L'avenir des statues / The Future of Statues, René Magritte, 1937. Classification: relief; Medium: Peinture à l'huile sur plâtre Dimensions: 33 cm x 16,5 cm x 20,3 cm Référence au catalogue de la Tate Gallery: T03258
Les œuvres de Magritte pratiquent le décalage entre l'objet et sa représentation. Dans La Trahison des images, la peinture est utilisée à deux niveaux distincts : présenter l'image d'une pipe et inscrire au dessous la phrase "Ceci n'est pas une pipe".
L’artiste affirme que l'image de l'objet n'est pas l'objet, comme la carte n'est pas le territoire. Magritte l’a déclaré lui-même : « La fameuse pipe, me l’a-t-on assez reprochée ! Et pourtant, pouvez-vous la bourrer ma pipe ? Non, n’est-ce pas, elle n’est qu’une représentation. Donc si j’avais écrit sous mon tableau "ceci est une pipe", j’aurais menti ! » De la même façon, le mot « pipe » ne recouvre pas son objet.
Par ailleurs, si l'on s'en tient à la manière dont est peinte l'image de la pipe, tout comme à la graphie de la phrase qui s'étale au-dessous, que remarquons-nous ? Aucune ombre portée qui pourrait faire penser à une volonté de réalisme, l'objet semble flotter dans un espace incertain. L'image de l'objet joue sur le registre de la plus grande banalité possible : il faut montrer l'idée de l'objet.
L’artiste affirme que l'image de l'objet n'est pas l'objet, comme la carte n'est pas le territoire. Magritte l’a déclaré lui-même : « La fameuse pipe, me l’a-t-on assez reprochée ! Et pourtant, pouvez-vous la bourrer ma pipe ? Non, n’est-ce pas, elle n’est qu’une représentation. Donc si j’avais écrit sous mon tableau "ceci est une pipe", j’aurais menti ! » De la même façon, le mot « pipe » ne recouvre pas son objet.
Par ailleurs, si l'on s'en tient à la manière dont est peinte l'image de la pipe, tout comme à la graphie de la phrase qui s'étale au-dessous, que remarquons-nous ? Aucune ombre portée qui pourrait faire penser à une volonté de réalisme, l'objet semble flotter dans un espace incertain. L'image de l'objet joue sur le registre de la plus grande banalité possible : il faut montrer l'idée de l'objet.
La Trahison des images, 1929
L'aspect lisse de la peinture accentue cet effet d'illustration scolaire. Et c'est justement dans le registre du manuel d'apprentissage de la langue française, que Magritte emprunte son vocabulaire formel : montrer des représentations d’objets sortis de leur contexte, accompagnés de leur légende manuscrite de maître d'école. Or, en tant qu'artiste, Magritte n'aura de cesse de produire une disjonction entre l'image et la légende, le titre apportant une troisième dimension poétique.
« Etant donné ma volonté de faire hurler les objets les plus familiers, ceux-ci devaient être disposés dans un ordre nouveau et acquérir un sens bouleversant » disait-il. Dans cette recherche de « bouleversement », la légende revêt une importance toute particulière pour Magritte, tout comme les titres de ses œuvres, choisis lors de soirées entre amis, dont l’objectif est de s'éloigner le plus possible de la représentation littérale.
« Etant donné ma volonté de faire hurler les objets les plus familiers, ceux-ci devaient être disposés dans un ordre nouveau et acquérir un sens bouleversant » disait-il. Dans cette recherche de « bouleversement », la légende revêt une importance toute particulière pour Magritte, tout comme les titres de ses œuvres, choisis lors de soirées entre amis, dont l’objectif est de s'éloigner le plus possible de la représentation littérale.
Quel titre ?
Quand il crée L’avenir des statues en 1937, René Magritte expose déjà depuis 10 ans. C’est l’une de ses toutes premières œuvres en trois dimensions. Tout au long de sa carrière, il aura recours épisodiquement au volume, principalement pour développer des préoccupations picturales, l’objet étant pour lui indissociable de la couleur.
Magritte a coutume de produire plusieurs versions de ses œuvres. Ici, la copie est facilitée par des versions en plâtre bon marché et identiques. Il décide donc de prendre et non de modeler. Ce geste d’appropriation s’apparente au principe des ready-made initié par Marcel Duchamp dès 1913, et défini par André Breton comme un « objet usuel promu à la dignité d'objet d'art par le simple choix de l'artiste ». Dans le cas présent, on peut parler d’un « ready-made assisté » dans la mesure où une intervention picturale de l’artiste s’ajoute à ce « simple choix ». Ce geste est celui de la reprise d'une « image » qui est tombée dans l'imaginaire collectif au même titre que les autres objets quotidiens.
