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L’eau : mémoires et horizons

De par le parcours auquel elle renvoie, de par les divers aspects qu’elle peut prendre, l’eau constitue, bien au-delà de sa fonction de ressource et de seul repère spatial, un indice essentiel à la mesure du temps, météorologique, chronologique. Elle devient alors un révélateur, celui d'une diversité ontologique à prendre en considération. Suivons Ghjacumina Acquaviva-Bosseur pour mieux comprendre son indispensable dimension anthropologique.



L'espace et le Temps, indissociables

Charles E. Burchfield
Charles E. Burchfield
A Festa di i Morti au mois de novembre est une première illustration de cette imbrication de l'Espace et du Temps. Inscrite dans le calendrier agricole, cette période marque une étape de transition importante, et les intempéries y jouent un rôle déterminant pour les récoltes de l’année suivante.
Ainsi en retrouvant leurs lieux et leurs familles, i Morti témoigneraient de leur satisfaction à recevoir l’offrande de l’eau apaisant leur soif, ou au contraire, leur réprobation face à l’oubli des leurs, qui provoquerait alors de vives inondations. Par le don et contre-don, une sorte de « devoir de mémoire » unit les humains et les non humains de la Mort à la Vie, et inversement. Ainsi c’est une cohésion collective que l’on appelle en Corse à travers les usages de l’eau, par-delà et malgré les disparités et les conflits souvent dues aux dérives individualistes.

Partages et frictions

L’image du partage et des usages traditionnels de l’eau révèle également des lieux de frictions, qui appellent une régulation des usages de l'eau. Discordes certainement nécessaires à la réactualisation d’un accord collectif relatifs aux rythmes, à l'équilibre des usages d’une l’eau dont le circuit est par essence fluctuant et aléatoire.

Cette idée du partage peut s’illustrer également à travers l’exploitation des fontaines qui sont très souvent des étapes essentielles aux parcours : lieux de repos, de repas, de rencontres organisées ou fortuites, ces fontaines étaient avant tout des lieux de vie. Peppu Flori rappelle dans Ricordi di zitellina en 1965, ces retrouvailles organisées autour a Funtana Vechja bordant le village de l’Acquale, cet espace-temps annonçait  le retour d'un nouveau cycle,  ou la Muntagnera des familles qui arrivaient de Falasorma.
Dans l’imaginaire collectif des insulaires, l’eau ne correspond pas uniquement à un élément naturel, source de convoitise et de pouvoir, mais plutôt à une énergie vitale. L'eau, sous toutes ses formes, revêt les attributs d'un véritable acteur social avec lequel il s’agit d’établir un équilibre, par le biais d’interactions équilibrées, essentielles à l'équilibre du cycle vie-mort-renaissance, gage de fertilité à préserver.

Cycles et gestion de l'eau

Sous ses formes multiples, liquide (pluies, neige, condensations, gel…) l’eau de par la circulation des fluides qu’elle permet d’observer et de mesurer, renvoie à une conception du Temps cyclique et confère un caractère sacré à son parcours. « Acqua currente ùn tomba ghjente » ce proverbe implicitement insiste sur la nécessité de savoir optimiser le parcours et l’équilibre d’un circuit plutôt que de penser l’eau en termes de stockage et d’accumulation.
Dans une perspective analogiste, à savoir dans la perspective d'un Monde composé d'une multitudes d'interactions entre humains et non-humains, reste encore bien présente dans l'imaginaire collectif méditerranéen; L'eau revêt les attributs d’un acteur social sacré qui relie le ciel à la Terre et inversement.

Les cycles de lune ont permis aux hommes de mesurer combien les mouvements terrestres avaient une incidence sur la circulation des fluides qui rythme la régénérescence du Vivant.
Ainsi observer la lune, renvoie à une conception du temps plurielle, observable selon une variation de positionnements : au-delà d’une date unique et figée pour tous, ce Temps prendra en compte le climat, le degré de l’humidité comme la température, perçus à un moment donné en un lieu donné. Ainsi à Venacu on attendait « a luna à corna manca » (la lune décroissante) cù Bianchina (la neige) sur la Lattiniccia (montagne la plus élevée de la région) pour annoncer le temps de l’abattage des porcs puis le travail de conservation des viandes optimisé grâce aux conditions permise par un Temps (météorologiques, et chronologiques, ou le calendrier lunaire) qui en corse se présente comme Dieu: Sì Di' vole si pò dunque cummincià à tumbà.
Encore une fois, le modèle naturaliste de gestion des énergies s’oppose à cette capacité à gérer la fluctuation des phénomènes, et la diversité des aménagements empiriquement envisageables. Dans la pensée analogiste, le modèle de gestion admet plusieurs formes de réponses à un besoin commun : mulini, piove, canalette, ponti à centu chjave (aqueduc), matrali (barrage), matre (retenue d’eau)...

Le terme « Matre » désigne à la fois la Mère et une retenue d’eau alimentant un réseau plus ou moins étendu dans les zones cultivées autours des villages, i Circuli. 
De par sa symbolique, l’eau se trouve en étroite relation avec une figure féminine essentielle, archétype de la fécondité, descendante de l’antique Déesse Mère : la Vierge Marie. L’île est d’ailleurs placée sous sa protection et le culte marial est toujours très pratiqué en Corse. Il est à noter que ces dates marquent souvent le départ des intempéries caractéristiques des changements de saison. Le 15 août, fête de Marie mais aussi fête de nombreuses communes, annonçait les premiers orages de haute montagne ou des potentielles crues en plaine. Ces dates correspondent bien à des étapes économiques charnières du calendrier agro-pastoral.
La Vierge Marie, comme Bianchina (la neige), correspond à ce que la pensée analogique européenne, antérieure à la Renaissance, considérait comme une allégorie de la vie, soit de l’Eau en circulation essentielle à la création (« U naturale » cet espace-temps qui permet une Naissance/ natura).

