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Sébastien Dominici, médecin dans le rural



La polémique question des déserts médicaux est d'autant plus cruciale en Corse, où la population est en moyenne beaucoup plus âgée, et où de très nombreuses communes sont très petites et éloignées des agglomérations. Sébastien Dominici, médecin en Balagne, nous fait partager son analyse, où le réalisme n'est pas synonyme de pessimisme. Des solutions existent, y compris du côté de la profession elle-même.



2h37. Un vendredi de pleine lune au mois de janvier. Le compteur de mon logiciel affiche à travers mes yeux embrumés le numéro 58, correspondant au nombre de patients que j’ai vus aujourd’hui. Seul un reste en attente. Le motif de recours me laisse songeur. Douleur du genou depuis sept jours. Cette nuit, j’ai perdu définitivement l’espoir de faire de la grande médecine. Je fais entrer ce monsieur de 35 ans à l’air impatient. Il s’est blessé à son dernier entrainement de football. Pourquoi venir à cette heure-là en week-end? La force me manque pour lui demander une explication. Après un examen d’une qualité équivalente à mon état de fatigue après 19h de garde, je lui remets une ordonnance qu’il n’ira chercher que le lendemain matin parce que selon lui, cela ne vaut pas le coup de réveiller le pharmacien pour si peu. Je me dis qu’on a passé un cap, celui ou les patients consomment plus de médecins que de médicaments. Alors est-ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle ? Faut-il sauver la médecine générale ? Faut-il renforcer l’offre de soins, pour des patients qui manquent de considération pour leur thérapeute ?

La Corse des déserts médicaux

La réponse est bien évidemment oui. Oui car la grande majorité des patients sont réellement malades et ont besoin d’aide. Oui car on a le devoir de conserver la mémoire de nos anciens, l’amour de nos enfants et les forces vives de nos contemporains.
La Corse est une région essentiellement rurale, composée de vallées difficiles d’accès. Elle souffre du même mal que les autres campagnes, la maladie sans traitement efficace, celle des déserts médicaux. Et dans certains endroits, les centre-villes, comme chez nous, peuvent aussi être infectés.
Enormément de patients, même les plus âgés, vivent une errance angoissante dans les ténèbres de l’absence de soins. Parfois, ils n’arrivent même plus à faire renouveler leur ordonnance qu’ils ont depuis de nombreuses années.
La Balagne, le Niolu, la Castagniccia, l’Alta Rocca, le Taravu… la liste est longue, personne n’est épargné. Et quand enfin un médecin s’installe, plein de bonnes volontés, la solitude, et toutes les contraintes médicales et administratives, le font fuir vers des contrées plus riches en son espèce, où il ira travailler en exercice partagé ou en tant que salarié.

Un CHU, rempart contre l’ensablement de la Corse

L’idée fait pratiquement consensus, créer un hôpital universitaire, dans l’espoir de former des médecins essentiellement spécialistes pour lutter contre ce phénomène. Mais les pharaons n’ont pas bâti leurs pyramides en commençant par le sommet. Ils ont d’abord ouvragé de solides bases. Et ces bases sont la médecine générale, la médecine d’urgence, celle des campagnes et des villages. Ce sont ces médecins qui vont suivre les patients tous les jours, qui vont les accompagner dans leurs joies et plus souvent dans leurs peines. C’est celui qui explique à une jeune maman les rudiments de l’allaitement de son nouveau-né et qui quelque temps plus tard va accompagner le dernier souffle de la grand-mère de ce même bébé.
Avant de parler de CHU, il faut former ces rouages essentiels de la santé. Mais le médecin à une psyché complexe, et il est important de comprendre ce qui le pousse à s’installer dans ces immenses vides.

La thèse du Dr Geronimi l’explique assez bien. Il a travaillé sur les facteurs qui favorisaient les jeunes médecins issus de la faculté de Corte à rentrer en Corse. Plusieurs paramètres ont été étudiés comme les primes, les exonérations d’impôts, etc.
Et il en ressort qu’un médecin rentre en Corse parce qu’il est Corse d’origine, ou a vécu sur l’île un certain nombre d’années, ou surtout qu’il a effectué une partie de sa formation ici. Premier enseignement essentiel.
Il a aussi démontré que ce qui comptait vraiment pour le choix d’un lieu d’installation était le cercle proche, familial, amical et amoureux, ancien ou nouvellement créé. Deuxième enseignement.
Enfin, les jeunes médecins s’installent quelque part aussi pour le côté financier en espérant gagner suffisamment bien leur vie pour profiter de leur temps libre comme ils le souhaitent, en adéquation avec le reste de la société.

