Echappées raconte une île, un été aux allures de paradis, une châtaigneraie isolée du monde. Six femmes y ont trouvé refuge avec leurs enfants. Pulsation des corps, des voix et des sens, liberté de rire, danser, jouer : dans cet abri protégé de la violence, la vie renaît. Mais au fil des jours l’utopie se lézarde. Des tensions apparaissent, les passions se réveillent, le passé ressurgit et ses secrets menacent d’éclater.
Vannina Bernard-Leoni :
Dès les premières pages de votre livre, on comprend que la châtaigneraie sera un personnage à part entière du roman. « Cette nuit, la châtaigneraie a de la fièvre. Elle est la proie de ses habitantes, de leurs ombres labourant ses murs et des gosses qui s’y percutent, jeu de quilles et têtes qui tournent, à ce jeu-là c’est le plus fort qui gagne toujours. »
Pourquoi ce choix ?
Pourquoi ce choix ?
Manon Jouniaux :
Je ne sais pas si j’ai véritablement choisi ce lieu. Je crois plutôt que c’est une image qui s’est imposée à moi, à un moment de ma vie où j’avais besoin d’un refuge. J’étais déjà en train d’écrire ce livre, mais uniquement centré sur la relation et l’histoire de Sophie et l’Enfant. Un soir, alors que j’étais en train d’écrire une nouvelle fois sur la violence qu’elles vivaient au quotidien, j’en ai eu marre. J’ai eu besoin tout à coup de leur offrir un échappatoire. Un lieu où être heureuses, libres, entourées d’autres femmes, d’autres enfants qui auraient vécu la même chose, et aux côtés de qui elles pourraient espérer se reconstruire. C’était, je crois, une manière de nous sauver toutes les trois. Les paysages de mon enfance me sont revenus brutalement en mémoire. Cette châtaigneraie, l’image de cette grande maison perdue entre les arbres ne m’a plus jamais quittée. Échappées était né.
Vannina Bernard-Leoni :
Dans ce livre, le lien entre le lieu et les personnages qui y vivent est très fort. Il engendre presque un mimétisme. Je me permets de citer un passage qui m’a particulièrement touchée « Anita exhale la terre sèche, calcinée par le soleil, les châtaignes cuites au feu de bois. Sa chair est imprégnée par le ramassage, le labeur ayant à mesure du temps déposé dans ses plis le parfum tannique et entêtant des feuilles mortes. Peau accordéon, tavelée et cuirassée comme une bogue, que les enfants s’amusent à faire glisser sous leurs doigts, interrogeant sans pudeur de leurs petites voix effilées le corps arqué de l’aïeule, cette vieillesse qu’ils questionnent en permanence. » Vous y croyez à la relation entre les lieux et les gens, « tra locu & populu » ? Est-ce une relation qui créé du commun ? de l’enfermement ?
Manon Jouniaux :
Je crois qu’on finit toujours par ressembler aux territoires qu’on habite. Comme on finit inévitablement par ressembler, même un peu, à nos parents. C’est parfois complètement insupportable, parfois étrangement réconfortant. Anita - l’un des personnages de mon roman - a vécu dans cette châtaigneraie toute sa vie. À mesure du temps et du labeur, elles sont devenues toutes les deux indissociables. On a l’impression qu’elles sont comme une sorte de miroir l’une de l'autre. J’ai beaucoup travaillé sur leur relation pendant l’écriture du roman. Anita est un personnage socle, elle est un rempart contre l’oubli, tant des savoir-faire que d’une certaine manière de vivre, engagée, simple, tournée vers la nature, l’entraide et le collectif. La destinée de ces hommes et de ces femmes qui dédient leurs vies à leurs terres, en prennent soin comme un membre de leur famille, m’émeut beaucoup. Au travers d’Anita, j’avais envie de leur rendre hommage.