La présente sculpture ne porte pas de légende. Cependant la formulation du titre retient notre attention: « l'avenir des statues » ne donne accès à aucune mention descriptive, rien qui puisse caractériser ce que nous voyons, sinon ce pluriel « des statues », qui renvoie à la totalité des sculptures à fonction de représentation. Cette œuvre se donne donc la vocation de les résumer toutes, de les rassembler toutes.
En l’occurrence, il ne s'agit pas de n'importe quelle statue, mais d’une prise directe en trois dimensions de l’empreinte du visage d'un homme dont l'image statufiée et idéalisée a été reproduite à d'innombrables exemplaires. Magritte pourtant ne choisit pas une de ces représentations commerciales montrant l'Empereur dans toute sa force et la standardisation de ses traits.
Il nous montre le dernier visage. Celui qui est marqué par les premiers stigmates de la décomposition et dont les traits commencent à s'affaisser. Celui qui par la force des choses est tourné vers le ciel, les yeux fermés. L'empereur qui n'en est plus un, qui n'est plus même un homme, est rendu à sa seule fonction d'image.
Magritte a coutume de produire plusieurs versions de ses œuvres. Ici, la copie est facilitée par des versions en plâtre bon marché et identiques. Il décide donc de prendre et non de modeler. Ce geste d’appropriation s’apparente au principe des ready-made initié par Marcel Duchamp dès 1913, et défini par André Breton comme un « objet usuel promu à la dignité d'objet d'art par le simple choix de l'artiste ». Dans le cas présent, on peut parler d’un « ready-made assisté » dans la mesure où une intervention picturale de l’artiste s’ajoute à ce « simple choix ». Ce geste est celui de la reprise d'une « image » qui est tombée dans l'imaginaire collectif au même titre que les autres objets quotidiens.
La présente sculpture ne porte pas de légende. Cependant la formulation du titre retient notre attention: « l'avenir des statues » ne donne accès à aucune mention descriptive, rien qui puisse caractériser ce que nous voyons, sinon ce pluriel « des statues », qui renvoie à la totalité des sculptures à fonction de représentation. Cette œuvre se donne donc la vocation de les résumer toutes, de les rassembler toutes.
En l’occurrence, il ne s'agit pas de n'importe quelle statue, mais d’une prise directe en trois dimensions de l’empreinte du visage d'un homme dont l'image statufiée et idéalisée a été reproduite à d'innombrables exemplaires. Magritte pourtant ne choisit pas une de ces représentations commerciales montrant l'Empereur dans toute sa force et la standardisation de ses traits.
Il nous montre le dernier visage. Celui qui est marqué par les premiers stigmates de la décomposition et dont les traits commencent à s'affaisser. Celui qui par la force des choses est tourné vers le ciel, les yeux fermés. L'empereur qui n'en est plus un, qui n'est plus même un homme, est rendu à sa seule fonction d'image.
Image, figure, transfiguration
Edward James et “L’avenir des statues” de René Magritte, photographie de Norman Parkinson, 1939
Dans la tradition antique romaine, « Imago » désigne le masque funéraire de l'ancêtre. « Dans le monde romain, l'imago désignait un portrait de l'ancêtre en cire, placé dans l'atrium et porté aux funérailles. Le droit d'images, réservé aux personnes nobles, leur permettait d'établir et de conserver leur lignage. Étymologiquement, l'image figure donc le portrait d'un mort », selon le philosophe Olivier Boulnois. L’histoire de l’image est donc associée à la remémoration du mort. Il n’y a image que lorsqu’il y a représentation, présentation à nouveau de quelque chose qui a nécessairement disparu.
L'image se présente selon quatre modalités, Naturelle, elle peut être considérée comme ombre ou reflet d’un objet physique. Psychique, elle peut correspondre à une métaphore, une construction mentale, un rêve. Sociale, elle est alors forgée par l'opinion d'un groupe. Enfin historique, elle est une trace laissée aux générations futures d'un personnage ou d'un évènement marquant.
Il semble que l’œuvre de Magritte recouvre ces quatre acceptions. Elle assume sa matérialité. Elle se veut une métaphore d’un rêve. Elle est sociale car basée sur des archétypes iconographiques communément admis. Elle est historique par l’importance du personnage évoqué. En tant qu’image du visage, figure qui s’inscrit dans une temporalité, elle est un état précis de l’être qui l’a portée.
Le mot figure, figura, s’applique à la représentation comme « forme extérieure, aspect général qui caractérise », spécialement en parlant de la forme du visage, et par extension désigne le visage, la face. Dans le cas de cette œuvre, on peut appliquer également ce terme de figure à la représentation du ciel, qui vient coïncider avec celle du visage. Ainsi la figure est-elle la représentation du ciel sur une figure qui est le modelé du visage en plâtre, lui-même étant la représentation d’une figure qui n’est plus.
