The Geometric Landscapes of Lorenz Stoer (1567)
Marc Held, designer français
Je suis très intéressé par la relation entre l’autorité des architectes, l’autorité des gens qui ont fait des études, et les artisans porteurs de traditions millénaires, connaissant des techniques de construction parfaitement adaptées à la situation économique. Comment cette relation exemplaire peut être transposée dans des conditions économiques, culturelles, historiques différentes ?
Hassan Fathy
Pour jouer avec la terre, il faut un trio : le spécialiste de la mécanique des sols, c’est le violoncelle qui vibre au rythme de la terre. Le violon sera l’ingénieur spécialiste des membranes, qui étudie la résistance des matériaux. L’architecte sera le pianiste. Ce trio naturellement peut jouer n’importe où. C’est l’aspect technique.
Nous avons vu que la construction de la voute demande à être articulée. Elle convient à de petits bâtiments : des écoles, des dispensaires, des hôpitaux ruraux. Bien qu’on trouve en Irak un bâtiment dont la voute a 34 m. Le style du lieu, la décoration sont des éléments formels mais pas structurels. La structure peut s’utiliser n’importe où.
Nous avons créé l’Institut international de la technologie appropriée dont les buts sont de mettre les techniques de la construction à la portée de tout le monde, surtout des classes pauvres. L’industrialisation a provoqué des changements socio-économiques qui font que des millions d’hommes sont voués à une mort prématurée. Pour les aider, dans le domaine de la construction, nous devons être organisés. Dans les pays où le système est fondé sur le couple architecte/entrepreneur, l’architecte dessine dans son bureau puis donne ses dessins à l’entrepreneur et son rôle s’arrête là. L’aspect commercial est plus important que l’art et la culture. Dans les pays pauvres, il faut que l’architecte soit responsable de la formation des maçons. Nous devons travailler comme les compagnons du moyen-âge, avec des maîtres, des compagnons et des apprentis.
Mais nous devons organiser le système pour qu’il fonctionne dans les conditions actuelles, non traditionnelles. Au milieu d’un million de gens, on est anonyme : comment faire pour que des gens s’entre-aident ? Dans l’oasis Harha, le village de Genaf a été enseveli sous les sables. Le maire nous a dit que les villageois avaient reconstruit un autre village. Dans l’ancien village, il était resté un vieux dont la maison avait été à moitié ensevelie Les villageois lui ont construit une maison neuve dans le nouveau village sans lui demander. La tradition maintient le système coopératif. Aujourd’hui nous n’avons plus de tradition mais ce n’est pas une raison pour abandonner.
Donc le but de notre Institut international est de trouver des solutions pour que fonctionne un système de coopération traditionnel dans les conditions non traditionnelles qui régissent notre société, et son action se situe dans « l’enseignement durant le travail ». Nous devons être des citoyens planétaires dont la devis doit être « amour et construction » et non « haine et destruction ».
Arturo Cermellin, architecte italien
Que faisaient les 45 maçons avant la construction du village de Gourna ?
Hassan Fathy
C’étaient des garçons du village qui mendiaient jusqu’au chômage. Aujourd’hui nous manquant de maisons et si ce système fonctionne dans les villages, nous l’appliquerons aussi dans les villes : en subdivisant les communautés en groupes de voisinage de trente familles au maximum, nous ferons en sorte qu’ils s’entraident et ce qu’ils donneront leur sera rendu. Dans les villages, pour les mariages, chaque famille apporte quelque chose qui lui sera rendu en retour :on peut faire la même chose dans le domaine de la construction.
J’habite dans la partie ancienne du Caire que ses habitants ont quittée pour aller dans les nouveaux quartiers modernes ! Je vis parmi d,es gens pauvres qui ne demandent pas mieux que d’apprendre à construire leur maison. Chaque fois que nous réussirons un projet de logement, la construction d’un village ou du quartier d’une cité, l’Institut enregistrera chaque discussion, chaque mot, chaque pas. Et nous donnerons toute cette matière à ceux que j’appelle « le économiquement intouchables ».
