Merci Mattea Riu pour cet appel à la sensibilité, à la subjectivité et cette écriture poétique politique.
Je suis de quelque part parce que, physiquement, j’en ai la sensation très concrète. Dans mon corps, je le sens. Et je ne devrais pas avoir besoin de le prouver. J’oublie l’identité car elle ne me dit rien, ni de moi, ni des autres. Je l’oublie parce que je sais, car je l’éprouve, que dans un même lieu, au même moment, des milliers d’individus, de subjectivités, de corps et de communautés très singulières se forment. J’oublie le nationalisme, parce qu’il ne peut pas constituer une opportunité sociale de vivre ensemble, un projet politique. J’ai par ailleurs montré pourquoi et comment.
Je suis de quelque part parce que, physiquement, j’en ai la sensation très concrète. Dans mon corps, je le sens. Et je ne devrais pas avoir besoin de le prouver. J’oublie l’identité car elle ne me dit rien, ni de moi, ni des autres. Je l’oublie parce que je sais, car je l’éprouve, que dans un même lieu, au même moment, des milliers d’individus, de subjectivités, de corps et de communautés très singulières se forment. J’oublie le nationalisme, parce qu’il ne peut pas constituer une opportunité sociale de vivre ensemble, un projet politique. J’ai par ailleurs montré pourquoi et comment.
Dépasser l’identité
Je plaide, en tant qu’individu et qu’anthropologue, pour autre chose. Émanciper nos subjectivités du monde politique. S’élever contre l’injonction à penser identité, culture, patrimoine. S’indigner contre une minorité qui parle plus fort. Oser questionner l’illusion de consensus identitaire qui semble être ici, en Corse. Non, l’identité ne peut pas être un principe d’action, politique, sociale ou culturelle, car le principe identitaire est un symptôme du mal-être des sociétés contemporaines. Pour le dire, essayons un « mode d’écriture », entre intimité et anthropologie.
Bastia, 2022. L’atelier « Questionner l’identité », initié dans le cadre de la candidature de Bastia Corsica, capitale européenne de la culture 2028, prend place. Une agora où une cinquantaine de personnes sont là pour parler « identité ». Plusieurs y avaient logé l’espoir d’un débat ouvert et différent : parler à bâtons rompus, énoncer le carcan identitaire oppressant dans lequel ils se sentent embourbés depuis maintenant 40 ans en France et surtout en Corse. La parole circule : « Je suis Corse. Je me sens Corse. Je ne suis pas Corse mais je vis ici depuis 30 ans et je ne me sentirai jamais vraiment Corse. Je m’appelle Dupont mais je suis Corse et j’ai quelque chose à dire. Les Corses se reconnaissent entre eux dans le métro. ». Etc. Etc.
Le couple Corse/pas Corse s’impose comme paradigme. Le couple identité/culture est consubstantiel : l’identité c’est la culture, la culture c’est l’identité. Tension intense entre le politique et l'intime. Incompréhensions et ambivalences : mais de quoi parle-t-on quand on parle d’identité, de je ou de nous ? Intense difficulté pour ceux qui aspirent à faire valser la notion d’identité à le dire, anxieux de paraître politiquement incorrect, voire d’être rappelés à l’ordre par quelques autres. Embarrassant de dire publiquement que l’identité, finalement, ne peut être ni un principe de pensée de soi, ni un principe d’action politique ou culturel, ni un principe d’organisation sociale et économique. Alors même que nous vivons dans une société où elle l’est.