Cette œuvre cherche à fixer le perdu, quelque chose qui relève de la mémoire et qu’il est impossible de retenir autrement. Elle est la trace d’un souvenir, celle de l’enveloppe charnelle de l’Empereur, mais aussi et en même temps la trace de la fugacité d’un ciel nuageux. Toutes choses que seule la solidité du matériau parvient à figer, révélant leur fragilité.
Trans-figurer, consiste à donner au visage un nouvel éclat, changer son apparence. On passe ainsi de l’état matériel d’un constat, l’image ultime de la mort, à celui d’œuvre d’art. Pour cela, il faut pour l’artiste modifier la texture, la position du volume dans l’espace. Et d’abord relever l’ensemble et lui faire quitter son horizontalité. « Relever la tête » participera de cette opération de transfiguration, qui permettra de passer de la figure du mort à celle du rêveur.
Par association, le langage populaire dit du mort qu'il « est au ciel » et du rêveur qu'il « est dans les nuages ». On peut voir une équivalence des yeux fermés du mort avec ceux du rêveur. Le poète surréaliste Paul Nougé, ami de l'artiste, a suggéré une association entre la mort, les rêves et la profondeur du ciel : « un coin de ciel traversé par des nuages et des rêves peut transfigurer le visage de la mort d'une manière tout à fait inattendue ».
Compte tenu du processus de copie de copie, qui fait perdre en fidélité à chaque tirage, les aspérités de la peau se sont estompées, et l'ensemble de la surface a été lissée. Ceci nous fait penser que les moulages qu'utilise Magritte sont très éloignés de la prise d'empreinte originale. C'est justement ce passage par une étape industrielle de duplication, qui ramène cette image au même rang que les volumes sculpturaux napoléoniens classiques.
En effet, le paradoxe de ce moulage, qui se veut relique puisqu'il est la seule image prise sur le visage même de Napoléon, est la vocation commerciale qu’il a revêtue au même titre que les innombrables bustes, statues équestres et autres représentations triomphales. Cet homme de pouvoir a tenu toute sa vie à glorifier son image en veillant à la manière dont celle-ci a pu construire un récit mythique, en fécondant au passage une bonne partie de l'histoire des arts et des représentations de son siècle. Cette image a donc acquis chez les collectionneurs de cette trace « reliquaire » la fonction d’une vanité. Sic transit gloria mundi, nous rappelle cette sculpture et nous renvoie à notre finitude terrestre.
L'image se présente selon quatre modalités, Naturelle, elle peut être considérée comme ombre ou reflet d’un objet physique. Psychique, elle peut correspondre à une métaphore, une construction mentale, un rêve. Sociale, elle est alors forgée par l'opinion d'un groupe. Enfin historique, elle est une trace laissée aux générations futures d'un personnage ou d'un évènement marquant.
Il semble que l’œuvre de Magritte recouvre ces quatre acceptions. Elle assume sa matérialité. Elle se veut une métaphore d’un rêve. Elle est sociale car basée sur des archétypes iconographiques communément admis. Elle est historique par l’importance du personnage évoqué. En tant qu’image du visage, figure qui s’inscrit dans une temporalité, elle est un état précis de l’être qui l’a portée.
Le mot figure, figura, s’applique à la représentation comme « forme extérieure, aspect général qui caractérise », spécialement en parlant de la forme du visage, et par extension désigne le visage, la face. Dans le cas de cette œuvre, on peut appliquer également ce terme de figure à la représentation du ciel, qui vient coïncider avec celle du visage. Ainsi la figure est-elle la représentation du ciel sur une figure qui est le modelé du visage en plâtre, lui-même étant la représentation d’une figure qui n’est plus.
Cette œuvre cherche à fixer le perdu, quelque chose qui relève de la mémoire et qu’il est impossible de retenir autrement. Elle est la trace d’un souvenir, celle de l’enveloppe charnelle de l’Empereur, mais aussi et en même temps la trace de la fugacité d’un ciel nuageux. Toutes choses que seule la solidité du matériau parvient à figer, révélant leur fragilité.
Trans-figurer, consiste à donner au visage un nouvel éclat, changer son apparence. On passe ainsi de l’état matériel d’un constat, l’image ultime de la mort, à celui d’œuvre d’art. Pour cela, il faut pour l’artiste modifier la texture, la position du volume dans l’espace. Et d’abord relever l’ensemble et lui faire quitter son horizontalité. « Relever la tête » participera de cette opération de transfiguration, qui permettra de passer de la figure du mort à celle du rêveur.
Par association, le langage populaire dit du mort qu'il « est au ciel » et du rêveur qu'il « est dans les nuages ». On peut voir une équivalence des yeux fermés du mort avec ceux du rêveur. Le poète surréaliste Paul Nougé, ami de l'artiste, a suggéré une association entre la mort, les rêves et la profondeur du ciel : « un coin de ciel traversé par des nuages et des rêves peut transfigurer le visage de la mort d'une manière tout à fait inattendue ».
