Kitchen scene, with Jesus in the House of Martha and Mary in the background
Les temps exigent plus de proximité, de capacités et d’émancipation, auxquelles il faudrait ajouter le courage. La succession et l’acuité des crises sanitaire, climatique et politique sonnent le glas d’un progrès obtenu au prix d’une globalisation toujours plus étendue. Le 12 mars dernier, Emmanuel Macron, Président d’une des plus grandes puissances alimentaires mondiales, affirmait: « déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond, à d’autres, est une folie ! » Le cap semble être mis au niveau de l’Etat, mais comment cette résolution est-elle pensée aux dimensions des territoires ? Comment se pose-t-elle en Corse, région insulaire et montagnarde aspirant à une « autonomie de fait »?
Souveraineté, autosuffisance et autonomie en contexte de transitions
Le thème de la souveraineté alimentaire est introduit sur la scène internationale par Via Campesina. La notion inscrit radicalement la question de l’alimentation dans le registre politique et de l’émancipation nationale. La visée est de redonner la capacité aux populations de reprendre en main leur alimentation. En voici les termes exacts : « la souveraineté alimentaire est le droit de chaque nation de maintenir et développer sa capacité de produire ses aliments de base dans le respect de la diversité des cultures et des produits. La souveraineté alimentaire est une précondition pour une véritable sécurité alimentaire » (Via Campesina, 1996). La souveraineté alimentaire n’est donc pas l’autarcie. Elle traduit plutôt la capacité collective d’une nation à satisfaire les besoins alimentaires de sa population en quantité, en qualité et en diversité, c’est‑à‑dire à garantir sa sécurité alimentaire.
La notion d’autosuffisance alimentaire est plus radicale. Elle se définit comme la possibilité pour un pays de subvenir aux besoins alimentaires de son peuple par sa seule et propre production. Horizon lointain pour la totalité des nations industrielles : les USA ne viennent-ils pas de mettre en place un pont aérien pour importer dans l’urgence du lait maternel provenant de Suisse et des Pays-Bas ? Sa dimension stratégique est cependant indéniable. Plutôt que de vouloir être autonome en principe, l’idée est de l’être en raison, c’est-à-dire de rechercher l’autosuffisance des seules productions nécessaires à la subsistance de la population ou de sa fraction la plus vulnérable. La souveraineté est donc fondée sur un principe de gestion de ses dépendances pour en fixer les règles de fonctionnement. L’autosuffisance reprend par secteur de production le modèle de l’autarcie.
Au regard de ces deux notions, l’autonomie constituerait un chemin moins politique et moins normatif, processuel et plus souple. Elle prendrait pour principe la localisation de la production alimentaire mais également la capacité des producteurs et des bénéficiaires à mieux s’alimenter. S’agissant de la Corse, restée en grande partie à l’écart de l’évolution agro-industrielle de l’agriculture, l’exercice consiste à localiser - plutôt qu’à relocaliser - la production, au plus près des spécificités de son système alimentaire. Il s’agit de concevoir des manières de produire, d’approvisionner et de s’approvisionner qui soient d’emblée en phase avec les transitions en cours, les enjeux liés au nouveau régime climatique en relation avec les vulnérabilités spécifiques de notre île.
La notion d’autosuffisance alimentaire est plus radicale. Elle se définit comme la possibilité pour un pays de subvenir aux besoins alimentaires de son peuple par sa seule et propre production. Horizon lointain pour la totalité des nations industrielles : les USA ne viennent-ils pas de mettre en place un pont aérien pour importer dans l’urgence du lait maternel provenant de Suisse et des Pays-Bas ? Sa dimension stratégique est cependant indéniable. Plutôt que de vouloir être autonome en principe, l’idée est de l’être en raison, c’est-à-dire de rechercher l’autosuffisance des seules productions nécessaires à la subsistance de la population ou de sa fraction la plus vulnérable. La souveraineté est donc fondée sur un principe de gestion de ses dépendances pour en fixer les règles de fonctionnement. L’autosuffisance reprend par secteur de production le modèle de l’autarcie.