Marc Held
Vous nous avez montré des exemples de construction dans des pays dont le niveau économique est très différent de celui des pays industrialisés. Pour en revenir à la Corse qui est prototypique de ce qui se passe dans les pays industriels avancés, nous constatons que le problème ici n’est pas le manque de maisons – il y a beaucoup de maisons vides ou abandonnées dans les villages – mais l’opposition dans la conception du bâti, entre les tenants d’un certain conservatisme représenté par les fonctionnaires du pouvoir central et les architectes au service de ce pouvoir et les utilisateurs qui transforment leur village, leurs maisons et qui n’ont pas la même conception du « beau ». Dans les pays industrialisés, les acteurs impliqués dans la construction n’ont pas la même relation avec le bâti que les maçons nubiens que nous avons vu construire Gourna dans votre film.
Hassan Fathy
On associe toujours la beauté avec la cherté mais c’est faux. Cela n’a rien à voir. Si je donne un demi-mètre cube de terre ou de marbre à Rodin, il créera Le Penseur qui irradie de l’énergie et qui vaut des millions, mais si je donne cette terre ou ce marbre à quelqu’un qui n’est pas Rodin, il me rendra un tas de terre ou de marbre seulement.
Nous devons allier la beauté à l’utilité. Les maisons préfabriquées sont accessibles à tous, mais vous avez vu que les conditions climatiques sont telles chez nous que les enfants qui y habitent meurent de chaleur. Plus l’homme se rapprochera de Dieu, de la terre, de l’environnement, plus il sera cultivé. Dans nos sociétés, nous avons manqué de spiritualité et de qualités humaines et nous payons au prix fort les facilités que nous offrent les machines. Pour se former, une société doit être composée d’organes qui, chacun, doivent avoir une fonction.
Si vous donnez à choisir à nos paysans entre une maison en briques crues et une maison en béton armé, ils choisiront le béton armé parce qu’il coute cher et qu’ils l’associent au progrès. Mais personne ne leur en explique les dangers. Il faudrait un décret pour obliger les architectes à habiter les maisons qu’ils construisent pour les masses, pendant au moins un an, avec femme et enfants ! Quant un client riche me commande une maison, je lui demande combien il veut de pièces, comment il les voit, je lui propose mes dessins que je modifie selon ses indications ; alors que les masses, nous les traitons comme des cailloux ! Et l’un des buts de l’Institut est d’éviter cela. Chaque chantier doit non seulement produire un bâtiment mais aussi former des nouveaux maçons, compagnons et apprentis. L’architecte doit respecter ses semblables et la maison qu’il construit doit être le portrait de son propriétaire.
Un architecte qui dessine la même maison pour tout le monde est comme un peintre qui ne saurait peindre qu’un seul portrait. On ne peut qualifier d’artiste, d’architecte quelqu’un qui répète deux fois la même chose. Si nous réussissons, nous pourrons retrouver une échelle humaine, l’esthétique et la musicalité de nos maisons dans nos villes.
Paul Casalonga, architecte corse
Vous nous montrez la nécessité de la rupture avec le système de la civilisation industrielle. La Corse, malgré les efforts de beaucoup, n’a pas encore totalement basculé dans ce système. Mais les gens ont été conditionnés à penser que les poteries de Vallauris, qui ne servent à rien, sur une cheminée valent mieux que des écuelles qui servent tous les jours, que les chansons de Tino Rossi sur scène valent mieux que les chants polyphoniques dans les fêtes de village. Ces voutes (sous lesquelles nous sommes) ont été construites parce qu’on connaissait les techniques mais aussi parce que les modes d’existence étaient fondés sur la chjamata, l’aiutu, les gens se réunissaient pour construire. Ils s’entraidaient.
Veli Scheffer, architecte suisse
N’y a-t-il pas question lorsque des intellectuels invitent à retourner à des techniques anciennes ? Les gens veulent avancer.
Hassan Fathy
L’économie d’une société industrielle, est certainement très différente de celle d’une société rurale, non industrielle. L’argent joue un rôle primordial dans la première. Cependant il ne faut pas les opposer mais les considérer sur le même plan. Je vais travailler en Afrique différemment qu’en Europe pour des raisons géographique, économiques, sociales, culturelles, mais j’utiliserai mes connaissances de l’une dans l’autre, sans les opposer. Nous devons aider l’humanité à retrouver la notion de qualité - humaine, artistique, culturelle – qui a disparu au profit de l’argent.