Compte tenu du processus de copie de copie, qui fait perdre en fidélité à chaque tirage, les aspérités de la peau se sont estompées, et l'ensemble de la surface a été lissée. Ceci nous fait penser que les moulages qu'utilise Magritte sont très éloignés de la prise d'empreinte originale. C'est justement ce passage par une étape industrielle de duplication, qui ramène cette image au même rang que les volumes sculpturaux napoléoniens classiques.
En effet, le paradoxe de ce moulage, qui se veut relique puisqu'il est la seule image prise sur le visage même de Napoléon, est la vocation commerciale qu’il a revêtue au même titre que les innombrables bustes, statues équestres et autres représentations triomphales. Cet homme de pouvoir a tenu toute sa vie à glorifier son image en veillant à la manière dont celle-ci a pu construire un récit mythique, en fécondant au passage une bonne partie de l'histoire des arts et des représentations de son siècle. Cette image a donc acquis chez les collectionneurs de cette trace « reliquaire » la fonction d’une vanité. Sic transit gloria mundi, nous rappelle cette sculpture et nous renvoie à notre finitude terrestre.
Quelle image ?
Original du masque mortuaire de Napoléon I° exécuté par Antommarchi Musée de l'Armée
Deux opérations distinctes sont nécessaires pour effectuer le moulage d'une tête humaine, en l'occurrence celle d’un défunt placé à l’horizontale dans le cas d'un masque mortuaire. D'abord créer un négatif – une empreinte en creux – puis un positif – un moulage en relief. Le visage, une partie du crâne et le cou sont enduits d'une matière grasse. Les cheveux du modèle sont protégés, pour éviter de s’emmêler et adhérer à la matière du moule. Un fil est disposé tout autour de ce qui sera la zone de moulage, et qui permettra la découpe des bords au moment du démoulage. Ensuite une préparation de plâtre est enduite au pinceau, afin d'épouser toutes les particularités de surface du modèle.
On sait que dans ce cas précis, le plâtre étant manquant sur l’île de Sainte Hélène, François Antommarchi, médecin de Napoléon et auteur du moulage, a d'abord tenté de récupérer du plâtre sur des petites sculptures qu'il a broyées. Mais le mélange ne présentant pas de liant, l'expérience n'a pas été concluante. Il a donc été décidé de chercher et trouver un petit gisement de gypse sur l'île. Ce gypse mélangé à l'eau peut fournir un plâtre de qualité, en fonction de sa pureté et s'il est correctement broyé.
Ainsi, le moulage original du masque funéraire de Napoléon a-t-il fixé précisément dans le plâtre l’image de son visage le 7 mai 1821 à 16h, soit deux jours après sa mort. La déformation et l’affaissement des chairs avaient commencé sous l'effet du processus de décomposition. De plus cet objet minéral est un morceau de terre de Sainte-Hélène, et c'est ce fragment territorial de l'exil et seulement lui, qui rend compte de l'image précise de celui qui y est mort.
A noter qu'il était question de réaliser un buste complet, mais cela n'a pas pu être effectué par manque de matière. Il est intéressant de constater que Magritte qui a par ailleurs utilisé du bronze pour plusieurs de ses autres sculptures opte ici pour des moulages en plâtre, industriels et commerciaux, mais qui renvoient par leur nature matérielle, à l'original minéral.
Le plâtre obtenu sur place est donc mélangé à l'eau pour obtenir une matière d'abord très liquide pour la couche qui entre en contact avec le modèle. Puis après séchage, une coque plus consistante va renforcer cette première couche. Une fois cette armature sèche, le fil qui entoure le moule est tiré et cette coque est détachée du modèle. L'empreinte est réalisée. Ensuite la coque est renforcée pour permettre la stabilité du moule à l'horizontale pour l'opération suivante. Il faut à nouveau graisser l'intérieur le moule (on peut utiliser du savon noir pour cela) pour empêcher le collage plâtre sur plâtre.
Là encore, une première couche liquide est appliquée sur toutes les parois intérieures, puis on coule un plâtre plus épais, en modulant la consistance selon que l'on souhaite remplir la totalité de l'empreinte, ou seulement réaliser une coque en positif, avec un creux interne. Cette dernière opération, après démoulage de l'empreinte, permet d'obtenir un double en volume du modèle.
On sait que dans ce cas précis, le plâtre étant manquant sur l’île de Sainte Hélène, François Antommarchi, médecin de Napoléon et auteur du moulage, a d'abord tenté de récupérer du plâtre sur des petites sculptures qu'il a broyées. Mais le mélange ne présentant pas de liant, l'expérience n'a pas été concluante. Il a donc été décidé de chercher et trouver un petit gisement de gypse sur l'île. Ce gypse mélangé à l'eau peut fournir un plâtre de qualité, en fonction de sa pureté et s'il est correctement broyé.
