François Pernin : Les pauvres n’auront que la rue comme espace d’expression, aucun parti politique, aucune interface sociale crédible n’est leur voix. Ni les syndicats ni les églises ne remplissent plus ce rôle et où sont les intellectuels ?
Tonì Casalonga : J’ajouterai volontiers : et où sont aussi les artistes ? Voilà de longues années que je me pose cette question, et je n’ai pour l’instant pas encore trouvé la réponse. Heureux ceux qui, comme vous, dans l’exercice de leur métier, peuvent apporter du soulagement, sous une forme ou sous une autre, à ceux que l’on n’ose plus appeler « les pauvres ». Les artistes, et avec eux les intellectuels, les syndicats et même les églises sont bien désarmés, partagés entre la tentation de l’engagement total dans l’action, à la manière de François d’Assise abandonnant son art de ménestrel pour s’y consacrer, et le profond désir, peut-être le rêve, sans doute l’illusion que leur art puisse, à sa manière, libérer un moment du poids de la misère.
Mais peut-être faut-il voir les choses sous un autre angle. On peut lire dans Robba un article intitulé « Que faut-il relancer de notre économie ? » qui indique dans une note que pour l'économiste Amartya Sen, les inégalités entre les individus ne s’apprécient pas au regard de leurs seules dotations en ressources mais de leurs capacités à les convertir en libertés réelles. Il introduit ainsi la notion de « capabilités » (ou « libertés substantielles ») qui invite à considérer la pauvreté au-delà des seuls aspects monétaires et à la penser en termes de libertés d’action, de capacités à faire.
Ne pensez-vous pas que si l’on accepte cette notion, certes les pauvres n’en sont que statistiquement plus nombreux mais qu’alors, peut-être, un chemin s’ouvre pour donner aux artistes et aux intellectuels – et avec eux aux syndicats et aux églises – une fonction qui va au-delà du plaisir esthétique - ou des exigences sociales et de spiritualité - et touche à l’essence même du concept de pauvreté ?
Mais peut-être faut-il voir les choses sous un autre angle. On peut lire dans Robba un article intitulé « Que faut-il relancer de notre économie ? » qui indique dans une note que pour l'économiste Amartya Sen, les inégalités entre les individus ne s’apprécient pas au regard de leurs seules dotations en ressources mais de leurs capacités à les convertir en libertés réelles. Il introduit ainsi la notion de « capabilités » (ou « libertés substantielles ») qui invite à considérer la pauvreté au-delà des seuls aspects monétaires et à la penser en termes de libertés d’action, de capacités à faire.
Ne pensez-vous pas que si l’on accepte cette notion, certes les pauvres n’en sont que statistiquement plus nombreux mais qu’alors, peut-être, un chemin s’ouvre pour donner aux artistes et aux intellectuels – et avec eux aux syndicats et aux églises – une fonction qui va au-delà du plaisir esthétique - ou des exigences sociales et de spiritualité - et touche à l’essence même du concept de pauvreté ?
François Pernin : Avec mes compagnons de lutte contre l’infortune, nous évoluons au rez-de-chaussée de la pyramide de Maslow, et dans ses sous-sols, nous sommes chaque jour au contact d’une pauvreté qui tue, qui tue physiquement, pour de vrai : la faim, le froid, la maladie, la rue, la misère financière. Sous le regard des autres qui vous rend responsable de cette pauvreté, miné par l’angoisse permanente de perdre le peu qu’on a : demain ne me coupera-t-on pas l’eau et l’électricité, ne serai-je pas délogé, mangerai-je à ma faim, ma femme et mes gosses seront-ils toujours là ?
Vous, artistes, n’êtes pas désarmés, vous n' êtes juste pas assez artistes sur ce coup ! Chacun à sa place peut jouer un rôle qu’il peut inventer avec ses propres talents, car qui va vous donner la feuille de route face à cette pauvreté qui s’accroît ? Il n’y a pas de professeurs en la matière, tout juste des guérisseurs, qui s’occupent des symptômes mais pas de la cause. Nous sommes minables, nous n’arrivons pas à faire sortir les gens de la pauvreté, et encore moins à les empêcher d’y entrer, nous distribuons des bouées, de moins en moins nombreuses à de plus en plus de gens à la mer.
Van Gogh n’était pas riche ! et quand on parle d’accès à la culture, il ne faut pas penser seulement à la gratuité des musées, mais à la possibilité pour un talent sans moyen d’être édité, joué, interprété, exposé, applaudi … les artistes reconnus ont là un rôle à jouer : découvrir, impulser, encourager, épanouir… et là vous toucherez aux libertés substantielles.
