Yoann Giovannoni
Pourquoi l’avenir m’intéresse ? À cette question, je réponds par la bouche de l’un des plus grands philosophes de notre temps, Woody Allen, « l’avenir m’intéresse parce que c’est là que j’ai décidé de passer mes prochaines années ».
Là, bien sûr, c’est le temps. Pour lui, pour moi, pour nous, pour tous.
L’espace, pour moi, pour nous, c’est la Corse, la Corse dans le monde, tête d’épingle sur le globe terrestre, lui-même tête d’épingle dans l’univers.
Quelle Corse ? Si la Corse a été, depuis toujours, une machine à fabriquer les Corses, il faut savoir aujourd’hui qu’elle a en face d’elle une machine encore plus puissante, qui est capable – si l’on n’y prend garde – de fabriquer un peuple étranger sur sa propre terre.
Car les Corses ont autant fait la Corse que la Corse les a faits.
Certes, et tous les voyageurs pressés l’ont écrit sans exclusive, il faut célébrer la beauté sauvage de ses paysages naturels. Et faire l’impossible pour la conserver.
Mais nous, qui d’un regard patient avons parcouru et les siècles et les choses, savons que la vie sur cette île a été un long rapport de lutte et d’apprivoisement, entre l’homme et la nature.
Partout, pour celui qui sait voir, les signes de cette lutte et de cet apprivoisement affleurent : de l’eau de nos plaines canalisée par des drains souterrains aux rochers de nos montagnes fendus en pierre à construire, tout nous enseigne le travail de l’homme, l’équilibre, le rapport dialectique.
C’est de ce rapport que naît l’identité, comme réponse spécifique de chaque moment de l’aventure humaine, dans un lieu et une situation donnés.
Et l’identité, ce qui rend un être humain, une communauté, identifiables, se manifeste sous la forme d’un ensemble complexe de comportements que l’on a l’habitude de réunir sous le vocable : culture.
C’est pourquoi nous devons inventer, hic et nunc, les réponses dont l’avenir est gros, c’est-à-dire une nouvelle culture.
Car ne croyons pas que nos paysages nous sauverons : c’est nous qui devons assurer leur sauvegarde, et, mieux encore, nous sauver ensemble.
Mais ce n’est pas un hasard si se sauver peut aussi vouloir dire s’enfuir. Il ne peut en aucun cas s’agir d’autre chose qu’un acte de courage, de résistance et d’esprit offensif à la fois. Car toute panique, produisant soit la débandade soit le repli, serait mortelle.
Or, la culture, c’est la vie.
La Culture ? Je laisse ici la parole à Montesquieu, dans les Lettres Persanes : « Je suppose qu’on ne souffrît dans un royaume que les arts absolument nécessaires qui sont pourtant en grand nombre, et qu’on en bannît tous ceux qui ne servent qu’à la volupté ou à la fantaisie ; je le soutiens, cet État serait un des plus misérables qu’il y eût au monde.
Fais bien attention jusqu’où vont les revenus de l’industrie. Un fonds ne produit annuellement à son maître que la vingtième partie de sa valeur ; mais avec une pistole de couleur un peintre fera un tableau qui lui en vaudra cinquante. On en peut dire de même des orfèvres, des ouvriers en laine, en soie, et de toutes sortes d’artisans.
De tout ceci on doit conclure, que, pour qu’un prince soit puissant, il faut que ses sujets vivent dans les délices ; il faut qu’il travaille à leur procurer toutes sortes de superfluités avec autant d’attention que les nécessités de la vie. »
Donc, les délices de la vie, c’est cela la culture. Oui mais vient alors immédiatement à l’esprit une nouvelle question : qu’est-ce que la vie ?
Je propose une réponse simple : la vie, c’est l’intelligence en action.
Je sais que vous allez me pousser plus loin en me demandant : qu’est-ce que l’intelligence en action ?
Et bien je répondrais que c’est tout à la fois, pour un être humain comme pour une société, produire de la richesse (c’est le rôle de l’économie) produire du sens (c’est la responsabilité de l’économie identitaire) et produire de la justice sociale (c’est la fonction de l’économie solidaire).
Riche parmi les pauvres, pauvre parmi les riches, la Corse doit inventer une nouvelle transhumance, un nouveau transfert de richesses, du Nord vers le Sud en Méditerranée, du littoral vers l’intérieur en elle-même.
Oui mais, dans tout cela, où est l’écologie ?
Je donnerais à titre d’exemple une information qui me paraît conjuguer l’économie écologique, identitaire et solidaire.
« Mon pauvre ami, je crois que tu es atteint de cette maladie que Lawrence Durrell appelle l’islomanie. » Ce fut le diagnostic de Predrag Matvejevitch, en 1995, à l’occasion de notre rencontre en préalable au Jardin de la Connaissance de Cargese, consacré à la Méditerranée.