Un homme prend la parole et fait état de son expérience dans un théâtre de la grande couronne parisienne, à Sevran : des dizaines de gens au travail, aux origines diverses, qui ne parlent jamais d’identité : « La thématique de l’identité a été introduite dans le débat public par le Front National, avec celle de l’immigration et de la sécurité. Et qu’est-ce qu’on en a à faire de l’identité quand on a à imaginer un projet collectif !? ». « Les questions d’identité traversent la création contemporaine, de Wadji Mouawad à Annie Ernaux », lui répond-on. « Mais non ! Pourquoi voit-on de l’identité partout, jusque dans les livres d’Annie Ernaux !? » Chacun retient son souffle et attend le clash. Mais, il faut le dire, une fois qu’il a parlé, une partie de la salle respire. Brièvement, car plusieurs continuent à s’accrocher à « l’identité » un peu comme si l’homme n’avait rien dit.
La tension entre individuel et collectif, histoire et politique, encadre trop fortement la manière dont nous, les individus - citoyens, politiques, intellectuels - nous questionnons aujourd’hui sur l’identité. En fait, on ne sait pas vraiment de quoi on parle. Nous avons perdu le sens du mot, l’exercice de la pensée qui va avec et donc la mise en question devient particulièrement acrobatique. Réessayons, encore une fois, de décaler le regard et de redonner du sens au mot, cela pour appuyer ma plaidoirie vers une émancipation de nos subjectivités du monde politique.
Bastia, 2022. L’atelier « Questionner l’identité », initié dans le cadre de la candidature de Bastia Corsica, capitale européenne de la culture 2028, prend place. Une agora où une cinquantaine de personnes sont là pour parler « identité ». Plusieurs y avaient logé l’espoir d’un débat ouvert et différent : parler à bâtons rompus, énoncer le carcan identitaire oppressant dans lequel ils se sentent embourbés depuis maintenant 40 ans en France et surtout en Corse. La parole circule : « Je suis Corse. Je me sens Corse. Je ne suis pas Corse mais je vis ici depuis 30 ans et je ne me sentirai jamais vraiment Corse. Je m’appelle Dupont mais je suis Corse et j’ai quelque chose à dire. Les Corses se reconnaissent entre eux dans le métro. ». Etc. Etc.
Le couple Corse/pas Corse s’impose comme paradigme. Le couple identité/culture est consubstantiel : l’identité c’est la culture, la culture c’est l’identité. Tension intense entre le politique et l'intime. Incompréhensions et ambivalences : mais de quoi parle-t-on quand on parle d’identité, de je ou de nous ? Intense difficulté pour ceux qui aspirent à faire valser la notion d’identité à le dire, anxieux de paraître politiquement incorrect, voire d’être rappelés à l’ordre par quelques autres. Embarrassant de dire publiquement que l’identité, finalement, ne peut être ni un principe de pensée de soi, ni un principe d’action politique ou culturel, ni un principe d’organisation sociale et économique. Alors même que nous vivons dans une société où elle l’est.
Un homme prend la parole et fait état de son expérience dans un théâtre de la grande couronne parisienne, à Sevran : des dizaines de gens au travail, aux origines diverses, qui ne parlent jamais d’identité : « La thématique de l’identité a été introduite dans le débat public par le Front National, avec celle de l’immigration et de la sécurité. Et qu’est-ce qu’on en a à faire de l’identité quand on a à imaginer un projet collectif !? ». « Les questions d’identité traversent la création contemporaine, de Wadji Mouawad à Annie Ernaux », lui répond-on. « Mais non ! Pourquoi voit-on de l’identité partout, jusque dans les livres d’Annie Ernaux !? » Chacun retient son souffle et attend le clash. Mais, il faut le dire, une fois qu’il a parlé, une partie de la salle respire. Brièvement, car plusieurs continuent à s’accrocher à « l’identité » un peu comme si l’homme n’avait rien dit.
La tension entre individuel et collectif, histoire et politique, encadre trop fortement la manière dont nous, les individus - citoyens, politiques, intellectuels - nous questionnons aujourd’hui sur l’identité. En fait, on ne sait pas vraiment de quoi on parle. Nous avons perdu le sens du mot, l’exercice de la pensée qui va avec et donc la mise en question devient particulièrement acrobatique. Réessayons, encore une fois, de décaler le regard et de redonner du sens au mot, cela pour appuyer ma plaidoirie vers une émancipation de nos subjectivités du monde politique.
