On ne le sait pas toujours, mais les géographes arabes, après les Grecs et les Romains, ont eu une grande importance dans l’élaboration de notre représentation du monde. Depuis le foyer de la ville d’Alexandrie ces géographes lorsqu’ils ont conçu les premières cartes suffisamment élaborées du monde connu plaçaient le Sud en haut de la carte et le Nord en bas de la carte.
Du point de vue des européens, quelques siècles plus tard, cette inversion a pu paraître pour le moins étonnante. Predrag Matvejevich, dans son Bréviaire méditerranéen, remarque cette « anomalie » au sujet des cartes du géographe Al Idrisi et s’en étonne. Or pourtant, à quelle loi répondrait l’obligation de placer le Nord en haut plutôt qu’en bas, à droite ou à gauche ? A-t-on la moindre notion du sens d’équilibre de l’univers dans lequel s’inscrit la course de notre planète ? Existe-t-il une verticale de l'univers ? L'univers a-t-il un sens ?
Du point de vue des européens, quelques siècles plus tard, cette inversion a pu paraître pour le moins étonnante. Predrag Matvejevich, dans son Bréviaire méditerranéen, remarque cette « anomalie » au sujet des cartes du géographe Al Idrisi et s’en étonne. Or pourtant, à quelle loi répondrait l’obligation de placer le Nord en haut plutôt qu’en bas, à droite ou à gauche ? A-t-on la moindre notion du sens d’équilibre de l’univers dans lequel s’inscrit la course de notre planète ? Existe-t-il une verticale de l'univers ? L'univers a-t-il un sens ?
Sens et projection
Les hypothèses quant au choix du sens d’observation de ce monde sont multiples. J’en formule une ici. Les premiers géographes qui, dans le delta du Nil, ont tenté de décrire l’ordre de l’univers dans lequel ils évoluaient ont probablement tracé le cours du fleuve qui descend des hauts plateaux d'Ethiopie et se jette dans la mer. Le monde s’organisait en effet pour eux autour de trois réalités évidentes et fortes : le désert, le fleuve et la mer. Au cœur d’un désert, le fleuve est la principale source de vie. Et les fleuves, pour se jeter dans la mer, coulent du haut des montagnes vers les plaines qui se situent en contrebas. Ils ont donc inscrit en haut de leur carte, la Haute Egypte d’où vient le fleuve, et en bas de leur carte, la Basse Egypte où il se jette dans la mer. Certes, la Haute Egypte était au Sud et la Basse Egypte était au Nord, mais quelle importance cela pouvait-il avoir ? Par la suite, partant de ce constat, ils ont exploré la mer que nous appelons Méditerranée et que les Arabes puis les Ottomans appelaient la mer Blanche. Ils ont conçu une représentation du monde Sud/Nord qui dans le sillage des cartes d’Hécatée, d’Eratosthène et de Ptolémée étaient déjà suffisamment précises.
La question pourrait donc se poser de savoir pourquoi d’autres géographes, plus tard, ont décidé d’inverser les cartes et de placer le Nord en haut de la carte et le Sud en bas. Dans la représentation dont ils héritaient des géographes arabes, les territoires qu’ils habitaient se situaient en bas de la carte. Ont-ils jugé que cette position n’était pas valorisante ? Etre en haut c’est être plus près du ciel et donc de Dieu. De nos jours, encore, dans chaque partie du monde les humains essaient de concevoir des cartes en se situant au centre de la mappemonde. Les Européens se situent entre l’Asie et le monde Atlantique, les Américains entre les deux grands océans, Atlantique et Pacifique, les Chinois entre l’Europe et le monde Pacifique. Un Australien lassé de voir son propre continent constamment relégué au bas de la carte en a conçu une carte avec l’Australie au centre du monde. Plus personne par contre ne semble contester au Nord le privilège d'être en haut de la carte quand le Sud est en bas. Et si, dans nos civilisations occidentales nous détectons parfois une tendance à survaloriser ce qui vient du Nord et à sous évaluer ce qui vient du Sud, nul ne se risquera à établir un rapport avec notre manière de représenter le monde.
La question pourrait donc se poser de savoir pourquoi d’autres géographes, plus tard, ont décidé d’inverser les cartes et de placer le Nord en haut de la carte et le Sud en bas. Dans la représentation dont ils héritaient des géographes arabes, les territoires qu’ils habitaient se situaient en bas de la carte. Ont-ils jugé que cette position n’était pas valorisante ? Etre en haut c’est être plus près du ciel et donc de Dieu. De nos jours, encore, dans chaque partie du monde les humains essaient de concevoir des cartes en se situant au centre de la mappemonde. Les Européens se situent entre l’Asie et le monde Atlantique, les Américains entre les deux grands océans, Atlantique et Pacifique, les Chinois entre l’Europe et le monde Pacifique. Un Australien lassé de voir son propre continent constamment relégué au bas de la carte en a conçu une carte avec l’Australie au centre du monde. Plus personne par contre ne semble contester au Nord le privilège d'être en haut de la carte quand le Sud est en bas. Et si, dans nos civilisations occidentales nous détectons parfois une tendance à survaloriser ce qui vient du Nord et à sous évaluer ce qui vient du Sud, nul ne se risquera à établir un rapport avec notre manière de représenter le monde.
