Chacun de nous a, plantées dans le cœur, des étoiles d’enfance. Leur lumière ne faiblit jamais et, tapies dans ce tabernacle sacré et inviolable, elles bordent discrètement les tortueux sentiers et chemins empruntés tout au long de notre vie.
C’est à la source de cette lumière-là que se révèle et s’amasse l’essentiel de mes moissons photographiques. C’est aussi à cette source que s’épanche mon désir de tracer le cadastre poétique de ma vie de photographe et d’homme de passage sur cette terre, bornée de rêves et de lucidité mêlés.
Je déambule pour la énième fois dans les ruelles du village, de Tippone à Querci Secchi, elles sont là, tout au fond de mon être, ces lucioles enfantines ! Dans le froid matin de novembre ou la brûlante fin d’après-midi de juillet, en saluant Paul affairé dans son jardin, je ressens leur chaleur jusqu’au bout du doigt qui appuie sur le déclencheur. Au bar, qui heureusement existe toujours, c’est à elles que je lève d’abord mon verre puis avec les autres. Tout à l’heure en entrant, c’est un peu de leur fluide que j’ai transmis, je le crois profondément, en serrant les mains amicales.
Toutes ces petites choses anodines, bien appréhendées, bien comprises, aimées et saisies à la volée dans ce minuscule territoire qu’est ce petit village de Castagniccia me font, en fin de compte, prendre le large et mettre le cap vers le pays lointain de mes forêts intérieures. Là, où demeurent toutes les âmes envolées, où se sont réfugiés mes fantômes du souvenir, tous ceux à qui nous devons d’avoir amassé, une à une, toutes ces pierres qui aujourd’hui encore nous racontent les histoires faites de sueur et de sang, mais aussi d’amour et de joie dont nous sommes désormais les derniers dépositaires. Parfois je rêve, qu’en une seule photo, je pourrais dire tout cela. Cette photo, je le sais, je ne la ferai jamais ! Alors j’ai pris le parti du contre-pied et j’accumule, je fais et le plus souvent je refais, encore et toujours, des photos qui disent le même secret, qui traduisent la même émotion, qui tracent la même gravité. Rien de nostalgique ici, ne nous y trompons pas, mais, au contraire, un désir furieux de vivre l’instant présent.
Simon me court après et essoufflé me rejoint à la hauteur de la fontaine. Il a quelque chose à me dire. Nous venons de boire le coup ensemble et il n’a pas ouvert la bouche. Mon livre In paese est sorti la semaine dernière, j’attendais donc quelques réactions durant cette petite heure passée au bar avec quelques « paesani » de mes amis. Mais personne n’a osé émettre le moindre avis. Rien ! « Ce livre, Bernard, c’est pour la mémoire, hein ? C’est pour se souvenir, c’est ça ? » Simon me livre, en même temps que son regard, tout son être de père qui vient de perdre un fils. Il met à hauteur de mon œil de photographe l’immensité de l’insondable condition humaine. Il me communique ce vertige. Dans la poche, j’ai la main posée sur mon appareil photo. En osant faire ce portrait de Simon, là en un centième de seconde, je l’aurais peut-être eu cette photo, l’unique photo dont je parlais plus haut. Je n’en fais rien. Je l’apaise en lui disant qu’il a tout compris : « Oui, Simon, c’est pour se souvenir ». Et je rajoute, sans être certain qu’il l’entende « Et pour tous ceux qui viendront après nous, plus tard, bien plus tard… » Il y a de rares moments dans la vie qui nous sont donnés de vivre. Ils sont d’une telle vérité, d’une telle universelle humanité, qu’ils n’ont besoin de rien d’autre que de cette magie de l’instant absolu. Vouloir en saisir et en retenir l’intensité, ne serait-ce qu’à l’aide d’une simple photo, serait de l’ordre du sacrilège et risquerait d’éteindre une petite étoile.
C’est à la source de cette lumière-là que se révèle et s’amasse l’essentiel de mes moissons photographiques. C’est aussi à cette source que s’épanche mon désir de tracer le cadastre poétique de ma vie de photographe et d’homme de passage sur cette terre, bornée de rêves et de lucidité mêlés.
Je déambule pour la énième fois dans les ruelles du village, de Tippone à Querci Secchi, elles sont là, tout au fond de mon être, ces lucioles enfantines ! Dans le froid matin de novembre ou la brûlante fin d’après-midi de juillet, en saluant Paul affairé dans son jardin, je ressens leur chaleur jusqu’au bout du doigt qui appuie sur le déclencheur. Au bar, qui heureusement existe toujours, c’est à elles que je lève d’abord mon verre puis avec les autres. Tout à l’heure en entrant, c’est un peu de leur fluide que j’ai transmis, je le crois profondément, en serrant les mains amicales.
Toutes ces petites choses anodines, bien appréhendées, bien comprises, aimées et saisies à la volée dans ce minuscule territoire qu’est ce petit village de Castagniccia me font, en fin de compte, prendre le large et mettre le cap vers le pays lointain de mes forêts intérieures. Là, où demeurent toutes les âmes envolées, où se sont réfugiés mes fantômes du souvenir, tous ceux à qui nous devons d’avoir amassé, une à une, toutes ces pierres qui aujourd’hui encore nous racontent les histoires faites de sueur et de sang, mais aussi d’amour et de joie dont nous sommes désormais les derniers dépositaires. Parfois je rêve, qu’en une seule photo, je pourrais dire tout cela. Cette photo, je le sais, je ne la ferai jamais ! Alors j’ai pris le parti du contre-pied et j’accumule, je fais et le plus souvent je refais, encore et toujours, des photos qui disent le même secret, qui traduisent la même émotion, qui tracent la même gravité. Rien de nostalgique ici, ne nous y trompons pas, mais, au contraire, un désir furieux de vivre l’instant présent.
Simon me court après et essoufflé me rejoint à la hauteur de la fontaine. Il a quelque chose à me dire. Nous venons de boire le coup ensemble et il n’a pas ouvert la bouche. Mon livre In paese est sorti la semaine dernière, j’attendais donc quelques réactions durant cette petite heure passée au bar avec quelques « paesani » de mes amis. Mais personne n’a osé émettre le moindre avis. Rien ! « Ce livre, Bernard, c’est pour la mémoire, hein ? C’est pour se souvenir, c’est ça ? » Simon me livre, en même temps que son regard, tout son être de père qui vient de perdre un fils. Il met à hauteur de mon œil de photographe l’immensité de l’insondable condition humaine. Il me communique ce vertige. Dans la poche, j’ai la main posée sur mon appareil photo. En osant faire ce portrait de Simon, là en un centième de seconde, je l’aurais peut-être eu cette photo, l’unique photo dont je parlais plus haut. Je n’en fais rien. Je l’apaise en lui disant qu’il a tout compris : « Oui, Simon, c’est pour se souvenir ». Et je rajoute, sans être certain qu’il l’entende « Et pour tous ceux qui viendront après nous, plus tard, bien plus tard… » Il y a de rares moments dans la vie qui nous sont donnés de vivre. Ils sont d’une telle vérité, d’une telle universelle humanité, qu’ils n’ont besoin de rien d’autre que de cette magie de l’instant absolu. Vouloir en saisir et en retenir l’intensité, ne serait-ce qu’à l’aide d’une simple photo, serait de l’ordre du sacrilège et risquerait d’éteindre une petite étoile.