Auditionné le 28 janvier 2025 par les membres de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Corse, l’ancien préfet de Corse, Amaury de Saint-Quentin, aurait notamment été interrogé sur le degré de pénétration de la mafia dans notre île. Le préfet aurait alors déclaré que « la criminalité organisée imprègne l’intégralité de la société corse, y compris les services de l’État ».
Je mets cette information au conditionnel puisque les travaux de cette mission ayant vocation à rester confidentiels, aucun document officiel ne vient confirmer la véracité ou l’exactitude du propos. Ces mots toutefois ont été largement rendus publics et aucun démenti n’est venu les infirmer. Ils peuvent donc être tenus pour vrais.
Je mets cette information au conditionnel puisque les travaux de cette mission ayant vocation à rester confidentiels, aucun document officiel ne vient confirmer la véracité ou l’exactitude du propos. Ces mots toutefois ont été largement rendus publics et aucun démenti n’est venu les infirmer. Ils peuvent donc être tenus pour vrais.
Qu’a voulu dire Amaury de Saint-Quentin ?
Une telle déclaration doit en tout premier lieu être interprétée. Qu’a voulu exactement dire Amaury de Saint-Quentin ? Sa déclaration telle que rapportée s’articule autour de trois références. Tout d’abord, lorsque le préfet parle de « criminalité organisée », il fait bien sûr référence à ce que d’autres appellent « la mafia ».
Il préfère toutefois utiliser l’expression « criminalité organisée » moins connotée que le mot « mafia ». Cela doit être noté car, d’après ce qui nous est rapporté, il répondait à une question dans laquelle le mot mafia aurait bien été employé. Le préfet maîtrise le contenu de sa réponse et tient, sinon à faire le distinguo, au moins à choisir ses mots.
En second lieu il aurait déclaré que « l’intégralité de la société corse est imprégnée ». « L’intégralité de la société corse », c’est-à-dire l’ensemble du corps social, des individus et des institutions. « Imprégnée », cela veut dire gagnée par une forme d’état d’esprit. Pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité, il n’aurait pas dit que l’intégralité de la société corse est menacée par la criminalité organisée ou en butte à cette criminalité, il aurait bien dit « imprégnée ».
En d’autres termes, nous qui vivons en Corse sommes tous concernés et, en quelque sorte, sommes tous contaminés. Que nous le voulions ou pas, que nous en soyons conscients ou non, cela veut dire que derrière tous les actes que nous accomplissons existerait un rapport, une correspondance, un « climat » en lien avec les agissements ou avec l’esprit de la criminalité organisée.
En troisième lieu, cette imprégnation aurait atteint de tels niveaux que les services de l’État eux-mêmes seraient désormais contaminés.
Il préfère toutefois utiliser l’expression « criminalité organisée » moins connotée que le mot « mafia ». Cela doit être noté car, d’après ce qui nous est rapporté, il répondait à une question dans laquelle le mot mafia aurait bien été employé. Le préfet maîtrise le contenu de sa réponse et tient, sinon à faire le distinguo, au moins à choisir ses mots.
En second lieu il aurait déclaré que « l’intégralité de la société corse est imprégnée ». « L’intégralité de la société corse », c’est-à-dire l’ensemble du corps social, des individus et des institutions. « Imprégnée », cela veut dire gagnée par une forme d’état d’esprit. Pour qu’il n’y ait pas d’ambigüité, il n’aurait pas dit que l’intégralité de la société corse est menacée par la criminalité organisée ou en butte à cette criminalité, il aurait bien dit « imprégnée ».
En d’autres termes, nous qui vivons en Corse sommes tous concernés et, en quelque sorte, sommes tous contaminés. Que nous le voulions ou pas, que nous en soyons conscients ou non, cela veut dire que derrière tous les actes que nous accomplissons existerait un rapport, une correspondance, un « climat » en lien avec les agissements ou avec l’esprit de la criminalité organisée.