Usages et débat public
La thématique de l’identité a été imposée dans le débat public français par le discours nationaliste d’extrême-droite : « les Français d’abord ». Français dont l’identité était présentée comme « ruinée et submergée par l’immigration, vouée à disparaître pour un melting-pot d’identité étrangère » (Jean-Marie Le Pen, RFI, 04/02/2010). Là, le mot prend un nouveau sens : l’« identité » devient un ensemble d’attributs et de valeurs culturelles partagées qu’il faut défendre, gage d’une singularité individuelle et collective, encadrée par les frontières des États-Nations.
Depuis, la thématique de l’« identité », colorée de ce sens que l’extrême droite française lui a donné, n’a cessé de contaminer le débat public et l’action politique. On se rappelle la création sous Sarkozy, en 2007, du Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire et, 12 ans plus tard, de Macron qui parlait « d’insécurité culturelle ». En Corse, l’insécurité culturelle est un thème bien connu, devenu moteur de l’action politique, sociale et culturelle.
La pente est glissante, on le sait, on le voit, on essaie de le dire. En France, et en Corse, les 40 dernières années ont cantonné le terme « identité » à un lexique « ethno-nationaliste », à un enfermement dans le champ des attributs culturels, des héritages, des manières d’être, de penser, de faire. Cet usage conduit à des voix contemporaines conservatrices que l’on pouvait croire éteintes depuis la Seconde Guerre mondiale[1] .
« Autour de nous – tendez l’oreille – hurlent de toute part des voix qui affirment que pour être authentiques, il faudrait être entièrement définis par notre naissance, notre sexe, notre couleur de peau ou notre religion. Il y a les voix des extrêmes politiques et des nostalgies identitaires qui disent : retournons à ce que nous fûmes ! À la terre, la culture ou la famille telles qu’elles étaient. Ne nous laissons pas altérer par de l’étranger ou de l’étrangeté. Redevenons fidèles à une pureté originelle. Peu importe qu’elle soit une "pure" invention, une construction récente, un mensonge ou un fantasme de notre imaginaire qu’on a baptisé "bon vieux temps"… ».
Tableau efficace des voix contemporaines multi-situées de la droite conservatrice brossé par Delphine Horviller dans son livre Il n’y a pas de Ajar. Elle y conte comment l’écrivain Romain Gary est devenu Emile Ajar, et combien cette transformation met au défi les discours sur l’identité individuelle et l’identité collective.
Ces voix, criant de plus en plus fort, de plus en plus écoutées, ces derniers années, sont les symptômes du dévoiement des mots, de la pente glissante sur laquelle nous, sociétés européennes et société corse, sommes.
Depuis, la thématique de l’« identité », colorée de ce sens que l’extrême droite française lui a donné, n’a cessé de contaminer le débat public et l’action politique. On se rappelle la création sous Sarkozy, en 2007, du Ministère de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement solidaire et, 12 ans plus tard, de Macron qui parlait « d’insécurité culturelle ». En Corse, l’insécurité culturelle est un thème bien connu, devenu moteur de l’action politique, sociale et culturelle.
La pente est glissante, on le sait, on le voit, on essaie de le dire. En France, et en Corse, les 40 dernières années ont cantonné le terme « identité » à un lexique « ethno-nationaliste », à un enfermement dans le champ des attributs culturels, des héritages, des manières d’être, de penser, de faire. Cet usage conduit à des voix contemporaines conservatrices que l’on pouvait croire éteintes depuis la Seconde Guerre mondiale[1] .