Vannina Bernard-Leoni :
Dans votre livre, la Corse est très présente, très incarnée. Ses paysages, sa langue, ses plantes, sa cuisine…
« C’est le délice de la répétition, depuis des décennies : la pulenda de châtaignes, faite avec les derniers fruits de la récolte passée, en gage de réussite pour celle à venir ; la soupe aux haricots et au lard fumante et au-dessus de laquelle se forme une petite peau grasse que l’on aspire à grand bruit ; les carottes fanes rôties au four, parsemées de copeaux de tomme de brebis, de romarin et d’huile d’olive ; les courgettes farcies à la brousse qui fondent sous la langue. Et en maîtresse de la tablée, la viande, le sanglier sauvage qui gémit, noyé dans la sauce, la croûte dorée et croustillante de sa chair brune, l’embrun salé qui s’en gage. »
Pourtant, vous ne citez pas explicitement l’île. Pourquoi ?
« C’est le délice de la répétition, depuis des décennies : la pulenda de châtaignes, faite avec les derniers fruits de la récolte passée, en gage de réussite pour celle à venir ; la soupe aux haricots et au lard fumante et au-dessus de laquelle se forme une petite peau grasse que l’on aspire à grand bruit ; les carottes fanes rôties au four, parsemées de copeaux de tomme de brebis, de romarin et d’huile d’olive ; les courgettes farcies à la brousse qui fondent sous la langue. Et en maîtresse de la tablée, la viande, le sanglier sauvage qui gémit, noyé dans la sauce, la croûte dorée et croustillante de sa chair brune, l’embrun salé qui s’en gage. »
Pourtant, vous ne citez pas explicitement l’île. Pourquoi ?
Manon Jouniaux :
C’est avant tout par pudeur, je crois. Je ne suis pas née en Corse, je n’ai pas de racines ni de famille sur cette île. Je suis arrivée là un peu par hasard, lorsque j’avais cinq ans. J’y ai vécu neuf ans. Mon tout premier souvenir, c’est la mer. Tout me ramène sans cesse à cet endroit, et en même temps, rien ne m’y attache. C’est un lien extrêmement fragile. En lisant Échappées, on reconnaît l’île tout de suite si on y a déjà vécue. C’est comme un clin d’œil entre moi et le lecteur qui s’y reconnaît. Et pour autant ça n’exclut pas ceux qui ne connaissent pas la Corse ou pourraient ne pas s’y retrouver. Certains y voient une terre complètement imaginaire, ou une île italienne. J’aime aussi l’idée de cet ailleurs, qui n’enferme jamais le récit quelque part, à un endroit et à une époque précise.
C’est avant tout par pudeur, je crois. Je ne suis pas née en Corse, je n’ai pas de racines ni de famille sur cette île. Je suis arrivée là un peu par hasard, lorsque j’avais cinq ans. J’y ai vécu neuf ans. Mon tout premier souvenir, c’est la mer. Tout me ramène sans cesse à cet endroit, et en même temps, rien ne m’y attache. C’est un lien extrêmement fragile. En lisant Échappées, on reconnaît l’île tout de suite si on y a déjà vécue. C’est comme un clin d’œil entre moi et le lecteur qui s’y reconnaît. Et pour autant ça n’exclut pas ceux qui ne connaissent pas la Corse ou pourraient ne pas s’y retrouver. Certains y voient une terre complètement imaginaire, ou une île italienne. J’aime aussi l’idée de cet ailleurs, qui n’enferme jamais le récit quelque part, à un endroit et à une époque précise.
Vannina Bernard-Leoni :
La Corse semble toujours favoriser des questionnements sur l’identité, la légitimité, l’appartenance, avec en corollaire le besoin d’y échapper justement… Ce sont des interrogations que vous cultivez ? Par des lectures ? des conversations ?
La Corse semble toujours favoriser des questionnements sur l’identité, la légitimité, l’appartenance, avec en corollaire le besoin d’y échapper justement… Ce sont des interrogations que vous cultivez ? Par des lectures ? des conversations ?