En troisième lieu, cette imprégnation aurait atteint de tels niveaux que les services de l’État eux-mêmes seraient désormais contaminés.
Une diabolisation de la société corse ?
Compte tenu des conditions et du lieu où ces propos ont été tenus, ils doivent ensuite être évalués à trois niveaux. Premièrement, au niveau du fonctionnement de la société corse en général. Deuxièmement, au niveau du fonctionnement de l’État en Corse depuis des décennies. Troisièmement, au niveau de sa signification face à l’avenir institutionnel de la Corse.
Au niveau du fonctionnement de la société corse en général, cette affirmation est évidemment de la plus haute gravité. Le préfet Amaury de Saint-Quentin n’est pas le premier à formuler une considération qui va dans ce sens. Des magistrats avant lui l’ont également fait dans un livre intitulé Juges en Corse, neuf magistrats témoignent sur l’emprise mafieuse et les ambiguïtés de l’État.
Un premier magistrat, Roland Mahy, y déclare que « cette île est profondément ingérable ». Ce magistrat déclare cela de manière désabusée après avoir constaté que sa hiérarchie et les gendarmes ont tout fait pour entraver une enquête qu’il mène. Ce qui est curieux en l’occurrence c’est qu’il accuse la Corse d’être ingérable alors que les entraves viennent de sa hiérarchie jusqu’à Paris.
Un autre magistrat, Guillaume Cotelle, porte à l’encontre des Corses une accusation plus précise : « L’île fonctionne selon une inversion des valeurs. Le crime est érigé en valeur étalon, le criminel en modèle ». Ces mots sont forts et doivent sans doute autant à la subjectivité de celui qui les prononce qu’à la réalité d’une société. Cela étant dit, l’engouement du public pour les films de cinéma consacrés à la mafia et aux voyous est une réalité qui révèlerait une sorte de fascination. Mais cette réalité concerne la population mondiale, non pas seulement la Corse.
Un troisième magistrat, Bernard Legras, pousse l’analyse encore un peu plus loin : « Adopter une approche catégorielle de la criminalité (en Corse) n’a aucun sens, comme il est tout aussi délicat de dissocier le fonctionnement du grand banditisme de celui de la société corse elle-même ». La société corse dans son entier fonctionnerait donc comme le grand banditisme.
Chacune de ces affirmations de magistrats et aujourd’hui d’un préfet pourrait faire l’objet d’une évaluation et conduirait probablement leurs auteurs à en relativiser le sens. Mais le rapprochement de ces affirmations peut difficilement conduire à une relativisation. La perception que ces personnalités ont de la société corse, après y avoir été confrontées, est collectivement très inquiétante.
Jean-Michel Verne a introduit dans le titre du livre sur les juges en Corse l’idée des « ambiguïtés de l’État ». Une idée qui pourrait conduire à desserrer un peu l’étau de l’accusation. Ces ambiguïtés sont effectivement constatées à travers le récit des magistrats. Malheureusement, ni le journaliste ni les juges, dans le livre, ne lèvent réellement le voile sur l’origine et les raisons de ces ambigüités.
Le préfet de son côté introduit aujourd’hui l’idée que l’imprégnation de la société corse à tous les niveaux par le crime organisé s’étendrait jusqu’aux « services de l’État ». En d’autres termes, cette imprégnation est telle que personne sur l’île ne pourrait y échapper. Cela, si l’on y réfléchit bien, pourrait permettre d’expliquer certains dérapages auxquels nous avons assisté en Corse. Le préfet Bonnet, par exemple, ne serait-il pas un honnête homme, un brave fonctionnaire, contaminé par une société diabolique ?
Car ce à quoi nous assistons, au fil des déclarations, ressemble à une sorte de diabolisation, non pas seulement des bandes criminelles qui sévissent en Corse, mais de la société insulaire dans son entier. Cela peut avoir l’avantage d’exonérer l’État de ses échecs dans l’accomplissement de ses missions régaliennes.