L’économiste que vous citez à raison de s’insurger contre une définition purement monétaire de la pauvreté, le fameux « seuil de pauvreté », cette norme arithmétique simpliste arrange tout le monde, mais ne veut rien dire. Il faut la remplacer par cette définition qui existe et qui mobilise des indicateurs plurifactoriels « la pauvreté, c’est ne pas avoir les pouvoirs, les moyens, les ressources, les choix d’acquérir et maintenir son autonomie économique et de favoriser son intégration et sa participation à la société ».
Les politiques publiques montrent leurs limites, comment innover ?
Vous, artistes, n’êtes pas désarmés, vous n' êtes juste pas assez artistes sur ce coup ! Chacun à sa place peut jouer un rôle qu’il peut inventer avec ses propres talents, car qui va vous donner la feuille de route face à cette pauvreté qui s’accroît ? Il n’y a pas de professeurs en la matière, tout juste des guérisseurs, qui s’occupent des symptômes mais pas de la cause. Nous sommes minables, nous n’arrivons pas à faire sortir les gens de la pauvreté, et encore moins à les empêcher d’y entrer, nous distribuons des bouées, de moins en moins nombreuses à de plus en plus de gens à la mer.
Van Gogh n’était pas riche ! et quand on parle d’accès à la culture, il ne faut pas penser seulement à la gratuité des musées, mais à la possibilité pour un talent sans moyen d’être édité, joué, interprété, exposé, applaudi … les artistes reconnus ont là un rôle à jouer : découvrir, impulser, encourager, épanouir… et là vous toucherez aux libertés substantielles.
L’économiste que vous citez à raison de s’insurger contre une définition purement monétaire de la pauvreté, le fameux « seuil de pauvreté », cette norme arithmétique simpliste arrange tout le monde, mais ne veut rien dire. Il faut la remplacer par cette définition qui existe et qui mobilise des indicateurs plurifactoriels « la pauvreté, c’est ne pas avoir les pouvoirs, les moyens, les ressources, les choix d’acquérir et maintenir son autonomie économique et de favoriser son intégration et sa participation à la société ».
Les politiques publiques montrent leurs limites, comment innover ?
Tonì Casalonga : Quand vous dites que nous ne sommes « juste pas assez artistes sur ce coup », vous touchez à ce qui est sans aucun doute le point faible du domaine de l’art aujourd’hui. La beauté s’est vendue aux marchands du temple, et le seul critère d’évaluation d’une œuvre est sa cote sur le marché de l’art. Nous sommes tous tenaillés par la folle envie de devenir « riches », et comme certains – une minorité – y réussissent, nous en oublions pourquoi, un jour, nous nous étions imaginés devenir des artistes. C’est pour cela que nous n’avons rien à faire des « pauvres », de ceux qui sont à la base de la pyramide de Maslow, et qu’ils n’ont rien à faire de nos créations. Certes nous savons que, comme vous nous le rappelez, Van Gogh n’était pas riche mais nous rêvons tous des millions de dollars qui comme des corbeaux se sont abattus sur ses champs de tournesols.
Mais si nous nous souvenions qu’à la Renaissance, le peuple, le bas-peuple de Florence accompagnait en liesse et en cortège le David depuis l’atelier de Michelangelo Buonarroti jusqu’à son emplacement sur la place publique, nous saurions que c’est pour et par la multitude que naissent les chefs-d’œuvre. Il faut pour cela que les princes qui nous gouvernent aient pour objectif de la politique publique l’épanouissement de tous. Car il n’est pas nécessaire d’avoir fait de longues études d’histoire de l’art ou du tourisme de luxe en Egypte pour savoir que toutes les pyramides reposent sur leur base.
Mais si nous nous souvenions qu’à la Renaissance, le peuple, le bas-peuple de Florence accompagnait en liesse et en cortège le David depuis l’atelier de Michelangelo Buonarroti jusqu’à son emplacement sur la place publique, nous saurions que c’est pour et par la multitude que naissent les chefs-d’œuvre. Il faut pour cela que les princes qui nous gouvernent aient pour objectif de la politique publique l’épanouissement de tous. Car il n’est pas nécessaire d’avoir fait de longues études d’histoire de l’art ou du tourisme de luxe en Egypte pour savoir que toutes les pyramides reposent sur leur base.
François Pernin : Tonì ! Retrouvez vos yeux d’enfant ! Nous sommes tous, individuellement et collectivement, capables d’agir sur l’immense chantier de la lutte contre la pauvreté. Avec ce que nous sommes, là où nous sommes.
