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Arabacci è Lucchesacci



Nous entrons dans l’année du quatre-vingtième anniversaire de la Libération de la Corse des régimes nazi et fasciste. Tonì Casalonga nous propose d'en profiter, non seulement pour nous rappeler l'importance du devoir du mémoire, mais pour repenser notre rapport à l'autre et à nos idéaux, .



Une colonne de Tabors du 2ème GTM progresse vers le port de Bastia à la fin de l’opération « Vésuve » menée pour la libération de la Corse
Une colonne de Tabors du 2ème GTM progresse vers le port de Bastia à la fin de l’opération « Vésuve » menée pour la libération de la Corse
En 2013, le 70e anniversaire avait été justement célébré. Hommages avaient été alors rendus aux résistants corses comme aux soldats venus d’Afrique du nord, ceux du Bataillon de choc et les goumiers de la 4division marocaine de montagne. Dix ans plus tard, en observant le monde qui est le nôtre, aujourd’hui traversé par une sorte de fatalisme résigné, comment ne pas voir clairement dans ceux qui menèrent cette bataille un exemple à suivre, un encouragement à ne pas accepter l’inacceptable. 
Comment ne pas y voir aussi, et tout particulièrement à travers les honneurs alors rendus et la reconnaissance manifestée aux combattants maghrébins, qu’aujourd’hui encore viennent de l’autre côté de la Méditerranée des hommes et des femmes épris de liberté et que notre hospitalité présente devrait être à la hauteur de leur sacrifice passé ?

Mais comment aussi, à l’heure où dans l’Italie si proche se dresse à nouveau le spectre du fascisme, ne pas s’interroger rétrospectivement sur l’oubli en 2013 – mise à part une phrase dans le discours prononcé par Léo Micheli à Bastia - des combattants italiens ? Car sur les 80.000 hommes du VIIe corps qui avaient au nom du Duce occupé la Corse, nombreux furent ceux qui après l’armistice signée le 3 septembre 1943 répondirent à l’appel du Comité départemental du Front national qui disait, ainsi que le rapporte Maurice Choury [1]  : « Patriotes de Corse, aux armes contre Hitler ! Soldats italiens antifascistes, avec nous contre l’ennemi de l’Europe ! ».
Et les Corses, de leur côté, avaient pu lire dans le journal clandestin publié par le Front patriotique de la jeunesse, Le jeune Corse résistant, un appel aux soldats italiens antifascistes à ne pas se laisser désarmer et à « manifester leur haine du bourreau Hitler et de ses serviteurs […] les criminels de l’OVRA  ». Suivait un appel à la population bastiaise qui appelait à manifester « avec les soldats italiens antifascistes, aux chants mêlés de la Marseillaise et de l’hymne de Garibaldi, contre Hitler et les valets de Vichy et de Rome ».

Comment a-t-on pu, lors de la commémoration de 2013, oublier les 245 soldats italiens tués et les 557 blessés sur notre terre en luttant contre l’armée allemande et contre leurs propres compatriotes à chemises noires, et pourquoi ne pas les avoir associés à la commémoration de cette Libération qui fut aussi la leur ?
Ce fut une belle occasion manquée, pour notre société marquée par l’exclusion grandissante de l’« autre », quel qu’il soit, de signifier aux yeux du monde que le « Lucchesacciu » d’hier et l’« Arabacciu » d’aujourd’hui ont partagé, partagent encore et partageront sans doute aussi demain notre combat pour les libertés, et que nous avons le devoir de partager le leur.
 

[1] La résistance en Corse, Paris, Editions sociales, 1958, pp. 135 et 156.
 
Samedi 18 Février 2023
Tonì Casalonga


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