Des solutions simples pour transformer ces déserts en oasis

Alors quoi proposer de novateur qui n’ait jamais été essayé ? Des propositions simples, peu ou pas couteuses pour le contribuable et donc facilement applicables.
Le plus important à mon sens est de multiplier les terrains de stage, en ville, dans les campagnes et à l’hôpital. Donnant l’occasion au jeune étudiant de sortir des sentiers battus, le temps d’une ou plusieurs formations pendant son externat ou son internat. Lui permettre de connaître de nouvelles personnes, d’élargir son maillage social et professionnel. Lui faire découvrir aussi une autre médecine que celle qu’il imagine. Mais le problème majeur de ce type d’initiative, et surtout dans les stations balnéaires, est de pouvoir se loger. Souvent c’est le maître de stage qui loge à ses frais son interne, ce qui forcement limite l’offre. Pourquoi la collectivité ou les intercommunalités n’investiraient pas dans la création de maisons des internes, permettant de loger à titre gratuit les étudiants en médecine et leur permettant de découvrir ces régions.

Par ailleurs l’État envisage d’obliger les jeunes internes à réaliser une année supplémentaire d’étude dans un désert médical. Le vent de la colère s’est levé contre cette mesure, car aucune contrepartie n’est proposée. Et si nous repensions cette proposition de loi et la transformions ? Cette année pourrait être librement consentis par les internes. On pourrait leur proposer des postes dans les hôpitaux périphériques, dans les PMI, dans les cabinets de médecine générale où des médecins souhaitent passer le relais à court terme. Et ce, en échange de la possibilité de s’installer à la fin de leurs études en secteur 2. Ce qui leur permettrait de décider, avec tact et mesure, du prix de leurs consultations et d’augmenter ainsi leurs futurs revenus.

Vers la fin du fatalisme avec les médecins tragulini

Et si ça ne marche pas ? Si ni les ARS, ni la collectivité, ni l’État ne veulent suivre, il ne faudra pas rester là à attendre et se lamenter. Il faudra réinventer la médecine. La pensée itinérante, comme cette société qui a besoin de bouger en permanence. Un camion, une table d’examen, de quoi prélever un bilan sanguin, réaliser une échographie et une radiographie. Salarié par les intercommunalités ou libéral, le médecin ambulant, irait de villages en villages proposer ses services à la journée, sans RDV, à tous les patients qui n’ont pas le luxe d’avoir un médecin généraliste attitré. Ce système coûterait moins cher que la construction d’un cabinet, ce qui épargnerait à beaucoup de maires la peur de voir le bâtiment flambant neuf mais vide de médecin. Les petits villages et hameaux où quelques résistants s’accrochent à leurs maisons de pierre, pourraient avoir à nouveau un accès à la santé enfin équitable. Et il ne faut pas oublier que si un camion peut embarquer un généraliste, il a aussi les capacités de transporter un spécialiste. Qui aura été bien sûr formé dans notre futur CHU.

Mon parcours

J’ai fait ma première année de médecine à Corte – je suis issu de la deuxième promotion. Ensuite, j'ai fait mon internat à Nice où j'ai passé une formation de neurovasculaire pour travailler dans un service où l'on traite les AVC. Je devais travailler dans un service de neurovasculaire du CHU de Nice mais l'appel de la Corse a été plus fort et je suis rentré pour exercer la médecine générale. Malheureusement l’État en a fait quelque chose qui ne me convient pas : je me suis donc réorienté vers les urgences ou j'ai travaillé dans plusieurs hôpitaux et cliniques de Corse mais aussi sur le continent. Ensuite j'ai pris un poste à Clairval en neurologie, où je suis resté un an et demi, mais de nouveau la Corse et la ruralité me manquaient trop et je suis rentré travailler au CH Calvi.
Voyant le phénomène des déserts médicaux et la déliquescence de la médecine générale en France, je suis parti en 2018 et 2019 travailler en Afrique et en Amérique du Sud. J'ai pu en tant qu'observateur appréhender d'autres systèmes de santé et imaginer des solutions que l'on pourrait appliquer chez nous. Et il y en a pléthore. j'ai passé ma thèse sur la formation médicale continue en milieu rural et j’ai été directeur de thèse pour des étudiants dont le thème général était toujours: « Quel est le devenir des étudiants en médecine de l’Université de Corse : comment les faire revenir et comment les installer dans les campagnes ? »

 
Dimanche 29 Janvier 2023
Sébastien Dominici


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