Au regard de ces deux notions, l’autonomie constituerait un chemin moins politique et moins normatif, processuel et plus souple. Elle prendrait pour principe la localisation de la production alimentaire mais également la capacité des producteurs et des bénéficiaires à mieux s’alimenter. S’agissant de la Corse, restée en grande partie à l’écart de l’évolution agro-industrielle de l’agriculture, l’exercice consiste à localiser - plutôt qu’à relocaliser - la production, au plus près des spécificités de son système alimentaire. Il s’agit de concevoir des manières de produire, d’approvisionner et de s’approvisionner qui soient d’emblée en phase avec les transitions en cours, les enjeux liés au nouveau régime climatique en relation avec les vulnérabilités spécifiques de notre île.
Les vulnérabilités du système alimentaire de la Corse
Nous nous attachons ici à identifier les vulnérabilités productives auxquelles il faudrait associer les vulnérabilités logistiques et de transports très souvent mentionnées mais qui relèvent selon nous d’une autre catégorie de problème.
La première vulnérabilité est le défaut de connaissance du système alimentaire de l’île lui-même. Nous ne savons rien ou très peu de choses de ses dimensions, ses dynamiques, ses ressources et sur les acteurs qui l’animent. S’agissant d’un territoire infra-étatique, tout se passe comme si le besoin de comprendre son fonctionnement n’était pas utile. Voilà que nous connaissons assez précisément le nombre de touristes sans connaître ce qu’ils consomment, et plus grave ce que nous consommons, en quantité et en qualité. Des chiffres circulent : 95 % de ce que nous mangeons serait importé. Le reste, c’est-à-dire la nature, la répartition et la plupart du temps la provenance détaillée de ce que la Corse importe, nous est inconnu. Les informations que nous pourrions en avoir s’arrêtent aux centrales d’achat des grandes enseignes présentes dans l’ile, à cet oligopole marchand qui « gère » de fait notre alimentation. A titre individuel, les emballages de nos aliments regorgent d’informations génériques mais à titre collectif, ce qui pourrait intéresser le citoyen demeure une boîte noire. Une situation à la fois étrange et inconfortable, celle de ne pas savoir de qui, de quoi et avec quelles marges nous dépendons collectivement pour nous nourrir...
Concernant ce que nous produisons, la statistique agricole régionale se fait précise. En gros, deux secteurs de produits d’exportation -les vins et les clémentines- composent l’essentiel de la richesse agricole et alimentaire. Il faut y ajouter le maraîchage et l’arboriculture largement structurés pour répondre à la saison touristique. En comparaison, la situation des systèmes alimentaires des autres îles françaises est mieux connue et légèrement mieux lotie. Selon un rapport des affaires économiques de l’Assemblée Nationale, « 26 % des approvisionnements proviennent de la production locale dans les départements et régions d’Outre-mer. »
La deuxième vulnérabilité -qui dépend pour partie de la première– tient à la faiblesse des disponibilités foncières pour l’agriculture. Les Espaces Stratégiques Agricoles (ESA) constituent une base de protection mais demeurent en l’état un outil de planification faiblement opérationnel car peu connecté à la demande de terrains par les agriculteurs. Plusieurs causes se cumulent pour empêcher l’accès au foncier. Le phénomène d’indivision et le désordre foncier qu’il génère est bien connu des Corses. La faiblesse des titres de propriété ne permet pas de produire les baux nécessaires à la sécurité des installations. Moins connu, il faut également noter le cumul foncier encore trop fréquent d’une partie des agriculteurs déjà installés et les craintes de dépossession quelquefois justifiées des propriétaires. Une troisième raison est due à la faible accessibilité physique de nombreux terrains restés longtemps emmaquisés. Enfin, la raison la plus inquiétante tient à l’artificialisation des sols, dont la fertilité est quelquefois le fruit du travail de plusieurs générations de paysans. Il suffit d’observer la part croissante des espaces périurbains et littoraux recouverts de béton au seul bénéfice du commerce industriel, des programmes immobiliers et des infrastructures de transports.