Au niveau du fonctionnement de la société corse en général, cette affirmation est évidemment de la plus haute gravité. Le préfet Amaury de Saint-Quentin n’est pas le premier à formuler une considération qui va dans ce sens. Des magistrats avant lui l’ont également fait dans un livre intitulé Juges en Corse, neuf magistrats témoignent sur l’emprise mafieuse et les ambiguïtés de l’État.
Un premier magistrat, Roland Mahy, y déclare que « cette île est profondément ingérable ». Ce magistrat déclare cela de manière désabusée après avoir constaté que sa hiérarchie et les gendarmes ont tout fait pour entraver une enquête qu’il mène. Ce qui est curieux en l’occurrence c’est qu’il accuse la Corse d’être ingérable alors que les entraves viennent de sa hiérarchie jusqu’à Paris.
Un autre magistrat, Guillaume Cotelle, porte à l’encontre des Corses une accusation plus précise : « L’île fonctionne selon une inversion des valeurs. Le crime est érigé en valeur étalon, le criminel en modèle ». Ces mots sont forts et doivent sans doute autant à la subjectivité de celui qui les prononce qu’à la réalité d’une société. Cela étant dit, l’engouement du public pour les films de cinéma consacrés à la mafia et aux voyous est une réalité qui révèlerait une sorte de fascination. Mais cette réalité concerne la population mondiale, non pas seulement la Corse.
Un troisième magistrat, Bernard Legras, pousse l’analyse encore un peu plus loin : « Adopter une approche catégorielle de la criminalité (en Corse) n’a aucun sens, comme il est tout aussi délicat de dissocier le fonctionnement du grand banditisme de celui de la société corse elle-même ». La société corse dans son entier fonctionnerait donc comme le grand banditisme.
Chacune de ces affirmations de magistrats et aujourd’hui d’un préfet pourrait faire l’objet d’une évaluation et conduirait probablement leurs auteurs à en relativiser le sens. Mais le rapprochement de ces affirmations peut difficilement conduire à une relativisation. La perception que ces personnalités ont de la société corse, après y avoir été confrontées, est collectivement très inquiétante.
Jean-Michel Verne a introduit dans le titre du livre sur les juges en Corse l’idée des « ambiguïtés de l’État ». Une idée qui pourrait conduire à desserrer un peu l’étau de l’accusation. Ces ambiguïtés sont effectivement constatées à travers le récit des magistrats. Malheureusement, ni le journaliste ni les juges, dans le livre, ne lèvent réellement le voile sur l’origine et les raisons de ces ambigüités.
Le préfet de son côté introduit aujourd’hui l’idée que l’imprégnation de la société corse à tous les niveaux par le crime organisé s’étendrait jusqu’aux « services de l’État ». En d’autres termes, cette imprégnation est telle que personne sur l’île ne pourrait y échapper. Cela, si l’on y réfléchit bien, pourrait permettre d’expliquer certains dérapages auxquels nous avons assisté en Corse. Le préfet Bonnet, par exemple, ne serait-il pas un honnête homme, un brave fonctionnaire, contaminé par une société diabolique ?
Car ce à quoi nous assistons, au fil des déclarations, ressemble à une sorte de diabolisation, non pas seulement des bandes criminelles qui sévissent en Corse, mais de la société insulaire dans son entier. Cela peut avoir l’avantage d’exonérer l’État de ses échecs dans l’accomplissement de ses missions régaliennes.
Une culture qui n’est pas seulement culture de la violence
L’avocat des magistrats et du préfet répondrait sans doute, au bénéfice de ses clients, qu’ils n’ont pas voulu incriminer les Corses en tant que communauté. Ils ont observé que la criminalité organisée était à ce point présente et prégnante en Corse que l’intégralité de la société, à son corps défendant, se trouvait désormais sous influence. Mais de fait, l’imprégnation vue sous cet angle et à ce niveau ne risque-t-elle pas d’être devenue une seconde nature ?