Le cas des îles
Le destin des îles est un peu particulier. Les navigateurs qui les ont abordées ont souvent représenté ces îles dans un premier temps en fonction du cheminement de leur découverte ou de leur exploration. Il existe des cartes de la Corse qui la représentent « dans tous les sens ». Les Génois ou les Toscans l’ont généralement représentée dans le sens Nord/Sud. Mais les Français au XVIIIe siècle la représentaient souvent dans le sens Est/Ouest, l’Est en haut, l’Ouest en bas et le Nord à droite ou à gauche. Tout le monde connait la carte magnifique et monumentale qui provient du château de Versailles, aujourd'hui conservée dans la maison Bonaparte à Ajaccio. Cette carte présente la Corse l'Ouest en haut, l'Est en bas et le Nord à droite.
Il existe à Rome une curieuse représentation de la Corse. Dans la grande salle des cartes du Vatican, la Corse, comme les autres îles italiennes, Sicile et Sardaigne est représentée à la manière des cartes arabes dont je parlais précédemment, le Nord en bas et le Sud en haut. Ces cartes ont été réalisées entre 1580 et 1585 d’après les cartes d’Ignazio Danti. L’Italie y est représentée selon les codes européens et occidentaux actuels, à savoir le Nord en haut. Mais les régions d’Italie, à l’inverse, sont représentées le Nord en bas. Cela est particulièrement frappant bien sûr dans la représentation des îles. Cette différentiation entre l’Italie d’une part, la Corse, la Sicile et la Sardaigne d’autre part, n’est due ni au hasard ni à l'influence des géographes arabes. Elle est due à l’imaginaire de celui qui en fut l’auteur. Plutôt que de nous restituer de simples représentations conventionnelles, l’auteur de cette série impressionnante de cartes nous raconte une histoire. L’histoire d’un voyage. Il s’imagine partant des montagnes alpines, du côté de la Suisse. Cheminant sur l’arrête des Apennins, il décrit les pays qu’il aperçoit à droite et à gauche lors de ce périple. Les régions d’Italie dont il a dessiné les cartes sont donc représentées comme il les aurait vues du haut de ces montagnes durant ce périple qui le conduit de la Suisse vers la Sicile, le Sud en haut et le Nord en bas. Les Apennins en fait, furent le Nil de cet auteur. La démarche de Gilles Zerlini qui nous décrit la Méditerranée symbolique à travers un cheminement, de l'entrée dans une église jusqu'à qu'au chœur et à l'abside, est différente bien sûr mais procède d'une démarche du même ordre.
Il existe à Rome une curieuse représentation de la Corse. Dans la grande salle des cartes du Vatican, la Corse, comme les autres îles italiennes, Sicile et Sardaigne est représentée à la manière des cartes arabes dont je parlais précédemment, le Nord en bas et le Sud en haut. Ces cartes ont été réalisées entre 1580 et 1585 d’après les cartes d’Ignazio Danti. L’Italie y est représentée selon les codes européens et occidentaux actuels, à savoir le Nord en haut. Mais les régions d’Italie, à l’inverse, sont représentées le Nord en bas. Cela est particulièrement frappant bien sûr dans la représentation des îles. Cette différentiation entre l’Italie d’une part, la Corse, la Sicile et la Sardaigne d’autre part, n’est due ni au hasard ni à l'influence des géographes arabes. Elle est due à l’imaginaire de celui qui en fut l’auteur. Plutôt que de nous restituer de simples représentations conventionnelles, l’auteur de cette série impressionnante de cartes nous raconte une histoire. L’histoire d’un voyage. Il s’imagine partant des montagnes alpines, du côté de la Suisse. Cheminant sur l’arrête des Apennins, il décrit les pays qu’il aperçoit à droite et à gauche lors de ce périple. Les régions d’Italie dont il a dessiné les cartes sont donc représentées comme il les aurait vues du haut de ces montagnes durant ce périple qui le conduit de la Suisse vers la Sicile, le Sud en haut et le Nord en bas. Les Apennins en fait, furent le Nil de cet auteur. La démarche de Gilles Zerlini qui nous décrit la Méditerranée symbolique à travers un cheminement, de l'entrée dans une église jusqu'à qu'au chœur et à l'abside, est différente bien sûr mais procède d'une démarche du même ordre.
Regarder la Corse aujourd’hui
la Corse vue de l'espace depuis la station spatiale depuis l'ISS(400 km de la Terre) • © Thomas Pesquet, via Facebook
Il ne viendrait plus à l'idée de personne aujourd'hui de représenter la Corse autrement que dans une verticalité Nord/Sud... A l'idée de personne, sauf peut-être d'un astronaute qui photographierait l'île depuis sa capsule spatiale et pourrait en avoir une vision aléatoire. Les humains pendant longtemps ont conçu le monde, de manière un peu nombriliste, à partir de leur point de vue exclusif. Parce qu’il leur était difficile de dépasser réellement ce point de vue. Dans les temps qui viennent, alors que nous avons quitté le sol de la planète, que nous l’apercevons depuis l’espace, que nous avons placé des satellites dans sa proche banlieue, que nous avons marché sur la Lune et déposé des robots sur le sol de Mars, que nous avons entrepris l’exploration de la galaxie, nous ne pouvons plus nous contenter de croire qu’un point cardinal domine les autres ou qu’il existe une verticalité de l’équilibre dans l’univers. Nous vivons toujours l’enracinement dans nos terroirs mais nous devons être capables de concevoir la relativité de cet enracinement dans l’immensité de l’univers inconnu.