qui s’ignorent.
Construire et non subir
Une étude conduite dans les Pyrénées a montré que l’impact paysager des pratiques pastorales dépassait le simple cadre de la conduite rationnelle de l’exploitation ovine, les bergers agissant consciemment ou non pour l’embellissement ou la préservation des espaces pâturés.
À Pigna, l’association syndicale libre Orte di Quì regroupe une trentaine de propriétaires et encourage la valorisation des parcelles autrefois productives, valorisation agronomique en premier lieu, mais également valorisation paysagère incluant la restauration du petit patrimoine en pierre sèche. Cet été, la centaine d’habitants permanents, les résidents intermittents et les nombreux visiteurs ont pu constater en juillet et en août de la présence sur la place de l’église d’un stand de fruits et légumes en vente directe. Cette petite production agroécologique, directement issue des arpents regagnés sur le maquis et accessibles au regard -l’ancien circulu-, est indissociable des considérations paysagères.
Ce modeste étal se veut un des premiers jalons dans la transition d’un paysage fermé à un paysage nourricier. Ne pas céder à la fatalité face à l’emmaquisement ne signifie pas pour autant s’affranchir de cet écosystème, dont l’odeur ravit mais qui ne permet pas de subvenir aux besoins alimentaires locaux. Une voie intermédiaire se fait jour : considérer le système paysager comme un milieu-ressource en regagnant des positions sur le maquis qui devient alors un écosystème productif. Pour cela commune souhaite prochainement investir la thématique de l’alimentation en prolongeant le travail d’Orte di Quì au travers de la création d’un ensemble de lieux et de dispositifs, un projet ambitieux qui en est à ses balbutiements.
L’action publique peut-elle, dans ces circonstances, se passer d’une réflexion sur le paysage et l’ensemble de représentations que suscite le territoire communal ? Autrefois couvert de blé, d’orge, d’arbres fruitiers et d’oliviers, celui-ci est aujourd’hui essentiellement emmaquisé. Là où un ancien pourra déplorer cette réalité, un visiteur, et parfois même un habitant, verra un ensemble « naturel », « agréable au regard » ou « propice à la promenade ». La médiation paysagère est justifiée par ce genre de hiatus. Les représentations divergent, de même que les pratiques de l’espace et, au bout du compte, le paysage reflète les errements de ceux qui en ont collectivement la charge. Une société qui se cherche produit des paysages qui lui ressemblent.
Investir le champ de l’alimentation c’est au contraire proposer un projet structurant : elle est un processus complexe qui s’étend, selon la formule consacrée, de la fourche à la fourchette. Proposer une lecture du paysage sous ce prisme, c’est accepter la notion de paysage agri-alimentaire comme la manifestation visible des choix et possibilités alimentaires d’une société. Il s’agit à la fois de la forme des espaces cultivés, de la présence de lieux de transformation (un moulin, une usine...), du tissu commercial à disposition et des espaces de consommation. Ainsi, à Pigna, le retour à une alimentation de proximité peut-être un levier de construction paysagère rapide et structurante.Ce modeste étal se veut un des premiers jalons dans la transition d’un paysage fermé à un paysage nourricier. Ne pas céder à la fatalité face à l’emmaquisement ne signifie pas pour autant s’affranchir de cet écosystème, dont l’odeur ravit mais qui ne permet pas de subvenir aux besoins alimentaires locaux. Une voie intermédiaire se fait jour : considérer le système paysager comme un milieu-ressource en regagnant des positions sur le maquis qui devient alors un écosystème productif. Pour cela commune souhaite prochainement investir la thématique de l’alimentation en prolongeant le travail d’Orte di Quì au travers de la création d’un ensemble de lieux et de dispositifs, un projet ambitieux qui en est à ses balbutiements.
L’action publique peut-elle, dans ces circonstances, se passer d’une réflexion sur le paysage et l’ensemble de représentations que suscite le territoire communal ? Autrefois couvert de blé, d’orge, d’arbres fruitiers et d’oliviers, celui-ci est aujourd’hui essentiellement emmaquisé. Là où un ancien pourra déplorer cette réalité, un visiteur, et parfois même un habitant, verra un ensemble « naturel », « agréable au regard » ou « propice à la promenade ». La médiation paysagère est justifiée par ce genre de hiatus. Les représentations divergent, de même que les pratiques de l’espace et, au bout du compte, le paysage reflète les errements de ceux qui en ont collectivement la charge. Une société qui se cherche produit des paysages qui lui ressemblent.
Quel paysage voulons-nous?
L’occasion est trop belle de se demander : de quel paysage agri-alimentaire voulons-nous collectivement ? Souhaitons-nous réduire les dépendances au commerce alimentaire conventionnel ? Comment nous représentons-nous notre territoire et comment sommes-nous prêts à le reprendre en main ?
Dans cette recherche de sens d’abord, et de méthode ensuite, il n’est pas inutile de garder en tête l’intérêt économique de valoriser un paysage productif. Ainsi en est-il de plusieurs appellations d’origine (AOP), notamment oléicoles, qui incluent dans leur cahier des charges des considérations paysagères. Ces produits d’exception ne détiennent pas l’exclusivité de la valorisation par le lieu et le paysage. Ainsi en Grèce, la « Patata Naxou », la pomme de terre de Naxos, est plébiscitée sur les marchés par les insulaires vivant à Athènes car elle leur rappelle leur île dans tout ce qu’elle représente. Il s’agit d’un achat identitaire. A Pigna, malgré un prix plus élevé des légumes de l’étal, certains habitants ont plaisir à acheter les produits hyper-locaux, cultivés dans des lieux qu’ils connaissent.
Loin d’être l’apanage des seuls paysagistes, le paysage peut donc constituer un support d’échange et de projection collective, utile pour un développement réellement concerté. La possibilité d’en faire une lecture thématique, comme à Pigna avec l’alimentation, démultiplie les possibilités de projets ciblés et adaptés aux enjeux propres à chaque territoire. Finalement, le « flou épistémologique » qui règne autour du paysage ne serait-il pas sa force ?
Dans cette recherche de sens d’abord, et de méthode ensuite, il n’est pas inutile de garder en tête l’intérêt économique de valoriser un paysage productif. Ainsi en est-il de plusieurs appellations d’origine (AOP), notamment oléicoles, qui incluent dans leur cahier des charges des considérations paysagères. Ces produits d’exception ne détiennent pas l’exclusivité de la valorisation par le lieu et le paysage. Ainsi en Grèce, la « Patata Naxou », la pomme de terre de Naxos, est plébiscitée sur les marchés par les insulaires vivant à Athènes car elle leur rappelle leur île dans tout ce qu’elle représente. Il s’agit d’un achat identitaire. A Pigna, malgré un prix plus élevé des légumes de l’étal, certains habitants ont plaisir à acheter les produits hyper-locaux, cultivés dans des lieux qu’ils connaissent.
Loin d’être l’apanage des seuls paysagistes, le paysage peut donc constituer un support d’échange et de projection collective, utile pour un développement réellement concerté. La possibilité d’en faire une lecture thématique, comme à Pigna avec l’alimentation, démultiplie les possibilités de projets ciblés et adaptés aux enjeux propres à chaque territoire. Finalement, le « flou épistémologique » qui règne autour du paysage ne serait-il pas sa force ?