En d’autres termes, l’imprégnation pourrait même, avec le temps, s’être muée en l’un des éléments de la culture insulaire. Un pas que l’ancien ministre de l’Intérieur Manuel Valls avait franchi en affirmant que « la violence est culturellement enracinée en Corse ». Et une conception que deux journalistes, Jacques Follorou et Vincent Nouzille, avaient étayé en écrivant dans leur monumental ouvrage sur Les parrains corses que « la terreur est une composante des mentalités insulaires ».
Les propos du préfet ont été tenus devant une mission chargée de réfléchir à l’avenir institutionnel de la Corse, c’est-à-dire en l’état actuel des choses, à l’octroi d’un statut d’autonomie. Comment accorder l’autonomie à une société à ce point « pourrie », à ce point pervertie, à ce point contaminée, à ce point déviante ?
Il est certes possible de répondre à cet État que le modèle jacobin n’a pas fait la preuve de son efficacité dans la lutte contre toutes les dérives qui sont aujourd’hui dénoncées. Mais cela ne permettrait pas de rassurer les citoyens face au défi de l’autonomie. La vérité, c’est qu’il n’y aurait donc, concernant la Corse, pas de solution.
Pas de solution ? « Si, bien sûr », il existerait une solution ! Demandez à Donald Trump ! N’est-il pas aujourd’hui le nouveau visage de la politique, héritier de « géniaux prédécesseurs » ? Benito Mussolini face à l’idée de réintégrer la Corse dans le giron italien montrait une certaine prudence : « La gabbia senza gli uccelli » aurait-il suggéré, « La cage sans les oiseaux ».
Une idée moderne, « trumpienne » : Gaza sans les palestiniens, Israël sans les Arabes. Une idée toutefois qui vient de loin : l’Amérique sans les « natives » - les Indiens. Cela a donné le pays le plus puissant du monde, le modèle des temps modernes, le cauchemar des naïfs, le rêve des investisseurs. La Corse sans les Corses, dans l’imaginaire des grands investisseurs, serait le paradis des touristes, comme Gaza sans les Palestiniens, dans l’esprit de Donald Trump, permettra de créer la plus belle des « Riviera ».
En d’autres termes, l’imprégnation pourrait même, avec le temps, s’être muée en l’un des éléments de la culture insulaire. Un pas que l’ancien ministre de l’Intérieur Manuel Valls avait franchi en affirmant que « la violence est culturellement enracinée en Corse ». Et une conception que deux journalistes, Jacques Follorou et Vincent Nouzille, avaient étayé en écrivant dans leur monumental ouvrage sur Les parrains corses que « la terreur est une composante des mentalités insulaires ».
Les propos du préfet ont été tenus devant une mission chargée de réfléchir à l’avenir institutionnel de la Corse, c’est-à-dire en l’état actuel des choses, à l’octroi d’un statut d’autonomie. Comment accorder l’autonomie à une société à ce point « pourrie », à ce point pervertie, à ce point contaminée, à ce point déviante ?
Il est certes possible de répondre à cet État que le modèle jacobin n’a pas fait la preuve de son efficacité dans la lutte contre toutes les dérives qui sont aujourd’hui dénoncées. Mais cela ne permettrait pas de rassurer les citoyens face au défi de l’autonomie. La vérité, c’est qu’il n’y aurait donc, concernant la Corse, pas de solution.
Pas de solution ? « Si, bien sûr », il existerait une solution ! Demandez à Donald Trump ! N’est-il pas aujourd’hui le nouveau visage de la politique, héritier de « géniaux prédécesseurs » ? Benito Mussolini face à l’idée de réintégrer la Corse dans le giron italien montrait une certaine prudence : « La gabbia senza gli uccelli » aurait-il suggéré, « La cage sans les oiseaux ».