Prendre conscience, imaginer, mettre en œuvre, voilà la bonne séquence. Il suffit de puiser dans nos talents spécifiques une petite pierre, que nous seuls possédons, pour contribuer à bâtir la cathédrale.
Les artistes donnent déjà beaucoup, avec générosité, en faveur d’une cause : concerts, ventes aux enchères d’œuvres offertes, gratuité pour certains publics, thèmes d’une chanson, d’un texte, d’un tableau. Nous avons tous été émus, puis mis en mouvement par une chanson, un tableau, un texte, conçu par vous, les artistes : ne le saviez-vous pas ?
Notre plaidoyer pour que le Foyer Notre-Dame d’Ajaccio garde sa vocation d’hébergement des plus faibles a été gagné, en quelques jours, grâce à des textes de personnalités crédibles, notamment dans le domaine de l’art. La puissance du Verbe prononcée par la bonne personne… Votre force est immense, ne le saviez-vous pas ?
Vous êtes un gisement profond de solutions nouvelles, il faut simplement que l’artiste retrouve un moment ce qui l’a fait naître : cette communion intime entre sa vocation, son art et l’humanité qui l’entoure dans ce qu’elle a de plus fragile. Je vous assure qu’au bout de telles actions, c’est un réel bonheur qui est donné à celui qui offre. Ne passez pas à côté d’une telle joie où votre art prend un sens !
Quel est le Picasso, le Brassens, le Brel, le Buonarroti, le Coluche que nous conserverons ? Guernica, l’Auvergnat, Tant qu’on a que l’amour, la main d’Adam l’index de Dieu, les restos...
Et toi, l’artiste, quelle est ton œuvre que nous conserverons en chacun de nous ? Celle qui a fait le plus de bien, tout simplement, car c’est celle-là la plus belle. Ne le saviez-vous pas ?
Nous offrons à celles et ceux qui veulent penser hors-cadre (c’est le nom de la galaxie où se trouvent les bonnes solutions) une démarche sollicitant l’intelligence collective, je suis certain que nous découvrirons des astéroïdes nouveaux aux consonances corses. On pose la bonne question, et on trouve de bonnes réponses : « comment, avec mes talents, puis-je faire reculer la pauvreté ? »
Prendre conscience, imaginer, mettre en œuvre, voilà la bonne séquence. Il suffit de puiser dans nos talents spécifiques une petite pierre, que nous seuls possédons, pour contribuer à bâtir la cathédrale.
Les artistes donnent déjà beaucoup, avec générosité, en faveur d’une cause : concerts, ventes aux enchères d’œuvres offertes, gratuité pour certains publics, thèmes d’une chanson, d’un texte, d’un tableau. Nous avons tous été émus, puis mis en mouvement par une chanson, un tableau, un texte, conçu par vous, les artistes : ne le saviez-vous pas ?
Notre plaidoyer pour que le Foyer Notre-Dame d’Ajaccio garde sa vocation d’hébergement des plus faibles a été gagné, en quelques jours, grâce à des textes de personnalités crédibles, notamment dans le domaine de l’art. La puissance du Verbe prononcée par la bonne personne… Votre force est immense, ne le saviez-vous pas ?
Vous êtes un gisement profond de solutions nouvelles, il faut simplement que l’artiste retrouve un moment ce qui l’a fait naître : cette communion intime entre sa vocation, son art et l’humanité qui l’entoure dans ce qu’elle a de plus fragile. Je vous assure qu’au bout de telles actions, c’est un réel bonheur qui est donné à celui qui offre. Ne passez pas à côté d’une telle joie où votre art prend un sens !
Quel est le Picasso, le Brassens, le Brel, le Buonarroti, le Coluche que nous conserverons ? Guernica, l’Auvergnat, Tant qu’on a que l’amour, la main d’Adam l’index de Dieu, les restos...
Et toi, l’artiste, quelle est ton œuvre que nous conserverons en chacun de nous ? Celle qui a fait le plus de bien, tout simplement, car c’est celle-là la plus belle. Ne le saviez-vous pas ?
Nous offrons à celles et ceux qui veulent penser hors-cadre (c’est le nom de la galaxie où se trouvent les bonnes solutions) une démarche sollicitant l’intelligence collective, je suis certain que nous découvrirons des astéroïdes nouveaux aux consonances corses. On pose la bonne question, et on trouve de bonnes réponses : « comment, avec mes talents, puis-je faire reculer la pauvreté ? »
Tonì Casalonga : Oui, comment ?