Une troisième vulnérabilité est liée à la dépendance croissante de l’agriculture corse vis-à-vis du tourisme estival. La production agricole de notre île est largement structurée pour répondre aux besoins de la grande distribution. Le pouvoir d’aval et la massification de la distribution alimentaire organisent l’importation d’aliments bien au-delà de l’Europe. Il est également un fait que l’enveloppe de la continuité territoriale stimule ces importations. L’histoire est connue mais elle est aggravée dans une région insulaire : les poires corses sont au même prix que les poires argentines et le vin californien est moins cher que celui issu du vignoble corse....
Concernant ce que nous produisons, la statistique agricole régionale se fait précise. En gros, deux secteurs de produits d’exportation -les vins et les clémentines- composent l’essentiel de la richesse agricole et alimentaire. Il faut y ajouter le maraîchage et l’arboriculture largement structurés pour répondre à la saison touristique. En comparaison, la situation des systèmes alimentaires des autres îles françaises est mieux connue et légèrement mieux lotie. Selon un rapport des affaires économiques de l’Assemblée Nationale, « 26 % des approvisionnements proviennent de la production locale dans les départements et régions d’Outre-mer. »
La deuxième vulnérabilité -qui dépend pour partie de la première– tient à la faiblesse des disponibilités foncières pour l’agriculture. Les Espaces Stratégiques Agricoles (ESA) constituent une base de protection mais demeurent en l’état un outil de planification faiblement opérationnel car peu connecté à la demande de terrains par les agriculteurs. Plusieurs causes se cumulent pour empêcher l’accès au foncier. Le phénomène d’indivision et le désordre foncier qu’il génère est bien connu des Corses. La faiblesse des titres de propriété ne permet pas de produire les baux nécessaires à la sécurité des installations. Moins connu, il faut également noter le cumul foncier encore trop fréquent d’une partie des agriculteurs déjà installés et les craintes de dépossession quelquefois justifiées des propriétaires. Une troisième raison est due à la faible accessibilité physique de nombreux terrains restés longtemps emmaquisés. Enfin, la raison la plus inquiétante tient à l’artificialisation des sols, dont la fertilité est quelquefois le fruit du travail de plusieurs générations de paysans. Il suffit d’observer la part croissante des espaces périurbains et littoraux recouverts de béton au seul bénéfice du commerce industriel, des programmes immobiliers et des infrastructures de transports.
Une troisième vulnérabilité est liée à la dépendance croissante de l’agriculture corse vis-à-vis du tourisme estival. La production agricole de notre île est largement structurée pour répondre aux besoins de la grande distribution. Le pouvoir d’aval et la massification de la distribution alimentaire organisent l’importation d’aliments bien au-delà de l’Europe. Il est également un fait que l’enveloppe de la continuité territoriale stimule ces importations. L’histoire est connue mais elle est aggravée dans une région insulaire : les poires corses sont au même prix que les poires argentines et le vin californien est moins cher que celui issu du vignoble corse....
La conception de modèles de production ajustés aux enjeux alimentaires de la Corse
En temps de crise et de transitions multiples, l’autonomie interroge en profondeur le choix des modèles de production et de circulation des aliments. L’autonomie réinscrit l’alimentation dans une problématique de territorialisation qui consiste à rapprocher la production locale de la demande des résidents. Elle suppose de renouveler notre conception de l’agriculture et de l’alimentation dans le temps et dans l’espace. Notre appareil de production est calé sur une demande estivale surdimensionnée par le tourisme, alors qu’elle fait peu de place à l’alimentation du quotidien, à celle du résident permanent. Au point que la restauration collective, plus active l’hiver, est dans l’incapacité de s’approvisionner localement, notamment en légumes d’hiver, par défaut d’une production suffisante et variée. Territorialiser est une affaire de saison mais également d’espaces dont il faut penser le zonage. Ceux mécanisables des zones de plaines pour les « grandes cultures », mais également les piémonts et les fonds de vallée pour l’élevage, ceux situés au cœur des villages dont les « dents creuses » (les mal nommées), les espaces périvillageois -u circulu, véritable ressource foncière horticole de proximité- et bien sûr les estives trop souvent en déshérence. Une véritable stratégie d’occupation agricole des sols, dans la variété de leurs potentialités et de leurs usages, doit être mise en chantier pour soutenir et précisées les fameuses ESA.