Per andà più luntanu
Construire avec le peuple
Je suis très intéressé par la relation entre l’autorité des architectes, l’autorité des gens qui ont fait des études, et les artisans porteurs de traditions millénaires, connaissant des techniques de construction parfaitement adaptées à la situation économique. Comment cette relation exemplaire peut être transposée dans des conditions économiques, culturelles, historiques différentes ?
Hassan Fathy
Pour jouer avec la terre, il faut un trio : le spécialiste de la mécanique des sols, c’est le violoncelle qui vibre au rythme de la terre. Le violon sera l’ingénieur spécialiste des membranes, qui étudie la résistance des matériaux. L’architecte sera le pianiste. Ce trio naturellement peut jouer n’importe où. C’est l’aspect technique.
Nous avons vu que la construction de la voute demande à être articulée. Elle convient à de petits bâtiments : des écoles, des dispensaires, des hôpitaux ruraux. Bien qu’on trouve en Irak un bâtiment dont la voute a 34 m. Le style du lieu, la décoration sont des éléments formels mais pas structurels. La structure peut s’utiliser n’importe où.
Nous avons créé l’Institut international de la technologie appropriée dont les buts sont de mettre les techniques de la construction à la portée de tout le monde, surtout des classes pauvres. L’industrialisation a provoqué des changements socio-économiques qui font que des millions d’hommes sont voués à une mort prématurée. Pour les aider, dans le domaine de la construction, nous devons être organisés. Dans les pays où le système est fondé sur le couple architecte/entrepreneur, l’architecte dessine dans son bureau puis donne ses dessins à l’entrepreneur et son rôle s’arrête là. L’aspect commercial est plus important que l’art et la culture. Dans les pays pauvres, il faut que l’architecte soit responsable de la formation des maçons. Nous devons travailler comme les compagnons du moyen-âge, avec des maîtres, des compagnons et des apprentis.
Mais nous devons organiser le système pour qu’il fonctionne dans les conditions actuelles, non traditionnelles. Au milieu d’un million de gens, on est anonyme : comment faire pour que des gens s’entre-aident ? Dans l’oasis Harha, le village de Genaf a été enseveli sous les sables. Le maire nous a dit que les villageois avaient reconstruit un autre village. Dans l’ancien village, il était resté un vieux dont la maison avait été à moitié ensevelie Les villageois lui ont construit une maison neuve dans le nouveau village sans lui demander. La tradition maintient le système coopératif. Aujourd’hui nous n’avons plus de tradition mais ce n’est pas une raison pour abandonner.
Donc le but de notre Institut international est de trouver des solutions pour que fonctionne un système de coopération traditionnel dans les conditions non traditionnelles qui régissent notre société, et son action se situe dans « l’enseignement durant le travail ». Nous devons être des citoyens planétaires dont la devis doit être « amour et construction » et non « haine et destruction ».
Arturo Cermellin, architecte italien
Que faisaient les 45 maçons avant la construction du village de Gourna ?
Hassan Fathy
C’étaient des garçons du village qui mendiaient jusqu’au chômage. Aujourd’hui nous manquant de maisons et si ce système fonctionne dans les villages, nous l’appliquerons aussi dans les villes : en subdivisant les communautés en groupes de voisinage de trente familles au maximum, nous ferons en sorte qu’ils s’entraident et ce qu’ils donneront leur sera rendu. Dans les villages, pour les mariages, chaque famille apporte quelque chose qui lui sera rendu en retour :on peut faire la même chose dans le domaine de la construction.
J’habite dans la partie ancienne du Caire que ses habitants ont quittée pour aller dans les nouveaux quartiers modernes ! Je vis parmi d,es gens pauvres qui ne demandent pas mieux que d’apprendre à construire leur maison. Chaque fois que nous réussirons un projet de logement, la construction d’un village ou du quartier d’une cité, l’Institut enregistrera chaque discussion, chaque mot, chaque pas. Et nous donnerons toute cette matière à ceux que j’appelle « le économiquement intouchables ».