Manon Jouniaux :
Pendant longtemps, ces questions identitaires m’ont beaucoup perturbée. J’ai souvent déménagé durant mon enfance et mon adolescence. Les départs incessants ont fait que je n’ai jamais pu m’attacher durablement à un endroit, à une maison en particulier. Quand on me demande d’où je viens, j’ai toujours du mal à répondre. Je crois que cette sensation de ne jamais être chez moi quelque part a renforcé mon appétence pour la lecture et l’écriture. Les livres sont devenus mon foyer, la littérature ma véritable maison.
Dans le texte que j’écris en ce moment, mes personnages sont directement concernés par ces questions identitaires, et expérimentent le rejet des autres. Je me rends compte que mes personnages ne sont jamais vraiment à leurs places dans le territoire qu’ils habitent, qu’ils ont en commun de ne pas tout à fait adhérer au monde qui semble se dérouler sans eux. C’est un lien au monde qui me passionne et qui me plaît d’explorer.
Dans le texte que j’écris en ce moment, mes personnages sont directement concernés par ces questions identitaires, et expérimentent le rejet des autres. Je me rends compte que mes personnages ne sont jamais vraiment à leurs places dans le territoire qu’ils habitent, qu’ils ont en commun de ne pas tout à fait adhérer au monde qui semble se dérouler sans eux. C’est un lien au monde qui me passionne et qui me plaît d’explorer.
Vannina Bernard-Leoni :
Vous avez achevé la relecture de votre roman dans le Nebbiu, au sein de la Fabrica Culturale Providenza. Qu’est-ce que ça vous a apporté ?
Vous avez achevé la relecture de votre roman dans le Nebbiu, au sein de la Fabrica Culturale Providenza. Qu’est-ce que ça vous a apporté ?
Manon Jouniaux :
Providenza a été une grande chance pour moi et pour le livre, et pour cause : cette résidence est située en plein cœur d’une châtaigneraie ! Pendant ces trois semaines, j’ai renoué avec ce territoire de mon enfance, à la fois familier et étranger. J’ai retrouvé les odeurs, les couleurs de l’île. J’ai passé des heures à randonner, à observer la végétation, les châtaigniers alors en floraison, les insectes, les oiseaux, tout ce qui vivait autour de moi. Je notais tout, pour être certaine de ne perdre aucun détail. En rentrant à Paris, j’ai parsemé tous ces fragments de vie dans le texte. Cette expérience a énormément enrichi Échappées.
Providenza a été une grande chance pour moi et pour le livre, et pour cause : cette résidence est située en plein cœur d’une châtaigneraie ! Pendant ces trois semaines, j’ai renoué avec ce territoire de mon enfance, à la fois familier et étranger. J’ai retrouvé les odeurs, les couleurs de l’île. J’ai passé des heures à randonner, à observer la végétation, les châtaigniers alors en floraison, les insectes, les oiseaux, tout ce qui vivait autour de moi. Je notais tout, pour être certaine de ne perdre aucun détail. En rentrant à Paris, j’ai parsemé tous ces fragments de vie dans le texte. Cette expérience a énormément enrichi Échappées.
Vannina Bernard-Leoni :
Etes-vous attentive aux œuvres qui évoquent la Corse ? Vous avez des complicités artistiques sur l’île ?
Etes-vous attentive aux œuvres qui évoquent la Corse ? Vous avez des complicités artistiques sur l’île ?
Manon Jouniaux :
J’ai beaucoup d’affection pour le travail de Mattea Riu, une jeune artiste bastiaise et que j’ai connu à l’ENSAPC, ou nous avons toutes les deux fait nos études. C’est d’ailleurs grâce à elle que j’ai découvert le travail d’une cinéaste corse que j’apprécie particulièrement, Marie-Jeanne Tomasi. Enfin, j’ai beaucoup d’admiration pour le travail artistique de Laure Limongi, mon ancienne professeure d’écriture et mentor.