L’agriculture insulaire est captive d’un appareil agro-industriel globalisé qui disqualifie au plan commercial les productions insulaires. Rien ou presque n’est fait pour stimuler les productions agricoles de proximité. Cela n’est pas dû aux seules institutions régionales mais à la structure et à l’orientation générale du système alimentaire insulaire conçu pour et par le consumérisme, pour et par le tourisme estival. Plusieurs grands secteurs stratégiques ne sont pas investis, pas même au titre d’espaces-tests territoriaux (maraîchage d’hiver, céréales, viandes, alimentation animale). Le volontarisme des politiques régionales valorisant l’origine des produits et leur terroir par la certification en signe officiel de qualité est un franc succès à la fois économique et organisationnel. Mais les « produits de niche » ne peuvent constituer la seule orientation de la politique agricole qui, dans d'un système insulaire, fait également office de politique alimentaire. Du fait de leur prix et de leur rareté, ces aliments festifs sortent lentement mais sûrement de l’alimentation de la très grande majorité des Corses.
Redresser notre agriculture pour approvisionner une alimentation du quotidien apparait une gageure. La Corse ne peut pas prendre pour modèle les glorieuses années de l’agro-alimentaire français que la crise écologique remet largement en cause, pas plus qu’elle ne peut rêver d’un grand retour aux anciens fonctionnements communautaires. Elles se doit d’inventer de nouveaux modèles de production et de concevoir de nouvelles chaînes de valeur au bénéfice prioritaire du travail, de l'emploi et de l'alimentation des populations locales.
Cela suppose d’accepter une nouvelle manière de faire de l’agriculture, de rompre avec des modèles de production trop fortement liés à l’agro-fourniture et avec l’ancien modèle corporatiste du métier d’agriculteur. La crise doit ouvrir les métiers de l’agriculture à une variété de profils et de manières de « faire revenu » en soutenant la polyactivité, la pluriactivité et la production de nouveaux aliments. On le voit, le changement concerne les espaces agricoles, les modèles de production, les types d’activité, les choix d’espèce, de race et de variété, les équipements, les corpus techniques et les savoir-faire. Le grand chamboulement attendu n’épargnera pas les productions traditionnelles alors qu'il peut au contraire les sauver.
A titre d’exemple, le pastoralisme ne peut plus demeurer dans le vide normatif actuel, coincé entre la mémoire d’une conduite pastorale trop exigeante au plan humain (la conduite à la musette) et le risque d’une absorption rampante par un modèle artificialisé (intrants alimentaires, races exogènes, concentration animale, abandon des parcours, etc.). Avec les grands enjeux climatiques, l’élevage corse est devenu autant un projet qu’un héritage. L’urgence est de concevoir des modèles pastoraux de référence - et ils peuvent être pluriels - sous peine de voir disparaître tout ce que contient cette activité de promesses et de solutions pour demain, en termes alimentaire, d’équilibre territorial, d’aménagement de l’espace, de protection contre les incendies et d’accomplissement socio-culturel.
L’agriculture insulaire est captive d’un appareil agro-industriel globalisé qui disqualifie au plan commercial les productions insulaires. Rien ou presque n’est fait pour stimuler les productions agricoles de proximité. Cela n’est pas dû aux seules institutions régionales mais à la structure et à l’orientation générale du système alimentaire insulaire conçu pour et par le consumérisme, pour et par le tourisme estival. Plusieurs grands secteurs stratégiques ne sont pas investis, pas même au titre d’espaces-tests territoriaux (maraîchage d’hiver, céréales, viandes, alimentation animale). Le volontarisme des politiques régionales valorisant l’origine des produits et leur terroir par la certification en signe officiel de qualité est un franc succès à la fois économique et organisationnel. Mais les « produits de niche » ne peuvent constituer la seule orientation de la politique agricole qui, dans d'un système insulaire, fait également office de politique alimentaire. Du fait de leur prix et de leur rareté, ces aliments festifs sortent lentement mais sûrement de l’alimentation de la très grande majorité des Corses.