Je l’avoue, sur le moment, je conçus plus de fierté que d’inquiétude à être ainsi épinglé par l’auteur du Bréviaire Méditerranéen dont la lecture m’avait procuré de véritables bonheurs.
Puis le temps passa et je n’y pensai plus. Mais à la lecture d'une nouvelle livraison de la revue scientifique, Sciences & Avenir, je m’aperçus que non seulement j’étais toujours islomane, mais que j’en portais l’une des formes les plus aiguës, l’islandomanie.
Ceci parce que, à en croire sa rédactrice -Rachel Léaux - un certain Hermann Kuipers, de la Shell, aurait déclaré : « le carburant de l’avenir est sans conteste l’hydrogène ».
Quel rapport, me direz-vous ? Mais c’est très clair : on sait aujourd’hui produire une énergie inépuisable et non polluante par simple électrolyse de l’eau.
D’accord, mais que fait l’Islande dans cette affaire ?
Si vous étiez islomane, vous prêteriez plus d’attention à cette petite île de 100 000 km², située à 287 km du Groenland, peuplée de 270 000 habitants qui se chauffent depuis longtemps grâce aux eaux volcaniques dont la nature a gorgé leur sous-sol.
Pas comme nous, qui avons comblé ces mêmes sources pour y couler le béton d’une centrale électrique qui nous pollue délicieusement au fuel, mais ceci est une diversion et revenons à l’Islande.
L’Islande, donc, a décidé qu’à partir de 2010 tous les véhicules circulant sur son sol et toute sa flotte de bateaux seraient alimentés à l’hydrogène produit par l’électrolyse de « son » eau.
Et, encore plus fort, que d’ici 2030, toute son industrie aussi. Vous comprenez pourquoi, malgré – ou à cause – de mon amour pour la Corse, mon islomanie est de tendance islandomaniaque.
Et pourquoi, au lieu de proclamer que la Corse est française ou de réclamer qu’elle devienne indépendante, je rêve d’être islandais. À moins que l’on puisse importer de là-bas une autre énergie, elle aussi non polluante et inépuisable : l’intelligence.
Mais, bien sûr, si on la trouvait sur place, cela ferait une belle économie.
Parce que de l’eau, nous en avons.
Là, bien sûr, c’est le temps. Pour lui, pour moi, pour nous, pour tous.
L’espace, pour moi, pour nous, c’est la Corse, la Corse dans le monde, tête d’épingle sur le globe terrestre, lui-même tête d’épingle dans l’univers.
Quelle Corse ? Si la Corse a été, depuis toujours, une machine à fabriquer les Corses, il faut savoir aujourd’hui qu’elle a en face d’elle une machine encore plus puissante, qui est capable – si l’on n’y prend garde – de fabriquer un peuple étranger sur sa propre terre.
Car les Corses ont autant fait la Corse que la Corse les a faits.
Certes, et tous les voyageurs pressés l’ont écrit sans exclusive, il faut célébrer la beauté sauvage de ses paysages naturels. Et faire l’impossible pour la conserver.
Mais nous, qui d’un regard patient avons parcouru et les siècles et les choses, savons que la vie sur cette île a été un long rapport de lutte et d’apprivoisement, entre l’homme et la nature.
Partout, pour celui qui sait voir, les signes de cette lutte et de cet apprivoisement affleurent : de l’eau de nos plaines canalisée par des drains souterrains aux rochers de nos montagnes fendus en pierre à construire, tout nous enseigne le travail de l’homme, l’équilibre, le rapport dialectique.
C’est de ce rapport que naît l’identité, comme réponse spécifique de chaque moment de l’aventure humaine, dans un lieu et une situation donnés.
Et l’identité, ce qui rend un être humain, une communauté, identifiables, se manifeste sous la forme d’un ensemble complexe de comportements que l’on a l’habitude de réunir sous le vocable : culture.
C’est pourquoi nous devons inventer, hic et nunc, les réponses dont l’avenir est gros, c’est-à-dire une nouvelle culture.
Car ne croyons pas que nos paysages nous sauverons : c’est nous qui devons assurer leur sauvegarde, et, mieux encore, nous sauver ensemble.
Mais ce n’est pas un hasard si se sauver peut aussi vouloir dire s’enfuir. Il ne peut en aucun cas s’agir d’autre chose qu’un acte de courage, de résistance et d’esprit offensif à la fois. Car toute panique, produisant soit la débandade soit le repli, serait mortelle.
Or, la culture, c’est la vie.