Ainsi, le moulage original du masque funéraire de Napoléon a-t-il fixé précisément dans le plâtre l’image de son visage le 7 mai 1821 à 16h, soit deux jours après sa mort. La déformation et l’affaissement des chairs avaient commencé sous l'effet du processus de décomposition. De plus cet objet minéral est un morceau de terre de Sainte-Hélène, et c'est ce fragment territorial de l'exil et seulement lui, qui rend compte de l'image précise de celui qui y est mort.
A noter qu'il était question de réaliser un buste complet, mais cela n'a pas pu être effectué par manque de matière. Il est intéressant de constater que Magritte qui a par ailleurs utilisé du bronze pour plusieurs de ses autres sculptures opte ici pour des moulages en plâtre, industriels et commerciaux, mais qui renvoient par leur nature matérielle, à l'original minéral.
Le plâtre obtenu sur place est donc mélangé à l'eau pour obtenir une matière d'abord très liquide pour la couche qui entre en contact avec le modèle. Puis après séchage, une coque plus consistante va renforcer cette première couche. Une fois cette armature sèche, le fil qui entoure le moule est tiré et cette coque est détachée du modèle. L'empreinte est réalisée. Ensuite la coque est renforcée pour permettre la stabilité du moule à l'horizontale pour l'opération suivante. Il faut à nouveau graisser l'intérieur le moule (on peut utiliser du savon noir pour cela) pour empêcher le collage plâtre sur plâtre.
Là encore, une première couche liquide est appliquée sur toutes les parois intérieures, puis on coule un plâtre plus épais, en modulant la consistance selon que l'on souhaite remplir la totalité de l'empreinte, ou seulement réaliser une coque en positif, avec un creux interne. Cette dernière opération, après démoulage de l'empreinte, permet d'obtenir un double en volume du modèle.
Quelle place ?
L'œuvre est accrochée le plus souvent au-dessus de la hauteur humaine moyenne (environ 2,10 m). Elle est fixée au mur par un crochet. Sa position murale en hauteur évoque celle d'un « trophée ». Dans le cas d’un « trophée », la tête de l'animal mort que l'on a capturé, le taxidermiste s'emploie à donner une illusion de vie à ce qu'il reste de l'animal, comme s'il surgissait du mur, dans un mouvement arrêté. Le plus souvent le cou est sectionné et travaillé de telle sorte qu'il soit adapté à un présentoir vertical ou un cadre mural. Dans le cas présent, il y a coïncidence entre la présentation du trophée et de la tête de l'homme mort.
Cependant, il n'y a aucune volonté de reconstituer une apparence de vie, mais au contraire de laisser tel quel ce relief de plâtre, aux yeux clos donc absents, qui simule un regard intérieur, introspectif, celui de la pensée, du rêve ou de la réminiscence. La bouche légèrement entrouverte encourage la lecture de cette absorption et de ce lâcher-prise. La position en hauteur au-delà de cette évocation du trophée, évoque celle de légèreté, comme un envol, une échappée aérienne, où la tête détachée du corps s'élève comme un ballon. La tête n'a plus besoin du corps pour s'abandonner au rêve. Vue en contre-plongée, elle semble toiser le spectateur, sans le considérer, et sans aucun face-à-face possible.
Notons que nous n’avons pas affaire à un fragment amputé, comme peut l'être par ailleurs la Vénus de Milo, autre sculpture détournée par Magritte. C’est ici la portion apparente d'un corps qui a gardé son intégrité, dont la tête est une partie « relevée » à la manière des moulages archéologiques, et dont la trace se présente comme une possibilité de garder une image volumique d'une matière qui va perdre sa consistance.
L’arrière du crâne est absent, pour des raisons techniques qui au moment de la prise d’empreinte, supposaient un retournement du corps pour permettre le moulage. Ainsi le crâne semble à demi-enfoncé dans la paroi qui le supporte. Tout se présente comme si ce visage surgissait du mur et avait traversé une pellicule de ce ciel qui s'est plaquée à sa surface. Aussi l'artiste veut bien nous donner l'impression d'une émergence.
La tête vient du mur, et traversant sa surface, se recouvre d'une pellicule de représentation. Sa présence semble l'alléger, mais les matériaux employés, de la peinture à l'huile sur du plâtre, sont les mêmes que ceux qui recouvrent la plupart des murs des musées. Il y a donc similarité entre l'objet et son support, l'un éclairant l'autre. Au-delà de ce seul volume, c'est tout le mur qui abrite le rêve, dont il provient et où il se trouve.
Cette œuvre relève plus de la peinture de que de la sculpture, même si des caractéristiques propres à ce volume particulier permettent de lui donner une dimension autre que celle qu'un tableau aurait pu transmettre, notamment une échelle humaine.