Redresser notre agriculture pour approvisionner une alimentation du quotidien apparait une gageure. La Corse ne peut pas prendre pour modèle les glorieuses années de l’agro-alimentaire français que la crise écologique remet largement en cause, pas plus qu’elle ne peut rêver d’un grand retour aux anciens fonctionnements communautaires. Elles se doit d’inventer de nouveaux modèles de production et de concevoir de nouvelles chaînes de valeur au bénéfice prioritaire du travail, de l'emploi et de l'alimentation des populations locales.
Cela suppose d’accepter une nouvelle manière de faire de l’agriculture, de rompre avec des modèles de production trop fortement liés à l’agro-fourniture et avec l’ancien modèle corporatiste du métier d’agriculteur. La crise doit ouvrir les métiers de l’agriculture à une variété de profils et de manières de « faire revenu » en soutenant la polyactivité, la pluriactivité et la production de nouveaux aliments. On le voit, le changement concerne les espaces agricoles, les modèles de production, les types d’activité, les choix d’espèce, de race et de variété, les équipements, les corpus techniques et les savoir-faire. Le grand chamboulement attendu n’épargnera pas les productions traditionnelles alors qu'il peut au contraire les sauver.
A titre d’exemple, le pastoralisme ne peut plus demeurer dans le vide normatif actuel, coincé entre la mémoire d’une conduite pastorale trop exigeante au plan humain (la conduite à la musette) et le risque d’une absorption rampante par un modèle artificialisé (intrants alimentaires, races exogènes, concentration animale, abandon des parcours, etc.). Avec les grands enjeux climatiques, l’élevage corse est devenu autant un projet qu’un héritage. L’urgence est de concevoir des modèles pastoraux de référence - et ils peuvent être pluriels - sous peine de voir disparaître tout ce que contient cette activité de promesses et de solutions pour demain, en termes alimentaire, d’équilibre territorial, d’aménagement de l’espace, de protection contre les incendies et d’accomplissement socio-culturel.
L’alimentation est trop sérieuse pour être laissée aux seules forces du marché
Alors, comment s’y prendre et quel degré d’autosuffisance peut-on espérer atteindre pour la Corse ? 10, 20, 50 % ? Nous l’avons vu, là n’est pas l’unique objectif de la démarche d’autonomisation. L’ambition d’un tel processus est avant tout de se donner un cap vers une plus grande souveraineté sur des secteurs stratégiques pour l’approvisionnement des populations résidentes. Donner à l’alimentation une dimension éminemment politique consiste à traduire des points de PIB, des flux, des stocks, des marques et des marchés en d’autres dimensions.
L’alimentation est aussi une affaire de capacitation des individus et de démocratie participative. En prenant à bras le corps notre alimentation, nous nous exerçons à bien d’autres aspects de la vie collective que le seul fait de se nourrir. Pour cette raison essentielle, l’aliment n’est pas un bien de consommation comme les autres. Le champ de l’alimentation abrite plusieurs composantes de la vie d’une société. Il recouvre plusieurs catégories d’enjeux, tels que la gestion des propriétés collective et privée, le rapport au vivant, la biodiversité, le choix d’utilisation des sols, un enjeu de savoir, de connaissance, de métiers et bien sûr un enjeu de création d’emplois. Parce que l’alimentation structure les sociétés au-delà d’elle-même, elle est finalement affaire de culture.
Concernant l’offre foncière, il convient de sanctuariser les terres agricoles avec la même force, la même diligence que les sites remarquables. L’artificialisation galopante des sols de ces deux dernières décennies a abimé une grande partie d’entre eux. Nous avons réduit les surfaces agricoles productives à une fonction de support non sans conséquence. Une note de conjoncture produite par le Think Tank Utopies, portant sur les disponibilités foncières pour l’agriculture de 100 aires urbaines montre que les villes d’Aiacciu et de Bastia occupent respectivement la 23ème place (Taux de 2,66%) et la 46ème place (Taux de 1,88%) pour une moyenne française de 2,1%. En conséquence, plus proches du mauvais groupe (Paris, 7%, Marseille 14%, Bordeaux ou Nice 21%) que du bon groupe (Tarbes, Pau, Angers, etc.) dont le potentiel peut couvrir la totalité des besoins alimentaires de leurs habitants. Il est donc urgent d’arrêter le massacre des terres arables.