La Culture ? Je laisse ici la parole à Montesquieu, dans les Lettres Persanes : « Je suppose qu’on ne souffrît dans un royaume que les arts absolument nécessaires qui sont pourtant en grand nombre, et qu’on en bannît tous ceux qui ne servent qu’à la volupté ou à la fantaisie ; je le soutiens, cet État serait un des plus misérables qu’il y eût au monde.
Fais bien attention jusqu’où vont les revenus de l’industrie. Un fonds ne produit annuellement à son maître que la vingtième partie de sa valeur ; mais avec une pistole de couleur un peintre fera un tableau qui lui en vaudra cinquante. On en peut dire de même des orfèvres, des ouvriers en laine, en soie, et de toutes sortes d’artisans.
De tout ceci on doit conclure, que, pour qu’un prince soit puissant, il faut que ses sujets vivent dans les délices ; il faut qu’il travaille à leur procurer toutes sortes de superfluités avec autant d’attention que les nécessités de la vie. »
Donc, les délices de la vie, c’est cela la culture. Oui mais vient alors immédiatement à l’esprit une nouvelle question : qu’est-ce que la vie ?
Je propose une réponse simple : la vie, c’est l’intelligence en action.
Je sais que vous allez me pousser plus loin en me demandant : qu’est-ce que l’intelligence en action ?
Et bien je répondrais que c’est tout à la fois, pour un être humain comme pour une société, produire de la richesse (c’est le rôle de l’économie) produire du sens (c’est la responsabilité de l’économie identitaire) et produire de la justice sociale (c’est la fonction de l’économie solidaire).
Riche parmi les pauvres, pauvre parmi les riches, la Corse doit inventer une nouvelle transhumance, un nouveau transfert de richesses, du Nord vers le Sud en Méditerranée, du littoral vers l’intérieur en elle-même.
Oui mais, dans tout cela, où est l’écologie ?
Je donnerais à titre d’exemple une information qui me paraît conjuguer l’économie écologique, identitaire et solidaire.
« Mon pauvre ami, je crois que tu es atteint de cette maladie que Lawrence Durrell appelle l’islomanie. » Ce fut le diagnostic de Predrag Matvejevitch, en 1995, à l’occasion de notre rencontre en préalable au Jardin de la Connaissance de Cargese, consacré à la Méditerranée.
Je l’avoue, sur le moment, je conçus plus de fierté que d’inquiétude à être ainsi épinglé par l’auteur du Bréviaire Méditerranéen dont la lecture m’avait procuré de véritables bonheurs.
Puis le temps passa et je n’y pensai plus. Mais à la lecture d'une nouvelle livraison de la revue scientifique, Sciences & Avenir, je m’aperçus que non seulement j’étais toujours islomane, mais que j’en portais l’une des formes les plus aiguës, l’islandomanie.
Ceci parce que, à en croire sa rédactrice -Rachel Léaux - un certain Hermann Kuipers, de la Shell, aurait déclaré : « le carburant de l’avenir est sans conteste l’hydrogène ».
Quel rapport, me direz-vous ? Mais c’est très clair : on sait aujourd’hui produire une énergie inépuisable et non polluante par simple électrolyse de l’eau.
D’accord, mais que fait l’Islande dans cette affaire ?
Si vous étiez islomane, vous prêteriez plus d’attention à cette petite île de 100 000 km², située à 287 km du Groenland, peuplée de 270 000 habitants qui se chauffent depuis longtemps grâce aux eaux volcaniques dont la nature a gorgé leur sous-sol.
Pas comme nous, qui avons comblé ces mêmes sources pour y couler le béton d’une centrale électrique qui nous pollue délicieusement au fuel, mais ceci est une diversion et revenons à l’Islande.
L’Islande, donc, a décidé qu’à partir de 2010 tous les véhicules circulant sur son sol et toute sa flotte de bateaux seraient alimentés à l’hydrogène produit par l’électrolyse de « son » eau.
Et, encore plus fort, que d’ici 2030, toute son industrie aussi. Vous comprenez pourquoi, malgré – ou à cause – de mon amour pour la Corse, mon islomanie est de tendance islandomaniaque.
Et pourquoi, au lieu de proclamer que la Corse est française ou de réclamer qu’elle devienne indépendante, je rêve d’être islandais. À moins que l’on puisse importer de là-bas une autre énergie, elle aussi non polluante et inépuisable : l’intelligence.
Mais, bien sûr, si on la trouvait sur place, cela ferait une belle économie.
Parce que de l’eau, nous en avons.
Ce texte est tiré d'une intervention prononcée à Corte le 20 novembre 2001.
Nous avons décidé de le publier pour prolonger la réflexion entamée dans une précédente livraison autour de l'hydrogène.
Nous avons décidé de le publier pour prolonger la réflexion entamée dans une précédente livraison autour de l'hydrogène.