Elle révèle aussi l'influence de Napoléon dans les différents arts au service de l'histoire qu'il s’est efforcée de construire. « Les statues », comme l’indique le pluriel que Magritte emploie dans son titre, est aussi la somme de toutes les représentations, destinées à la postérité, que Napoléon a commandées de lui-même.
Cependant, il n'y a aucune volonté de reconstituer une apparence de vie, mais au contraire de laisser tel quel ce relief de plâtre, aux yeux clos donc absents, qui simule un regard intérieur, introspectif, celui de la pensée, du rêve ou de la réminiscence. La bouche légèrement entrouverte encourage la lecture de cette absorption et de ce lâcher-prise. La position en hauteur au-delà de cette évocation du trophée, évoque celle de légèreté, comme un envol, une échappée aérienne, où la tête détachée du corps s'élève comme un ballon. La tête n'a plus besoin du corps pour s'abandonner au rêve. Vue en contre-plongée, elle semble toiser le spectateur, sans le considérer, et sans aucun face-à-face possible.
Notons que nous n’avons pas affaire à un fragment amputé, comme peut l'être par ailleurs la Vénus de Milo, autre sculpture détournée par Magritte. C’est ici la portion apparente d'un corps qui a gardé son intégrité, dont la tête est une partie « relevée » à la manière des moulages archéologiques, et dont la trace se présente comme une possibilité de garder une image volumique d'une matière qui va perdre sa consistance.
L’arrière du crâne est absent, pour des raisons techniques qui au moment de la prise d’empreinte, supposaient un retournement du corps pour permettre le moulage. Ainsi le crâne semble à demi-enfoncé dans la paroi qui le supporte. Tout se présente comme si ce visage surgissait du mur et avait traversé une pellicule de ce ciel qui s'est plaquée à sa surface. Aussi l'artiste veut bien nous donner l'impression d'une émergence.
La tête vient du mur, et traversant sa surface, se recouvre d'une pellicule de représentation. Sa présence semble l'alléger, mais les matériaux employés, de la peinture à l'huile sur du plâtre, sont les mêmes que ceux qui recouvrent la plupart des murs des musées. Il y a donc similarité entre l'objet et son support, l'un éclairant l'autre. Au-delà de ce seul volume, c'est tout le mur qui abrite le rêve, dont il provient et où il se trouve.
Cette œuvre relève plus de la peinture de que de la sculpture, même si des caractéristiques propres à ce volume particulier permettent de lui donner une dimension autre que celle qu'un tableau aurait pu transmettre, notamment une échelle humaine.
Elle révèle aussi l'influence de Napoléon dans les différents arts au service de l'histoire qu'il s’est efforcée de construire. « Les statues », comme l’indique le pluriel que Magritte emploie dans son titre, est aussi la somme de toutes les représentations, destinées à la postérité, que Napoléon a commandées de lui-même.
Quel rêve ?
Prêter attention à ce qui émerge des formes variables des nuages, qui se métamorphosent se disloquent et se reconstituent. Se plonger dans la lecture de ce mouvement à la fois incessant et immuable, qui inspire des interprétations multiples. Cette reconnaissance de formes n’engendre pas un récit.
C'est ce regard axé sur la lecture inconsciente de taches et de données informelles qui est probablement à l'origine de toute interprétation onirique, très exploité par les surréalistes. Cependant, au contraire de ses collègues Salvador Dali et André Breton, Magritte n'est pas versé dans la psychanalyse. Selon lui, « l'art n'a pas besoin d'interprétations mais de commentaires ». Son onirisme n’est que de façade. En effet, « plutôt que l'évasion vers la rêverie, ce que propose Magritte est un défi à l’ordre : saper le sens apparent des choses afin d’approcher le véritable sens, faire éclater le visible afin d’appréhender le visible dans sa vérité cachée » écrit Patrick Waldberg. Ce « défi à l’ordre » prend une dimension toute particulière quand il se confronte à la figure Impériale, instauratrice de l'ordre et de la loi.
On peut se demander de quelle manière le rêve s'insinue dans cette œuvre et d’où naît son « mystère ». Cette notion est centrale chez Magritte, qui indique : « je veille, dans la mesure du possible, à ne faire que des peintures qui suscitent le mystère avec la précision et l’enchantement nécessaire à la vie des idées ». Comment l’idée du rêve nous parvient-elle ?
Le ciel est-il contenu dans le volume, ou bien est-ce lui qui a pris la forme du visage ? Est-ce le ciel qui veut effacer le visage ou le visage qui veut effacer le ciel ?