« Autour de nous – tendez l’oreille – hurlent de toute part des voix qui affirment que pour être authentiques, il faudrait être entièrement définis par notre naissance, notre sexe, notre couleur de peau ou notre religion. Il y a les voix des extrêmes politiques et des nostalgies identitaires qui disent : retournons à ce que nous fûmes ! À la terre, la culture ou la famille telles qu’elles étaient. Ne nous laissons pas altérer par de l’étranger ou de l’étrangeté. Redevenons fidèles à une pureté originelle. Peu importe qu’elle soit une "pure" invention, une construction récente, un mensonge ou un fantasme de notre imaginaire qu’on a baptisé "bon vieux temps"… ».
Tableau efficace des voix contemporaines multi-situées de la droite conservatrice brossé par Delphine Horviller dans son livre Il n’y a pas de Ajar. Elle y conte comment l’écrivain Romain Gary est devenu Emile Ajar, et combien cette transformation met au défi les discours sur l’identité individuelle et l’identité collective.
Ces voix, criant de plus en plus fort, de plus en plus écoutées, ces derniers années, sont les symptômes du dévoiement des mots, de la pente glissante sur laquelle nous, sociétés européennes et société corse, sommes.
[1] Romain Bertrand, Sylvain Laurens, « Identité(s) nationale(s) : le retour des politiques de l’identité ? », numéro spécial de la revue Savoir/Agir, n°2, 2007.
De l’importance des mots
Nous nous sommes fait voler les mots et, par conséquent, nous n’arrivons plus à penser, à imaginer, à aspirer à un autre monde. L’identité est devenu un « produit » à défendre et non une expérience à vivre, des sensations à éprouver. Elle est un concept à théoriser, à définir.
Aujourd’hui, nous ne sommes évidemment pas dans la pente vers le nazisme. Alors pourquoi mobiliser Klemperer ? Parce que nous « nous sommes fait voler les mots ». Nous glissons dans la langue, dans la contamination de la langue par l’idéologie comme Frédéric Joly le montre dans La langue confisquée, Lire Victor Klemperer aujourd’hui :
« Parce que nous voulons lutter contre l’ensauvagement des mots qui caractérisent le monde actuel, où règne le langage de la fonctionnalité, composé de vocables issus pour beaucoup des sphères de l’économie et du management. Rapport à la langue instrumental, où l’on demande à la parole d’être efficace, langage comme instrument de communication. (…) Et tandis que le marketing et la propagande ont adopté des dimensions inédites et que les moyens de communication de masse opèrent ou accueillent au quotidien des distorsions linguistiques discrètes, mais bien réelles – d’autant plus pernicieuses que discrètes – la double violence aujourd’hui infligée aux mots que représentent leur ensauvagement et ce règne presque sans partage d’un langage de la fonctionnalité se voit en outre aggravé par une hégémonie de l’opinion, du verbalisme, de la répétition sans fin des discours au détriment de la vérité. (…) Tous ces phénomènes qui semble se nourrir les uns les autres – jusqu’à susciter une extraordinaire méfiance à l’égard des mots et un rapport à la vérité gravement biaisé – contribuent à l’apparition d’une configuration historique inédite, inquiétante, rendant plus que jamais nécessaire la (re)lecture de LTI. » Avec Klemperer, donc, pour mieux comprendre les distorsions actuelles de la langue et les processus aujourd’hui à l’œuvre.
« Combien de concepts ou de sentiments, la langue du IIIe Reich n’a-t-elle pas souillés et empoisonnés ? » se demande Victor Klemperer. Didi-Huberman éclaire ce processus décrit par Klemperer : « la langue totalitaire est une langue surchargée d’affects brutaux, tyranniques mais qui ne laisse pas de place au "et pourtant" ». Pas de place donc à la complexité, l’ambivalence, qui pourtant forment un rempart à l’engagement dans des voies radicales, à une adhésion aux idéologies radicales, dont celle prônant l’homogénéité identitaire, la nostalgie d’une origine perdue.
