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Sustene u chjam'è rispondi



Iè chì i Corsi ponu fà valè a so cultura! È e so forme più creative! À l’initiative de plusieurs associations, de poètes et chercheurs soutenus par l’Assemblea di a Ghjuventù, le chjam’è rispondi fait actuellement l’objet d’une demande d’inscription du chjam’è rispondi au Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) auprès du ministère de la Culture. Pratiqué dans toute l’île de longue date, il est devenu très populaire dans les années 1950 grâce au talent d’improvisateurs célèbres, puis a connu à partir de 1980 un fléchissement important en nombre de pratiquants et de joutes poétiques. L’émergence de nouveaux adeptes démontre qu’il reste une modalité d’expression aussi vivante qu’épatante. Tocc’à noi dinù di fà lu campà !



Tonì Casalonga, eau-forte, U Barbutu & u Rusiignolu
Tonì Casalonga, eau-forte, U Barbutu & u Rusiignolu
Il est très important de distinguer l’improvisation poétique chantée en Corse du cantu in paghjella inscrit au Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) depuis 2009. Le répertoire traditionnel chanté en paghjella n’est pas improvisé mais transmis et chanté par des interprètes, alors que le Chjam’è rispondi, comme son nom l’indique, est une réponse individuelle à un appel (chjama), autrement dit un échange impromptu entre deux ou plusieurs improvisateurs dans une joute oratoire chantée en vers rimés selon une forme fixe. Il ne s’agit donc pas d’interpréter un répertoire déjà existant mais de réaliser une création poétique originale sur un thème non connu d’avance. À chaque performance, unique et éphémère, chaque improvisateur produit un texte nouveau en répondant sans préparation à un défi lancé par un autre, sur des thèmes très variés et selon un protocole très codifié. Cette performance exige à la fois une mémoire sûre, une grande agilité intellectuelle et une parfaite maîtrise non seulement de la langue mais des techniques de composition poétiques et musicales.

Una Storia ricchissima

Les formes d’improvisation poétique qui sont encore chantées en Corse remontent à la plus haute Antiquité. Elles sont comparables à la poesia estemporanea qu’on trouve en Italie (par exemple la gara sarde) et en Espagne (la glosa des Baléares, le trovo de Murcia), ainsi qu’ au bertsolari du Pays Basque, avec des différences et des variations notables, parmi lesquelles le statut bénévole de ses adeptes car il n’a jamais existé et il n’y a toujours pas en Corse d’improvisateurs professionnels et les performances ne sont pas rémunérées. Cette tradition s’est perpétuée en Corse jusqu’à nos jours sans interruption, uniquement par transmission orale, en demeurant très proche du « chant amébée  » de la Grèce ancienne dont le nom amoibos, qui se traduit littéralement par « réponse alternée », signifie la même chose que chjam’è rispondi en langue corse.
Cette joute poétique était autrefois indissociable des activités pastorales et se déroulait en plein air : deux bergers se répondaient alternativement, en strophes de même longueur, sur un thème donné par l’un d’eux ou par un arbitre, et chaque partenaire enchaînait à tour de rôle vers et rimes selon des techniques très codifiées. Originairement orale, cette pratique impromptue et spontanée a été très tôt imitée et représentée dans la littérature écrite, devenant un genre de poésie savante très en vogue. Passé de la Sicile de Théocrite (IIIe s. av. J.C.) à la Rome impériale avec les Bucoliques de Virgile (1er s. av. J.C.), ce genre a été réinventé dans l’Italie de la Renaissance par le napolitain Iacopo Sannazaro (Arcadia, 1502) puis s’est propagé jusqu’au XIXe s. à travers toute l’Europe, avec ou sans musique, dans de nombreuses fictions pastorales.

Mais parallèlement à cette littérature savante, de “vraies” joutes poétiques orales, improvisées et chantées, n’ont cessé d’être pratiquées dans les milieux populaires jusqu’au début du XXe siècle, en Corse comme en Toscane et dans d’autres régions rurales d’Italie. L’île, qui a été pisane puis génoise jusqu’au XVIIIe siècle, a conservé avec sa langue vernaculaire, même après être devenue française, un patrimoine poétique très ancien dont le chjam’è rispondi faisait partie, et que les voyageurs des XIXe et XXe siècles s’étonnaient de trouver encore bien vivant en Corse, comme le journaliste Paul Bourde qui écrivait en 1887 : « Je ne crois pas qu’il y ait un autre peuple en Europe chez lequel la pensée s’exprime ainsi spontanément dans des formes rythmées. Presque tout le monde est capable de faire de ces chants ». Parmi les traces d’anciens savoirs “populaires” qui se sont conservés dans l’île alors que les sociétés modernes les avaient occultées, cette alliance entre musique et poésie qui reliait organiquement les cultures méditerranéennes était aussi le fondement anthropologique de toutes les langues du monde.
Jusqu’au milieu du XXe siècle, les concours de chjam’è rispondi ont été la principale attraction des grandes foires agricoles de l’île, et on connaît encore le nom des plus célèbres improvisateurs qui parcouraient la Corse entière pour se mesurer les uns aux autres devant un public nombreux de connaisseurs. Depuis la fin du XXsiècle, le nombre de pratiquants et la fréquence des joutes poétiques ont subi un fléchissement important, mais le chjam’è rispondi n’a jamais cessé de se maintenir vivant, principalement en milieu rural, grâce aux associations culturelles qui ont favorisé l’émergence et la fédération de nouveaux adeptes.

U bisognu di puntà

Contrairement à la poésie improvisée des Basques et des Catalans, inscrite au PCI et enseignée depuis longtemps dans les écoles, le chjam’è rispondi n’est pas encore reconnu à sa juste valeur, non seulement pour son efficacité dans l’apprentissage de la langue corse mais plus encore en tant qu’exercice d’agilité mentale entraînant au débat d’idées. Il est menacé aujourd’hui de n’être plus qu’un divertissement ayant perdu toute fonction sociale, c’est pourquoi il est urgent de le redynamiser en le faisant mieux connaître et en multipliant les modes d’apprentissage et les occasions de rencontre, afin de diversifier les publics et de lui rendre son ancienne fonction de maîtrise des conflits par la parole.
Relayée par la radio et la télévision, où des expériences ont déjà été tentées avec succès au début des années 2000, la convergence d’actions de formation et d’information pourra aider à sensibiliser un plus grand nombre d’amateurs et à susciter de nouvelles vocations chez les jeunes, qui ignorent la valeur patrimoniale de ses anciennes fonctions mais manifestent un désir pressant de connaître ses diverses applications et ses possibilités de renouvellement.

Tocc'à noi

Un groupe de travail issu du milieu associatif (Centre National de Création Musicale VOCE de Pigna, Adecec de Cervioni, Associu chjam’è rispondi) et de la société civile (Assemblea di a Giuventù, poètes, chercheurs, étudiants, enseignants) assure le travail de structuration et de constitution du dossier de demande d'inscription, mais une pétition est en cours pour renforcer la dynamique. À noi tutti di mustrà chì ci tenimu à sta cultura !
Pudete zifrà quì
 
Mardi 28 Janvier 2025
Françoise Graziani


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