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Histoire du régime douanier de la Corse française (1ère partie)



Dans la mémoire collective, la Corse a souffert d’un régime douanier spécifique imposé par la loi du 24 avril 1818 qui aurait été la cause principale de l’effondrement de l’économie insulaire à la fin du XIXe siècle.
Jean-Yves Coppolani, historien du droit, propose un examen attentif de l’histoire de ce régime. Dans ce premier article, il choisit d’éclairer la période 1768-1815 au cours de laquelle s’élabore une tradition législative qui préfigure la loi de 1818 et témoigne de l'importance des enjeux immédiatement perçus par la France, entre production et fiscalité, droit commun et spécificité.



Histoire du régime douanier de la Corse française (1ère partie)
Après le Traité de Versailles du 15 mai 1768, la Corse resta un royaume distinct de celui de France, cloisonné par des barrières de traites (terme qui désignait à l’époque aussi bien les douanes intérieures que frontalières). Des droits de douane furent donc logiquement maintenus entre la Corse et la France. Entre 1768 et 1789, furent édictés vingt-sept textes douaniers publiés dans le Code Corse. Les trois plus importants sont :
1° l’ordonnance de l’intendant Chardon du 24 décembre 1768 qui avait pour principaux objectifs d’améliorer le ravitaillement de l’île, prévenir les famines et favoriser le commerce avec la France sous pavillon français ;
2° l’ordonnance de l’intendant Colla de Pradines du 14 décembre 1771 qui développait les objectifs précédents, supprimait les droits de douane pour le cabotage sous pavillon français et favorisait l’exportation des productions agricoles corses ;
3° l’arrêt du Conseil du Roi du 12 mai 1784, complété par deux autres du 26 juillet suivant, qui codifiait le régime douanier de la Corse et promouvait l’exportation de productions insulaires, traditionnelles telles que celles de l’apiculture, et nouvelles comme les faïences, les tuiles, les briques, les toiles, les lins et les chanvres…

Pendant cette période, comme durant la domination génoise et sous les gouvernements nationaux, les douanes jouèrent notamment le rôle de substitut des impôts : ces derniers en effet, étaient de peu de rapport en raison de la pauvreté des contribuables, de la réticence à l’impôt et d’une faible circulation monétaire. C’est pour cela que lorsqu’en 1776, Turgot accepta à la demande des Etats Généraux de Corse d’accorder à l’île un privilège de port franc, supprimant par là tout droit de douane, cette option très avantageuse butta sur la difficulté de trouver d’autres recettes pour remplacer les douanes. Cette idée de port franc fut reprise dans les cahiers de doléances mais la Révolution était désormais hostile aux privilèges.
 

L’époque de la Révolution française

En janvier 1790, fut publié par lettres patentes royales, le décret de l’Assemblée Nationale du 30 novembre 1789 qui intégrait l’île dans « l’empire », c’est-à-dire le territoire français, et la Corse était officiellement érigée en département le 19 novembre 1790. Deux semaines auparavant, par le décret du 31 octobre-5 novembre 1790, l’Assemblée Nationale abolissait les traites ou douanes entres les différentes parties du Royaume de France. Ainsi, les droits de douane entre la Corse et le continent français étaient supprimés et il était édicté un tarif uniforme aux frontières. Mais dans la même période et même avec quelques jours d’anticipation, le Conseil Général, présidé par le vice-président Felce en l’absence de Paoli, délibérait les 17 et 18 octobre 1790 sur la réorganisation des douanes dans l’île et décidait, le 25 novembre suivant, de maintenir le régime des arrêts du Conseil du Roi de 1784 en diminuant les droits de moitié.

Ces délibérations étaient manifestement illégales puisque les douanes n’étaient pas de la compétence du Conseil Général. Cette illégalité fut délibérément assumée par les autorités départementales corses : les décrets douaniers de l’Assemblée Nationale ne furent pas publiés dans la Collection des lois et décrets pour faire suite au Code Corse émanant du Conseil Général, et le Procureur-Général-Syndic Arena ne fit aucun rappel à la loi alors que c’était son rôle.  

Dans les derniers mois de l’Assemblée Nationale, à la fin du printemps 1791, un député lyonnais, spécialiste des questions douanières, Louis Goudard, fut chargé de préparer un projet de régime spécifique pour la Corse comme pour les îles de l’Atlantique. L’objectif était d’éviter qu’elles ne facilitent l’entrée en France de marchandises de contrebande. Le projet supprimait les droits de douane avec l’étranger, ce qui aboutissait à un dispositif partiel de zone franche mais des droits étaient perçus entre Corse et continent selon le tarif général, à l’exception de certaines productions insulaires sous condition de formalités et de contrôle des agents de la Régie Nationale des Douanes garantissant que des marchandises étrangères ne seraient pas introduites sur le continent comme provenant de Corse.
 
Ce projet ne paraît pas avoir intéressé les élus corses et ne fut jamais voté ni par l’Assemblée Constituante, ni par la Législative. La raison pour laquelle le Conseil Général n’a voulu ni du droit commun douanier français, ni du projet Goudard, malgré les avantages qu’ils comportaient pour l’économie de l’île, est évidente : dans les deux cas, les droits perçus en Corse auraient été minorés par rapport au dispositif illégalement maintenu, mais surtout, les recettes auraient été perçues par la Régie Nationale des Douanes et non par le Département. Or, les rentrées fiscales étant très déficientes, les ressources douanières étaient vitales pour les finances départementales. De plus, le Conseil Général n’aurait pas disposé des quelque quatre-vingts emplois de douaniers pour les distribuer à son gré...