Didi-Huberman insiste : « Une langue totalitaire n’utilise pas la "trahison de l’affect": elle trahit plutôt ce qu’on pourrait nommer la vérité des émotions. Elle les réifie, comme dit bien Klemperer. Elle les falsifie, elle les disjoint d’elles-mêmes, les soumet à forclusion. Il faudra donc faire avec ce bien commun qu’est l’affectivité le même raisonnement que l’on peut faire, avec plus de facilité, avec le langage ou la sexualité. La propagande ne montre pas que le langage est traître par essence mais trahit le langage en le disjoignant ; la pornographie ne montre pas que la sexualité est sale par nature, mais salit la sexualité en la réifiant. » Alors poursuivons : l’idéologie identitaire ne montre pas que l’identité est en danger, elle la met en danger en la réifiant.
Aujourd’hui, nous ne sommes évidemment pas dans la pente vers le nazisme. Alors pourquoi mobiliser Klemperer ? Parce que nous « nous sommes fait voler les mots ». Nous glissons dans la langue, dans la contamination de la langue par l’idéologie comme Frédéric Joly le montre dans La langue confisquée, Lire Victor Klemperer aujourd’hui :
« Parce que nous voulons lutter contre l’ensauvagement des mots qui caractérisent le monde actuel, où règne le langage de la fonctionnalité, composé de vocables issus pour beaucoup des sphères de l’économie et du management. Rapport à la langue instrumental, où l’on demande à la parole d’être efficace, langage comme instrument de communication. (…) Et tandis que le marketing et la propagande ont adopté des dimensions inédites et que les moyens de communication de masse opèrent ou accueillent au quotidien des distorsions linguistiques discrètes, mais bien réelles – d’autant plus pernicieuses que discrètes – la double violence aujourd’hui infligée aux mots que représentent leur ensauvagement et ce règne presque sans partage d’un langage de la fonctionnalité se voit en outre aggravé par une hégémonie de l’opinion, du verbalisme, de la répétition sans fin des discours au détriment de la vérité. (…) Tous ces phénomènes qui semble se nourrir les uns les autres – jusqu’à susciter une extraordinaire méfiance à l’égard des mots et un rapport à la vérité gravement biaisé – contribuent à l’apparition d’une configuration historique inédite, inquiétante, rendant plus que jamais nécessaire la (re)lecture de LTI. » Avec Klemperer, donc, pour mieux comprendre les distorsions actuelles de la langue et les processus aujourd’hui à l’œuvre.
« Combien de concepts ou de sentiments, la langue du IIIe Reich n’a-t-elle pas souillés et empoisonnés ? » se demande Victor Klemperer. Didi-Huberman éclaire ce processus décrit par Klemperer : « la langue totalitaire est une langue surchargée d’affects brutaux, tyranniques mais qui ne laisse pas de place au "et pourtant" ». Pas de place donc à la complexité, l’ambivalence, qui pourtant forment un rempart à l’engagement dans des voies radicales, à une adhésion aux idéologies radicales, dont celle prônant l’homogénéité identitaire, la nostalgie d’une origine perdue.
Didi-Huberman insiste : « Une langue totalitaire n’utilise pas la "trahison de l’affect": elle trahit plutôt ce qu’on pourrait nommer la vérité des émotions. Elle les réifie, comme dit bien Klemperer. Elle les falsifie, elle les disjoint d’elles-mêmes, les soumet à forclusion. Il faudra donc faire avec ce bien commun qu’est l’affectivité le même raisonnement que l’on peut faire, avec plus de facilité, avec le langage ou la sexualité. La propagande ne montre pas que le langage est traître par essence mais trahit le langage en le disjoignant ; la pornographie ne montre pas que la sexualité est sale par nature, mais salit la sexualité en la réifiant. » Alors poursuivons : l’idéologie identitaire ne montre pas que l’identité est en danger, elle la met en danger en la réifiant.