L’objet est à l’échelle humaine, et par là confère son échelle à son espace d’inscription. C’est ainsi lui qui donne la mesure de l’espace qui l’entoure et également, qui nous permet de nous projeter physiquement en tant que spectateur à la place de ce masque. Que pense-t-il ? A quoi rêve-t-il ? Ce sont des questions qui ne viennent que si nous entamons un transfert vis-à-vis du modèle.
Comme fragment du corps, il met en avant plusieurs fonctions supérieures qui sont malgré tout présentes. La vue se devine comme étant le « regard intérieur » d’un dormeur ou d’un rêveur aux yeux clos, le nez - l’inspiration - est le point culminant de la sculpture, la bouche est présente, associée aussi bien au goût qu’à la parole, les oreilles se devinent, même si l’opération de relevé de l’empreinte a obligé à bander la tête et donc à plaquer les oreilles contre le crâne. Ajoutons que le front, comme siège de la pensée est dégagé, devenant ainsi prétexte à une certaine liberté de composition dans le placement des formes nuageuses. Ces fonctions supérieures sont donc figurées et mises en confrontation avec la fonction onirique.
C'est ce regard axé sur la lecture inconsciente de taches et de données informelles qui est probablement à l'origine de toute interprétation onirique, très exploité par les surréalistes. Cependant, au contraire de ses collègues Salvador Dali et André Breton, Magritte n'est pas versé dans la psychanalyse. Selon lui, « l'art n'a pas besoin d'interprétations mais de commentaires ». Son onirisme n’est que de façade. En effet, « plutôt que l'évasion vers la rêverie, ce que propose Magritte est un défi à l’ordre : saper le sens apparent des choses afin d’approcher le véritable sens, faire éclater le visible afin d’appréhender le visible dans sa vérité cachée » écrit Patrick Waldberg. Ce « défi à l’ordre » prend une dimension toute particulière quand il se confronte à la figure Impériale, instauratrice de l'ordre et de la loi.
On peut se demander de quelle manière le rêve s'insinue dans cette œuvre et d’où naît son « mystère ». Cette notion est centrale chez Magritte, qui indique : « je veille, dans la mesure du possible, à ne faire que des peintures qui suscitent le mystère avec la précision et l’enchantement nécessaire à la vie des idées ». Comment l’idée du rêve nous parvient-elle ?
Le ciel est-il contenu dans le volume, ou bien est-ce lui qui a pris la forme du visage ? Est-ce le ciel qui veut effacer le visage ou le visage qui veut effacer le ciel ?
L’objet est à l’échelle humaine, et par là confère son échelle à son espace d’inscription. C’est ainsi lui qui donne la mesure de l’espace qui l’entoure et également, qui nous permet de nous projeter physiquement en tant que spectateur à la place de ce masque. Que pense-t-il ? A quoi rêve-t-il ? Ce sont des questions qui ne viennent que si nous entamons un transfert vis-à-vis du modèle.
Comme fragment du corps, il met en avant plusieurs fonctions supérieures qui sont malgré tout présentes. La vue se devine comme étant le « regard intérieur » d’un dormeur ou d’un rêveur aux yeux clos, le nez - l’inspiration - est le point culminant de la sculpture, la bouche est présente, associée aussi bien au goût qu’à la parole, les oreilles se devinent, même si l’opération de relevé de l’empreinte a obligé à bander la tête et donc à plaquer les oreilles contre le crâne. Ajoutons que le front, comme siège de la pensée est dégagé, devenant ainsi prétexte à une certaine liberté de composition dans le placement des formes nuageuses. Ces fonctions supérieures sont donc figurées et mises en confrontation avec la fonction onirique.
Quel ciel ?
Magritte utilise des pinceaux ou plutôt des brosses pour appliquer la couleur sur le plâtre. Ce faisant, la matière qu'il crée par couches successives constitue un tissage qui se substitue à la peau. Cette peinture a donc pris la fonction d'un épiderme de substitution qui recouvre désormais le visage et sert de transition et de surface d'échange entre intérieur et extérieur. Ainsi l’intériorité du rêve et l’extériorisation par la couleur soutenue par l’émergence du volume, s’offrent en même temps.
Nous remarquons des proportions équivalentes entre le bleu du ciel et le blanc des nuages dans toutes les versions que l’artiste a réalisées de cette œuvre. Ce rapport de proportions évoque une notion d'équilibre. Il s'agit d’éliminer tout effet psychologique ou romantique. Le plus neutre possible, ce ciel standard n’ouvre à aucune identification particulière, et ne laisse apparaître aucun élément de paysage. Cette œuvre se présente ainsi comme une lucarne, ouverte sur un coin de ciel immatériel dont seul ce volume peut nous donner à connaître l'existence.