Une idée moderne, « trumpienne » : Gaza sans les palestiniens, Israël sans les Arabes. Une idée toutefois qui vient de loin : l’Amérique sans les « natives » - les Indiens. Cela a donné le pays le plus puissant du monde, le modèle des temps modernes, le cauchemar des naïfs, le rêve des investisseurs. La Corse sans les Corses, dans l’imaginaire des grands investisseurs, serait le paradis des touristes, comme Gaza sans les Palestiniens, dans l’esprit de Donald Trump, permettra de créer la plus belle des « Riviera ».
Le Mohican
Le dernier des « Indiens », justement, dans le film de Frédéric Farrucci, est appelé par ses compatriotes « Le Mohican ».
Menacé par des voyous et des hommes de main qui sont chargés de l’obliger à vendre le terrain de bord de mer sur lequel il élève ses bêtes, il se butte, il résiste et il finit par tuer l’un de ceux qui le menacent. Commence alors une traque au cours de laquelle, pour ses compatriotes, il devient discrètement le héros, celui qui a osé dire non. Et il trouve refuge chez ses amis bergers qui entrent en résistance avec lui. Deux versants de la société corse s’affrontent ici : le versant des voyous, de la criminalité organisée, et le versant des bergers, de la société ordinaire.
Le Mohican dans sa fuite ne songe à aucun moment à faire appel aux gendarmes, aux autorités, à la justice. Il sait (ou il pense) que les commanditaires sont inatteignables. Ces commanditaires, qu’ils soient corses ou qu’ils ne le soient pas, appartiennent à un autre monde que le sien et que celui de ses amis bergers. Ils possèdent des villas avec piscine à Porticcio, dans l’extrême Sud ou en Balagne, des appartements luxueux dans les beaux quartiers de Paris, des bateaux amarrés dans les ports de plaisance de l’île. Ils présentent bien, ont des diplômes, ont leurs entrées chez les banquiers, dinent ou déjeunent à l’occasion avec de hauts fonctionnaires ou avec des ministres, et partagent avec le monde des affaires et avec les « spécialistes » l’idée que la Corse doit désormais devenir la nouvelle Côte d’Azur, le bronze-cul de l’Europe, la Californie de ce côté de l’Atlantique, le paradis des touristes et de la « Jet-Set ».
Le Mohican sait (ou pense) que lui et ses amis bergers ont été mis hors-jeu par le monde de « la Haute », le monde des investisseurs, et par conséquent également, par le monde de la criminalité organisée.
Contrairement à ce que suggère Amaury de Saint-Quentin et ce que disent certains magistrats, la société corse vue sous cet angle n’est pas imprégnée par la criminalité organisée. La Corse est prise d’assaut, convoitée, et la société corse est agressée par la « mafia » et les affairistes de tout poil qui ont détecté en Corse l’existence d’opportunités colossales.
Certes, des Corses, comme partout, se font acheter, profitent de la situation, ou tout simplement ont basculé dans l’affairisme de base, puis tout naturellement dans l’affairisme criminel (les Corses ne sont pas différents des autres peuples, ni pires ni meilleurs). Mais le Mohican et ses amis bergers se moquent de savoir si ceux qui les menacent sont Corses ou ne le sont pas.
Cela ne change rien, ils ne veulent pas de ce monde-là parce que ce monde-là ne veut pas d’eux, parce que les deux mondes dont nous parlons sont inconciliables. Ils n’ont confiance ni dans les préfets, ni dans les gendarmes, ni dans les juges, en un mot dans les autorités, parce qu’ils savent (ou ils pensent) que les dirigeants de la société sont plutôt du côté de l’argent et que la finance est toujours du côté du pouvoir.
L’imprégnation par la criminalité organisée ne serait donc pas principalement du côté de cette société corse, qui s’illustre aussi par un taux de pauvreté important, elle serait du côté des puissants, des gens qui nous gouvernent, de ceux qui croient savoir mieux que le peuple ce qui est bon pour lui, du côté des possédants, et par extension, des messieurs de Wall Street, de la City de Londres, du palais Brongniart… Il y aurait une certaine logique dans tout cela.