Le 4 germinal an II (24 mars 1794), en raison de la guerre, il était interdit à la Corse et autres îles dépendantes de la France, toute relation commerciale avec l’étranger. Ce texte resta lettre morte en raison de la sécession de Paoli et la proclamation du governo separato quelques semaines plus tard.  Le régime institué en 1790 fut donc maintenu jusqu’à ce que sous le Royaume anglo-corse, le Parlement de Bastia vote le 13 avril 1795 un long décret sur les douanes. Sanctionné par le Roi et devenu loi, il mettait en place un dispositif dont l’économie générale rappelait celui de 1784 mais avec quelques nouveautés. Selon l’exposé des motifs, l’objectif était de trouver des recettes complémentaires pour le Trésor et d’assurer l’équilibre de la balance commerciale. Cette loi manifestait aussi le souci de favoriser le ravitaillement de l’île, la modernisation de l’agriculture et la production manufacturière. Etaient exemptées de droits, les importations venant de Grande-Bretagne sous pavillon anglais. Le Parlement corse espérait une réciprocité… Les marchandises corses ou venant de l’étranger sous pavillon anglais étaient elles aussi exemptées de droits de sortie.

Lorsque le départ des Britanniques permit le retour des autorités françaises, le régime de 1790 fut rétabli et même légalisé discrètement, de façon implicite et provisoire, par l’arrêté du Directoire du 5 fructidor an VI (22 août 1798).
 

L’époque napoléonienne

Sous le Consulat, l’administrateur général Miot constatant que les douanes étaient « le seul produit de l’île » maintint temporairement « la perception qui n’a jamais cessé d’exister sur les denrées importées ou exportées réciproquement de la Corse en France et de France en Corse ». Ce sont là les termes d’une lettre au ministre de l’Intérieur Chaptal, datée du lendemain de son arrêté sur les douanes du 16 prairial an IX (5 juin 1801). Ce texte modifiait intelligemment le dispositif antérieur en favorisant le ravitaillement, les exportations des principales productions insulaires, la modernisation de l’agriculture et la création de manufactures. Il contenait même une incitation à l’étude de la physique et des mathématiques…
Parallèlement, Miot conseillait au Premier Consul d’instaurer, dès que possible, le droit commun douanier, ce qui fut fait par l’arrêté consulaire du 6 prairial an X (27 mai 1802). C’était la première fois que les barrières douanières entre Corse et continent étaient supprimées. Un autre arrêté de Miot du 15 messidor an X (4 juillet 1802) mettait en application ce nouveau régime localement. Les moyens mis en œuvre pour la surveillance des quelque mille kilomètres de côtes furent certainement insuffisants et la contrebande prospéra rapidement. La Corse apparaissait donc comme une brèche dans le dispositif douanier français.

Très mécontent, obnubilé qu’il était par la réussite du Blocus Continental, Napoléon voulut mettre fin à cette situation de façon radicale. Il signa le 12 juillet 1808, à Bayonne, un décret impérial qui ne fut pas publié au Bulletin des Lois, selon lequel la Corse, l’île d’Elbe et Capraja n’étaient « plus soumises au régime des douanes » c’est-à-dire hors du périmètre douanier français. Ce qui eut pour conséquence de supprimer les droits sur les marchandises venant de l’étranger et donc toute raison de fraude. La plupart des douaniers désormais inutiles furent licenciés, le peu qui resta dépendit de la direction de Livourne. L’importation de marchandises anglaises demeura prohibée en application du Blocus Continental. Les infractions les plus graves relevaient de la Cour Prévôtale des Douanes de Florence. Quant aux exportations de la Corse, elles étaient considérées comme venant d’un pays étranger n’ayant pas d’accord commercial avec l’Empire français et taxées comme telles à leur arrivée sur le continent. Le paiement devait être garanti par acquis à caution que devait se faire délivrer tout navire quittant la Corse même à destination d’un autre port de l’île…      

Cet isolement commercial de la Corse aggravé par l’embargo qui frappait depuis le 20 avril 1808 la Sardaigne n’était pas tenable. Dès 1809, quelques dérogations étaient acceptées par l’Empereur notamment pour les exportations de vin. Deux ans plus tard, lors de la réunion du Golo et du Liamone pour rétablir le département de la Corse, le Décret impérial du 24 avril 1811 concernant l’organisation administrative et judiciaire de la Corse se terminait par un titre VI intitulé De l’introduction des Denrées du Crû de la Corse en France en exemption de droits de douane. C’était un assouplissement des contraintes de 1808. C’était aussi le véritable texte fondateur du régime douanier particulier de la Corse pendant le siècle qui suivit. Il contenait sa philosophie et l’essentiel du dispositif. Les importations dans l’île de marchandises continentales se faisaient en franchise. Il en était encore de même de celles provenant de l’étranger toujours dans le souci de supprimer l’incitation à la contrebande… Les exportations de l’île vers le continent français étaient taxées selon le tarif général sauf certaines productions corses dont l’origine devait être certifiée pour être exemptées de droits de douane. Afin d’éviter la fraude consistant à faire passer des produits étrangers pour corses, Napoléon voulut limiter la liste de ces exceptions à des denrées agricoles à l’état brut : par exemple, alors que Miot favorisait en 1801 l’exportation des cuirs, Napoléon se limita aux peaux de bovins sèches et « en poils ». Cette liste était par ailleurs relativement brève : mis à part les peaux, elle comprenait les huiles d’olives, le miel, les amandes, les noix, les cédrats, les citrons, les cires jaunes non ouvrées et les vins.


La seconde partie de l'étude de Jean-Yves Coppolani : https://www.rivistarobba.com/Histoire-du-regime-douanier-de-la-Corse-francaise-2-partie_a202.html 
 
Dimanche 26 Juin 2022
Jean-Yves Coppolani


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