D'une version à l'autre, le support est constant mais la forme des nuages évolue, comme une sorte de mouvement arrêté. Sur la peinture des nuages, la lumière provient d'en haut sans qu'il soit possible de déterminer une heure et une orientation précise de la lumière. L’artiste s’est attaché à rendre un aspect volumique des nuages pour renforcer leur présence. L’un des deux yeux est toujours recouvert d’un nuage blanc, rompant ainsi la symétrie du visage. On constate des variations d'une version à l'autre sur les effets d'ombres, de rendu des surfaces lisses des nuages.
Nous remarquons des proportions équivalentes entre le bleu du ciel et le blanc des nuages dans toutes les versions que l’artiste a réalisées de cette œuvre. Ce rapport de proportions évoque une notion d'équilibre. Il s'agit d’éliminer tout effet psychologique ou romantique. Le plus neutre possible, ce ciel standard n’ouvre à aucune identification particulière, et ne laisse apparaître aucun élément de paysage. Cette œuvre se présente ainsi comme une lucarne, ouverte sur un coin de ciel immatériel dont seul ce volume peut nous donner à connaître l'existence.
D'une version à l'autre, le support est constant mais la forme des nuages évolue, comme une sorte de mouvement arrêté. Sur la peinture des nuages, la lumière provient d'en haut sans qu'il soit possible de déterminer une heure et une orientation précise de la lumière. L’artiste s’est attaché à rendre un aspect volumique des nuages pour renforcer leur présence. L’un des deux yeux est toujours recouvert d’un nuage blanc, rompant ainsi la symétrie du visage. On constate des variations d'une version à l'autre sur les effets d'ombres, de rendu des surfaces lisses des nuages.
Quel avenir ?
La sculpture se présente ici essentiellement comme objet et non comme promesse d’objet.
C'est bien évidemment sur le plan symbolique que peut être abordée cette notion d'« avenir » ou de « devenir » des statues, et plus généralement, de la sculpture. En effet Magritte interroge en permanence son art et ne saurait se contenter d'une conception traditionnelle. Aussi nous suggère-t-il que la sculpture est appelée à disparaitre, à se dissoudre dans la vision symbolique, qui fait se substituer l'idée à la matérialité de l'objet. Il y a donc selon lui une prédominance de l'idée sur l'objet, la matière disparaissant devant son interprétation.
Comme toujours chez Magritte, la peinture de ciel est utilisée dans le but de créer une disjonction dans notre perception. Ce ciel est un archétype de ciel. Sans distinction de lieu, il n’indique aucune extériorité précise. Dans la version de la Tate, la bouche n'est pas fermée : le nuage semble en sortir, comme s’il y avait là une possibilité d’associer l’image et la parole. Comme s’il s’agissait d’envisager ce que nous voyons comme le résultat d’un récit.
Mais de quel récit s’agit-il ? Celui de la projection d’un rêve comme une poursuite de l'utopie de Napoléon ? Celui, plus sûrement de tout spectateur tentant de reconstituer à sa manière du sens à partir des éléments que propose l’artiste. Un récit certes, mais dont la clef n’appartient qu’à l’œuvre elle-même et qui n’offre aucune conclusion, car relevant essentiellement du mystère. Laissons Magritte conclure lui-même : « Mon défaitisme, écrit-il, correspond à l’existence décevante – et à l’interdiction absolue que le mystère (sans lequel rien n’existerait) puisse être un refuge, un secours quelconque ».
C'est bien évidemment sur le plan symbolique que peut être abordée cette notion d'« avenir » ou de « devenir » des statues, et plus généralement, de la sculpture. En effet Magritte interroge en permanence son art et ne saurait se contenter d'une conception traditionnelle. Aussi nous suggère-t-il que la sculpture est appelée à disparaitre, à se dissoudre dans la vision symbolique, qui fait se substituer l'idée à la matérialité de l'objet. Il y a donc selon lui une prédominance de l'idée sur l'objet, la matière disparaissant devant son interprétation.
Comme toujours chez Magritte, la peinture de ciel est utilisée dans le but de créer une disjonction dans notre perception. Ce ciel est un archétype de ciel. Sans distinction de lieu, il n’indique aucune extériorité précise. Dans la version de la Tate, la bouche n'est pas fermée : le nuage semble en sortir, comme s’il y avait là une possibilité d’associer l’image et la parole. Comme s’il s’agissait d’envisager ce que nous voyons comme le résultat d’un récit.
Mais de quel récit s’agit-il ? Celui de la projection d’un rêve comme une poursuite de l'utopie de Napoléon ? Celui, plus sûrement de tout spectateur tentant de reconstituer à sa manière du sens à partir des éléments que propose l’artiste. Un récit certes, mais dont la clef n’appartient qu’à l’œuvre elle-même et qui n’offre aucune conclusion, car relevant essentiellement du mystère. Laissons Magritte conclure lui-même : « Mon défaitisme, écrit-il, correspond à l’existence décevante – et à l’interdiction absolue que le mystère (sans lequel rien n’existerait) puisse être un refuge, un secours quelconque ».