Une autre piste pour diminuer les dépendances alimentaires consiste à redécouvrir les anciens procédés de report de la production agricole. Le succès de la mondialisation de l’agroalimentaire s’est bâti en grande partie sur ce que l’on peut désigner comme la « dictature du frais » en s’affranchissant des saisons. Une norme omniprésente et finalement partagée par l’ensemble des opérateurs y compris des mangeurs s’est imposée. Or, la fraîcheur est obtenue par diverses pratiques de désaisonnement coûteuse en énergie, à l’origine d’émissions considérables, et par l’importation de produits provenant de l’autre partie du monde. Redécouvrir, réinventer les techniques de report suppose de documenter et d’expérimenter sans attendre leurs pratiques en réhabilitant le sec, le sel, le sucre et la conserve !
L’alimentation est aussi une affaire de capacitation des individus et de démocratie participative. En prenant à bras le corps notre alimentation, nous nous exerçons à bien d’autres aspects de la vie collective que le seul fait de se nourrir. Pour cette raison essentielle, l’aliment n’est pas un bien de consommation comme les autres. Le champ de l’alimentation abrite plusieurs composantes de la vie d’une société. Il recouvre plusieurs catégories d’enjeux, tels que la gestion des propriétés collective et privée, le rapport au vivant, la biodiversité, le choix d’utilisation des sols, un enjeu de savoir, de connaissance, de métiers et bien sûr un enjeu de création d’emplois. Parce que l’alimentation structure les sociétés au-delà d’elle-même, elle est finalement affaire de culture.
Concernant l’offre foncière, il convient de sanctuariser les terres agricoles avec la même force, la même diligence que les sites remarquables. L’artificialisation galopante des sols de ces deux dernières décennies a abimé une grande partie d’entre eux. Nous avons réduit les surfaces agricoles productives à une fonction de support non sans conséquence. Une note de conjoncture produite par le Think Tank Utopies, portant sur les disponibilités foncières pour l’agriculture de 100 aires urbaines montre que les villes d’Aiacciu et de Bastia occupent respectivement la 23ème place (Taux de 2,66%) et la 46ème place (Taux de 1,88%) pour une moyenne française de 2,1%. En conséquence, plus proches du mauvais groupe (Paris, 7%, Marseille 14%, Bordeaux ou Nice 21%) que du bon groupe (Tarbes, Pau, Angers, etc.) dont le potentiel peut couvrir la totalité des besoins alimentaires de leurs habitants. Il est donc urgent d’arrêter le massacre des terres arables.
Une autre piste pour diminuer les dépendances alimentaires consiste à redécouvrir les anciens procédés de report de la production agricole. Le succès de la mondialisation de l’agroalimentaire s’est bâti en grande partie sur ce que l’on peut désigner comme la « dictature du frais » en s’affranchissant des saisons. Une norme omniprésente et finalement partagée par l’ensemble des opérateurs y compris des mangeurs s’est imposée. Or, la fraîcheur est obtenue par diverses pratiques de désaisonnement coûteuse en énergie, à l’origine d’émissions considérables, et par l’importation de produits provenant de l’autre partie du monde. Redécouvrir, réinventer les techniques de report suppose de documenter et d’expérimenter sans attendre leurs pratiques en réhabilitant le sec, le sel, le sucre et la conserve !
Vers une planification agrialimentaire ?