Marc Held
Vous nous avez montré des exemples de construction dans des pays dont le niveau économique est très différent de celui des pays industrialisés. Pour en revenir à la Corse qui est prototypique de ce qui se passe dans les pays industriels avancés, nous constatons que le problème ici n’est pas le manque de maisons – il y a beaucoup de maisons vides ou abandonnées dans les villages – mais l’opposition dans la conception du bâti, entre les tenants d’un certain conservatisme représenté par les fonctionnaires du pouvoir central et les architectes au service de ce pouvoir et les utilisateurs qui transforment leur village, leurs maisons et qui n’ont pas la même conception du « beau ». Dans les pays industrialisés, les acteurs impliqués dans la construction n’ont pas la même relation avec le bâti que les maçons nubiens que nous avons vu construire Gourna dans votre film.
Hassan Fathy
On associe toujours la beauté avec la cherté mais c’est faux. Cela n’a rien à voir. Si je donne un demi-mètre cube de terre ou de marbre à Rodin, il créera Le Penseur qui irradie de l’énergie et qui vaut des millions, mais si je donne cette terre ou ce marbre à quelqu’un qui n’est pas Rodin, il me rendra un tas de terre ou de marbre seulement.
Nous devons allier la beauté à l’utilité. Les maisons préfabriquées sont accessibles à tous, mais vous avez vu que les conditions climatiques sont telles chez nous que les enfants qui y habitent meurent de chaleur. Plus l’homme se rapprochera de Dieu, de la terre, de l’environnement, plus il sera cultivé. Dans nos sociétés, nous avons manqué de spiritualité et de qualités humaines et nous payons au prix fort les facilités que nous offrent les machines. Pour se former, une société doit être composée d’organes qui, chacun, doivent avoir une fonction.
Si vous donnez à choisir à nos paysans entre une maison en briques crues et une maison en béton armé, ils choisiront le béton armé parce qu’il coute cher et qu’ils l’associent au progrès. Mais personne ne leur en explique les dangers. Il faudrait un décret pour obliger les architectes à habiter les maisons qu’ils construisent pour les masses, pendant au moins un an, avec femme et enfants ! Quant un client riche me commande une maison, je lui demande combien il veut de pièces, comment il les voit, je lui propose mes dessins que je modifie selon ses indications ; alors que les masses, nous les traitons comme des cailloux ! Et l’un des buts de l’Institut est d’éviter cela. Chaque chantier doit non seulement produire un bâtiment mais aussi former des nouveaux maçons, compagnons et apprentis. L’architecte doit respecter ses semblables et la maison qu’il construit doit être le portrait de son propriétaire.
Un architecte qui dessine la même maison pour tout le monde est comme un peintre qui ne saurait peindre qu’un seul portrait. On ne peut qualifier d’artiste, d’architecte quelqu’un qui répète deux fois la même chose. Si nous réussissons, nous pourrons retrouver une échelle humaine, l’esthétique et la musicalité de nos maisons dans nos villes.
Paul Casalonga, architecte corse
Vous nous montrez la nécessité de la rupture avec le système de la civilisation industrielle. La Corse, malgré les efforts de beaucoup, n’a pas encore totalement basculé dans ce système. Mais les gens ont été conditionnés à penser que les poteries de Vallauris, qui ne servent à rien, sur une cheminée valent mieux que des écuelles qui servent tous les jours, que les chansons de Tino Rossi sur scène valent mieux que les chants polyphoniques dans les fêtes de village. Ces voutes (sous lesquelles nous sommes) ont été construites parce qu’on connaissait les techniques mais aussi parce que les modes d’existence étaient fondés sur la chjamata, l’aiutu, les gens se réunissaient pour construire. Ils s’entraidaient.
Veli Scheffer, architecte suisse
N’y a-t-il pas question lorsque des intellectuels invitent à retourner à des techniques anciennes ? Les gens veulent avancer.
Hassan Fathy
L’économie d’une société industrielle, est certainement très différente de celle d’une société rurale, non industrielle. L’argent joue un rôle primordial dans la première. Cependant il ne faut pas les opposer mais les considérer sur le même plan. Je vais travailler en Afrique différemment qu’en Europe pour des raisons géographique, économiques, sociales, culturelles, mais j’utiliserai mes connaissances de l’une dans l’autre, sans les opposer. Nous devons aider l’humanité à retrouver la notion de qualité - humaine, artistique, culturelle – qui a disparu au profit de l’argent.
Per andà più luntanu
Construire avec le peuple