Avec Victor Klemperer, éclairons la pente. Dans LTI, la langue du IIIème Reich, le philologue, qui a vécu la montée du nazisme en Allemagne, étudie la langue et les mots employés par les nazis. Il décrit comment « quelque chose » est en train d’affecter l’homme dans sa parole, le changement de sens subis par les mots. Il le fait depuis son expérience, celle d’un Allemand, fils de rabbin réformé, déjudaïsé, que l’on assigne à être Juif. Il décrit les glissements sémantiques d’une langue devenue idéologique et la manière dont les mots, dont leur sens, sont capturés par l’idéologie politique nazie, et combien cela s’immisce dans les esprits et les comportements.
Penser lieu
« Sauvons notre amour des lieux », nous dit Mattea Riu. Alors pensons « lieu ». Dans un lieu existent de multiples attachements et, depuis ce lieu, se créent à la fois des singularités et du commun (du je et du nous). Le lieu est ce qui nous est commun à tous et ce qui nous distingue des autres. Alors, la question ne se pose plus en termes de Corse/pas Corse mais d’appartenance, d’ancrage à un lieu.
Depuis ce lieu, éminemment singulier, travaillent des individus qui, par-delà leurs appartenances multiples (Arabes, Français, Corses, femmes, hommes, gay, lesbiennes, ouvriers, bourgeois, etc.) créent quelque chose de singulier car ancré ici et maintenant, et pas ailleurs et hier, et créent en même temps quelque chose de commun. Ce qui fait la singularité corse n’est plus alors à chercher dans une production spécifique, aux caractéristiques identitaires mais lié à la volonté de créer et de travailler ensemble depuis ce lieu, avec ce qu’il contient et nous offre (une géographie, un paysage, des langues, une histoire, des pratiques artistiques, des espèces naturelles, etc., etc.) mais sans focaliser sur les (hypothétiques) « attributs culturels ».
Enfin, devant ce rapt des mots, qui sont « dénaturés, dévoyés, mutilés », nous dit l’astrophysicien Aurélien Barrau [1], « nous ne gagnerons pas la bataille des dévoiements, des calomnies et des bassesses : reste le choix d’être poète. Construisons un avenir poétique, c’est-à-dire exigeant – presque intransigeant – et exploratoire ». L’art a un rôle essentiel à jouer nous dit-il. « Non pas au titre de divertissement ou de distraction (…) mais en tant que machine de guerre totale contre l’univocité du sens ».
Œuvrons donc à une écriture poétique politique, une écriture précise et circonstanciée.
Depuis ce lieu, éminemment singulier, travaillent des individus qui, par-delà leurs appartenances multiples (Arabes, Français, Corses, femmes, hommes, gay, lesbiennes, ouvriers, bourgeois, etc.) créent quelque chose de singulier car ancré ici et maintenant, et pas ailleurs et hier, et créent en même temps quelque chose de commun. Ce qui fait la singularité corse n’est plus alors à chercher dans une production spécifique, aux caractéristiques identitaires mais lié à la volonté de créer et de travailler ensemble depuis ce lieu, avec ce qu’il contient et nous offre (une géographie, un paysage, des langues, une histoire, des pratiques artistiques, des espèces naturelles, etc., etc.) mais sans focaliser sur les (hypothétiques) « attributs culturels ».
Enfin, devant ce rapt des mots, qui sont « dénaturés, dévoyés, mutilés », nous dit l’astrophysicien Aurélien Barrau [1], « nous ne gagnerons pas la bataille des dévoiements, des calomnies et des bassesses : reste le choix d’être poète. Construisons un avenir poétique, c’est-à-dire exigeant – presque intransigeant – et exploratoire ». L’art a un rôle essentiel à jouer nous dit-il. « Non pas au titre de divertissement ou de distraction (…) mais en tant que machine de guerre totale contre l’univocité du sens ».
Œuvrons donc à une écriture poétique politique, une écriture précise et circonstanciée.
[1] Aurélien Barrau, « Il faut une révolution politique, poétique et philosophique » (entretien par Carole Guilbaud), Editions Zulma, 2022.