La crise fait de l’alimentation -aux cotés de l’habitat et des mobilités- un méta-enjeu dont les effets de levier sont particulièrement puissants pour répondre rapidement aux changement de régime climatique. Le diptyque « Mieux produire et Mieux manger » s’attaque aux causes en diminuant les émissions et en même temps à leurs conséquences locales en offrant des solutions d’adaptation et de résilience. En cela, et parce que le temps nécessaire pour redresser un système alimentaire excède largement le temps des marchés, l’idée de planifier l’autonomie alimentaire en commençant par la réduction des dépendances reprend sens. L’exercice de planification pourrait partir des besoins alimentaires relativement aux dimensions de la Corse et des limites de la biosphère. Ce que résume Eloi Laurent pour lequel il s’agit d’organiser « la rencontre entre des règles vertes et des besoins universels ». Sachant que la part de la consommation alimentaire des Français est constituée pour 65 % de produits transformés et pour 24 % de repas pris hors domicile -et il y a peu de raisons que celle des Corses soit sensiblement différente-, la Corse dispose avec la commande publique d’un levier puissant pour amorcer une nouvelle agriculture de proximité, des entreprises agroalimentaires et de restauration collective. Une décision politique qui pourrait être le premier chapitre d’une planification agri-alimentaire de la Corse.
Aux yeux de nombreux politiques et de gestionnaires, l’autonomie alimentaire est perçue comme une douce folie romantique. Le Covid a cependant redonné force à l’idée. Son principe est simple, il s’agit de rapprocher l’offre alimentaire de la demande, pour réinstaurer des échanges commerciaux écologiques et équitables, et sécuriser nos besoins. Mais la mise en œuvre s’avère complexe et commande une réflexion globale sur le système alimentaire de la Corse. Ainsi, il s’agit de considérer les pertes de richesse et les coûts cachés de la dépendance alimentaire. Le concept d’autonomie a pour avantage de considérer plusieurs directions de l’alimentation, son échelle politique (Nation, collectivités), en termes de bassin de vie (la vallée, le quartier, le village) ou du point de vue de la capacité d’un groupe (communauté, ménage) ou d’un individu. En cela, l’autonomie restitue le caractère processuel et multidimensionnel de l’alimentation et de là rend possible son traitement politique en évitant sa réduction à l’économie marchande.
Parce que l’alimentation est une composante essentielle du changement, elle constitue une manière d’habiter les territoires à l’ère de l’anthropocène. C’est ce que signifie le choix ou non de l’inscrire dans un programme d’autonomie politique avec l’ambition de faire de la Corse un modèle d’autonomisation alimentaire et d’économe circulaire. Une utopie au regard des prémisses mais une utopie réaliste au regard des enjeux pour reprendre l’oxymore (en apparence) proposé par Bregman.
Aux yeux de nombreux politiques et de gestionnaires, l’autonomie alimentaire est perçue comme une douce folie romantique. Le Covid a cependant redonné force à l’idée. Son principe est simple, il s’agit de rapprocher l’offre alimentaire de la demande, pour réinstaurer des échanges commerciaux écologiques et équitables, et sécuriser nos besoins. Mais la mise en œuvre s’avère complexe et commande une réflexion globale sur le système alimentaire de la Corse. Ainsi, il s’agit de considérer les pertes de richesse et les coûts cachés de la dépendance alimentaire. Le concept d’autonomie a pour avantage de considérer plusieurs directions de l’alimentation, son échelle politique (Nation, collectivités), en termes de bassin de vie (la vallée, le quartier, le village) ou du point de vue de la capacité d’un groupe (communauté, ménage) ou d’un individu. En cela, l’autonomie restitue le caractère processuel et multidimensionnel de l’alimentation et de là rend possible son traitement politique en évitant sa réduction à l’économie marchande.
Parce que l’alimentation est une composante essentielle du changement, elle constitue une manière d’habiter les territoires à l’ère de l’anthropocène. C’est ce que signifie le choix ou non de l’inscrire dans un programme d’autonomie politique avec l’ambition de faire de la Corse un modèle d’autonomisation alimentaire et d’économe circulaire. Une utopie au regard des prémisses mais une utopie réaliste au regard des enjeux pour reprendre l’oxymore (en apparence) proposé par Bregman.
Pour aller plus loin
Repères bibliographiques :
Bregman R., Utopies réalistes, Ed. Seuil
Dictionnaire d’agroécologie, INRAE
Laurent E., La raison économique et ses monstres : Mythologie économique (vol3)
Bregman R., Utopies réalistes, Ed. Seuil
Dictionnaire d’agroécologie, INRAE
Laurent E., La raison économique et ses monstres : Mythologie économique (vol3)