Mais nous ne parlons que d’un film et d’une déclaration supposée : l’histoire d’Amaury et du Mohican. Une pure fiction.
Menacé par des voyous et des hommes de main qui sont chargés de l’obliger à vendre le terrain de bord de mer sur lequel il élève ses bêtes, il se butte, il résiste et il finit par tuer l’un de ceux qui le menacent. Commence alors une traque au cours de laquelle, pour ses compatriotes, il devient discrètement le héros, celui qui a osé dire non. Et il trouve refuge chez ses amis bergers qui entrent en résistance avec lui. Deux versants de la société corse s’affrontent ici : le versant des voyous, de la criminalité organisée, et le versant des bergers, de la société ordinaire.
Le Mohican dans sa fuite ne songe à aucun moment à faire appel aux gendarmes, aux autorités, à la justice. Il sait (ou il pense) que les commanditaires sont inatteignables. Ces commanditaires, qu’ils soient corses ou qu’ils ne le soient pas, appartiennent à un autre monde que le sien et que celui de ses amis bergers. Ils possèdent des villas avec piscine à Porticcio, dans l’extrême Sud ou en Balagne, des appartements luxueux dans les beaux quartiers de Paris, des bateaux amarrés dans les ports de plaisance de l’île. Ils présentent bien, ont des diplômes, ont leurs entrées chez les banquiers, dinent ou déjeunent à l’occasion avec de hauts fonctionnaires ou avec des ministres, et partagent avec le monde des affaires et avec les « spécialistes » l’idée que la Corse doit désormais devenir la nouvelle Côte d’Azur, le bronze-cul de l’Europe, la Californie de ce côté de l’Atlantique, le paradis des touristes et de la « Jet-Set ».
Le Mohican sait (ou pense) que lui et ses amis bergers ont été mis hors-jeu par le monde de « la Haute », le monde des investisseurs, et par conséquent également, par le monde de la criminalité organisée.
Contrairement à ce que suggère Amaury de Saint-Quentin et ce que disent certains magistrats, la société corse vue sous cet angle n’est pas imprégnée par la criminalité organisée. La Corse est prise d’assaut, convoitée, et la société corse est agressée par la « mafia » et les affairistes de tout poil qui ont détecté en Corse l’existence d’opportunités colossales.
Certes, des Corses, comme partout, se font acheter, profitent de la situation, ou tout simplement ont basculé dans l’affairisme de base, puis tout naturellement dans l’affairisme criminel (les Corses ne sont pas différents des autres peuples, ni pires ni meilleurs). Mais le Mohican et ses amis bergers se moquent de savoir si ceux qui les menacent sont Corses ou ne le sont pas.
Cela ne change rien, ils ne veulent pas de ce monde-là parce que ce monde-là ne veut pas d’eux, parce que les deux mondes dont nous parlons sont inconciliables. Ils n’ont confiance ni dans les préfets, ni dans les gendarmes, ni dans les juges, en un mot dans les autorités, parce qu’ils savent (ou ils pensent) que les dirigeants de la société sont plutôt du côté de l’argent et que la finance est toujours du côté du pouvoir.
L’imprégnation par la criminalité organisée ne serait donc pas principalement du côté de cette société corse, qui s’illustre aussi par un taux de pauvreté important, elle serait du côté des puissants, des gens qui nous gouvernent, de ceux qui croient savoir mieux que le peuple ce qui est bon pour lui, du côté des possédants, et par extension, des messieurs de Wall Street, de la City de Londres, du palais Brongniart… Il y aurait une certaine logique dans tout cela.
Mais nous ne parlons que d’un film et d’une déclaration supposée : l’histoire d’Amaury et du Mohican. Une pure fiction.