Vie et Mort, Ambivalence

Les grands traits de la symbolique de l’Eau à travers l’imaginaire collectif insulaire reprennent ceux d’une énergie ambivalente (Vie/Mort) dont l’intérêt est au cœur des luttes économiques politiques, et religieuses, anciennes et contemporaines. L’eau est bien un élément essentiel à la délimitation et la gestion des espaces-temps. E tempare désignent les quatre intempéries, marquant l’articulation des saisons, et Timparà évoquent aussi l’arrosage essentiel aux récoltes. La dimension aléatoire du Temps cyclique si représentatif de la pensée analogique, peut s'illustrer dans l'expression "sapè cunnosce stagioni è tèmpare" indiquant combien la de la mise en convergence d'éléments issus de l'expérience relève d'un'arte, un savoir-faire  ou plutôt un savoir-observer, relatif à l'anticipation des aléas météorologiques.
L’eau a été utilisée par les naturalistes, comme une délimitation spatiale naturelle pour séparer les territoires. Or, ses fluctuations questionnent les imaginaires, ainsi que les notions de Limites, Propriétés, Appropriation, Traitement ou Partage des eaux….
L’eau unit dans un mouvement d’éternel retour, l’espace au temps, la terre au ciel, et inversement.

C’est certainement en prenant en considération ces mémoires que l’on peut expliquer les conflits et les difficultés à accepter l’idée contemporaine d’une gestion de l’eau, ou des notions telles « réseaux de distribution ou d’assainissement », qui réduise l’eau à une denrée économique privatisée, dénuée de toute autre forme d’appartenance aux collectifs. Cette vision révolutionne les représentations ancestrales de l’eau, énergie produite par et pour un bien nécessairement Commun et Vivant.
Pourtant l’Homme doit aujourd’hui, apprendre ou réapprendre à observer, agir et gérer le cours, et le mouvement des eaux, dans une perspective méditerranéenne élargie, voire, mondiale, prompte à valoriser la biodiversité par de-là l’anthropocentrisme économique dominant.

En guise de prolongement : Cuntrastu per l'Acque. D'Alzi Mozzu (Lozzi)

Eccu quindi chì a puesia palesa a so funzione cumutaria: E lìtiche per l'acqua ci sò sempre state, puru à mezu à i paesi avvezzi à a vicinanza è a variatezza di e faccende.
E donne scimattulite, è meze salvatichite, da chjamà à supranà a puntìa è a zerga. Accore un accunsentu à truvà da assicurà pace è a circulera di l'Acqua di u Cumunu.
 
Tempu è laziu m'hè vinutu,
È, tutt'aghju à u mio desiu.
Un chjappuzzu incunnisciutu,
Stamane, vi face invìu
Di st'ùmile letterinu
Per parlà vi di u vicinu.
 
Stamperete ste canzone
Curregendune l'errore.
Susate, sgiò Direttore,
S'io vi dò st'occupazione :
Hè un cuntrastu frà donne
ch'ùn mi lascianu più dorme.
 
Cusì, versu mezanotte
- Oh! le donne scellerate !-
Maritate è giuvanotte
Mi levanu e mo sunnate,
Armate di zapperelle
Per innacquà l'orticelle.
 
Una dice : « I mei sò secchi ! »
Quill'altra : « Sò stramuriti ! »
- Sì tù i tocchi ti rinfreschi!
Lenta una cù i so striti.
È cusì, in la nuttata,
Nasce una bell'inzuffata.
 
Ma frà tutte ci n'hè una
Propiu di gattivu tigliu
Di pilame un pocu bruna,
Figlia d'Agata è di Trigliu ;
Per l'intistu hè di e fiere ;
Vole l'acqua, di putere.
 
S'intoppanu per i capelli,
Isse povare disgraziate.
Sò propiu teatri belli
Di vedele schermigliate.
È per fà la ancu più bella,
Si piglianu per a cannella.
 
U carrughju di Tittella
Pò piglià numaru primu :
Quì, ùn la difende nimu,
L'acqua corre da per ella.
Parlu francu è liberale,
Ùn vulendu à nimu male.
 
S'è sò gattivi à l'Acquale,
Ùn sò mai cum'è à Lozzi,
Chì custì, in generale
Sò i primi pè li tallozzi
Da l'alba à l'avè Maria ;
Ùn vi contu una bugia.
 
Allungheria u cuncettu,
Fendu longu lu sermone,
Da empie n'ancu un librettu ;
Ma mentre facciu canzone,
E pecure sò indù l'orzu
Ed eiu mi stò à lu rozu.
 
 
 
 
D'Alzi Mozzu
(Ghjacumu Santucci di Lozzi)
 

È In fine.... U paese, comme un parcours, celui de l'Eau.

Eccu una maraviglia di cartugrafia di u parcorsu di l'Acque di a Casanova, hè stata fatta da Petru Casanova. Petru, ci permette di misurà quantu u parcorsu di l'Acqua face un paese, e so strette, i so carrughji i so cìrculi o e so faccende. Per pudè campà in paese, dicianu l'anziani ci vole à cunnosce "u Naturale" (intesu ciò chì face nasce, è more), ci vole à sapè "allivà" l'acqua quantu ch'ella sia una criatura da custudisce.
L'acqua di a Casanova - P. Casanova
L'acqua di a Casanova - P. Casanova


 
Dimanche 30 Janvier 2022
Ghjacumina Acquaviva-Bosseur


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