Pour répondre à la proposition de Roland Hayrabédian d’imaginer ce que pourraient être aujourd’hui les douze travaux d’Hercule, j’ai été amené à faire retour vers la mythologie et ses créatures dont on ne sait où commence le monstre et où finit la norme. Où commence l’animal, le végétal, et où finit l’humain. Ces passages, ces transitions, ces allers et retours d’un monde à un autre m’ont fait penser au vocabulaire musical et aux métaboles que l’on retrouve aussi bien dans le répertoire le plus ancien que dans la création contemporaine et dans notre précieuse tradition vocale.
Cette série de 2023, « Les douze travaux d’Hercule », se compose de 12 gravures à l’eau-forte, format demi raisin, (50x32,5 cm); les tirages couleurs ont été exécutés par Hervé Quilichini.
1 - Tuer le lion de Némée/Le bouclier anti-missile
2 - Tuer l’hydre de Lerne/Les champs pétrolifères
3 - Capturer le sanglier d’Erymanthe/L’agriculture industrielle
4 - S’emparer de la biche de Cérynie/Les Jeux Olympiques
5 - Abattre les oiseaux du lac de Stymphale/Les drones tueurs
6 - Capturer le taureau de Crète/La circulation automobile
7 - Dompter les juments de Diomède/L’énergie nucléaire
8 - Prendre sa ceinture à Hippolyte/MeToo
9 - Nettoyer les écuries d’Augias/ Le traitement des déchets
10 - Voler les bœufs de Géryon/L’élevage et la boucherie industriels
11 - Rapporter les pommes d’or des Hespérides/La finance, versus spéculation
12 - Ramener Cerbère, le gardien des enfers/La finance, versus Fort Knox
Pour accompagner cette série, on peut aussi relire le texte d'Ivan Illich sur le concept de "crise".
1 - Tuer le lion de Némée/Le bouclier anti-missile
2 - Tuer l’hydre de Lerne/Les champs pétrolifères
3 - Capturer le sanglier d’Erymanthe/L’agriculture industrielle
4 - S’emparer de la biche de Cérynie/Les Jeux Olympiques
5 - Abattre les oiseaux du lac de Stymphale/Les drones tueurs
6 - Capturer le taureau de Crète/La circulation automobile
7 - Dompter les juments de Diomède/L’énergie nucléaire
8 - Prendre sa ceinture à Hippolyte/MeToo
9 - Nettoyer les écuries d’Augias/ Le traitement des déchets
10 - Voler les bœufs de Géryon/L’élevage et la boucherie industriels
11 - Rapporter les pommes d’or des Hespérides/La finance, versus spéculation
12 - Ramener Cerbère, le gardien des enfers/La finance, versus Fort Knox
Pour accompagner cette série, on peut aussi relire le texte d'Ivan Illich sur le concept de "crise".
La crise vue par Ivan Illich
On appelle aujourd'hui « crise » ce moment où médecins, diplomates, banquiers et ingénieurs sociaux de tous bords prennent la situation en main et où des libertés sont supprimées. Les nations, comme les malades, connaissent des crises. Le terme grec krisis, signifiant « choix, moment décisif », a été repris par toutes les langues modernes pour signifier : « Chauffeur, appuyez sur le champignon... ». Le mot « crise » évoque aujourd'hui une menace sinistre, mais enrayable moyennant un surcroît d'argent, de main-d’œuvre et d'organisation. La thérapeutique intensive pour les malades, la prise en charge bureaucratique des victimes de la discrimination et la fission nucléaire pour les dévorateurs d'énergie sont, sous ce rapport, des parades typiques.
Comprise ainsi, la crise est toujours bénéfique aux administrateurs et aux commissaires, comme aux récupérateurs qui se nourrissent des effets secondaires indésirables de la croissance d'hier : les éducateurs qui vivent de l'aliénation de la société, les médecins qui prospèrent parce que le travail et les loisirs ont détruit la santé, les politiciens qui s'engraissent de la distribution des fonds d'aide sociale, constitués précisément par ceux-là mêmes qui sont à présent assistés. La crise comprise comme une nécessité de se procurer plus d'essence ne se limite pas à confier au conducteur une puissance accrue, tout en resserrant d'un cran la ceinture de sécurité des passagers ; elle justifie également la dégradation de l'espace, du temps et des ressources au bénéfice des véhicules motorisés et au détriment des gens qui veulent se servir de leurs jambes.
Mais le mot « crise » n'a pas forcément ce sens. Il n'implique pas nécessairement une ruée forcenée vers l'escalade de la gestion. Il peut au contraire signifier l'instant du choix, ce moment merveilleux où les gens deviennent brusquement conscients de la cage où ils se sont enfermés eux-mêmes, et de la possibilité de vivre autrement. Et cela, c'est la crise à laquelle sont confrontés les États-Unis, mais aussi le monde entier – c'est l'instant du choix.
Ivan Illich, "Le chômage créateur", in Œuvres complètes, volume 2, Paris, Fayard, 2005. 1ère éd. française, Seuil, 1977), pp. 29-30.
Comprise ainsi, la crise est toujours bénéfique aux administrateurs et aux commissaires, comme aux récupérateurs qui se nourrissent des effets secondaires indésirables de la croissance d'hier : les éducateurs qui vivent de l'aliénation de la société, les médecins qui prospèrent parce que le travail et les loisirs ont détruit la santé, les politiciens qui s'engraissent de la distribution des fonds d'aide sociale, constitués précisément par ceux-là mêmes qui sont à présent assistés. La crise comprise comme une nécessité de se procurer plus d'essence ne se limite pas à confier au conducteur une puissance accrue, tout en resserrant d'un cran la ceinture de sécurité des passagers ; elle justifie également la dégradation de l'espace, du temps et des ressources au bénéfice des véhicules motorisés et au détriment des gens qui veulent se servir de leurs jambes.
Mais le mot « crise » n'a pas forcément ce sens. Il n'implique pas nécessairement une ruée forcenée vers l'escalade de la gestion. Il peut au contraire signifier l'instant du choix, ce moment merveilleux où les gens deviennent brusquement conscients de la cage où ils se sont enfermés eux-mêmes, et de la possibilité de vivre autrement. Et cela, c'est la crise à laquelle sont confrontés les États-Unis, mais aussi le monde entier – c'est l'instant du choix.
Ivan Illich, "Le chômage créateur", in Œuvres complètes, volume 2, Paris, Fayard, 2005. 1ère éd. française, Seuil, 1977), pp. 29-30.