Gérard Koch et Pascal Alessandri, Bastia 1989
Si i Muvrini ont maintenu ce concert à Lugu di Nazza en août 1984, ils l’ont fait en concertation avec la majorité du milieu associatif de l'époque, qui a opté pour cette décision collective et l’a soutenue.
Désobéissance civile
La première réflexion qui me vient à l’esprit est que Lugu di Nazza reste un acte de « désobéissance civile » exemplaire. Il s’agit bien là d’une page d'honneur pour les citoyens de Corse. Plus d'un millier de personnes ont fait un détour de plusieurs kilomètres à pied pour contourner les barrages policiers, dire leur désobéissance, dans leur adhésion à une culture vivante. Assis par terre devant les forces de l’ordre, ils ont, par leur seule présence responsable, inauguré un acte de résistance civile non-violente et citoyenne. Un « sit-in », un « posa-quì » corsu.
Quelle révolte ?
La deuxième réflexion est de relever ce que Tonì définit comme « les poètes et les musiciens qui portaient des messages, il faut bien le dire, de révolte. » Le choix des mots est intéressant.
RÉVOLTE: "Action violente par laquelle un groupe se révolte contre l'autorité politique, la règle sociale établie. ➙ dissidence, émeute, insurrection, mutinerie, rébellion, sédition, soulèvement - Attitude de refus et d'hostilité devant une autorité, une contrainte ».
Ce choix des mots nous oriente vers un renversement des rôles, déclarant « message de révolte » ce qui n’était qu'expression d’un droit tellement républicain et démocratique.
Pardon, mais le révoltant était bien en face ce jour-là.
Le sens de ce concert, le sens de cette réaction citoyenne, le sens de cette confrontation « non-violente », s’en trouve quelque peu détourné.
Nous n'étions ni hostiles aux CRS, ni hostiles aux élus du village. C'est bien un arrêté municipal, son application par la force, qui représentait le véritable scandale. Nous n’étions nullement des lanceurs de révolte, et moins encore des esprits égarés à qui il fallait venir mettre un peu de « sale in zucca ».
Nous étions simplement citoyens conscients, face à un mur d'intolérance et de « démophobie ». Ce mépris du peuple qui consiste à minimiser ses manifestations, sa force, son intelligence collective. Une peur du peuple toujours « irresponsable », qu'il faut contrôler, qui aurait toujours besoin d’ordres et d’interdits, plus que d’écoute et de respect.
Je rappelle qu’à l’époque, i Muvrini chantaient Demucrazia, Cù lu stessu destinu, Anu da vultà, À rombu di cantà… des textes de chansons qui sont consultables et demeurent encore d'actualité : des chansons, dans une langue qui à elle seule était une provocation, considérée comme un trouble à l’ordre public.
La chose la plus normale au monde : chanter dans sa langue, un droit cardinal, se retrouvait ainsi face à des gens qui, pour l’interdire, étaient bien plus engagés que nous, bien plus intéressés que nous, bien plus révoltants.
J’ai en mémoire les témoignages de CRS qui nous confiaient ce jour-là: « c'est bien la première fois que l’on nous mobilise pour interdire des chanteurs ! ». La Corse entière a en mémoire ce militant socialiste, qui devant les caméras, a déchiré sa carte du parti, écœuré par cette mascarade, certes provocante et dangereuse.
Oui, Lugu di Nazza reste une victoire du « people power », u « populu-pudere », a putenza di u populu, qui sans heurts, sans incivilités, sans armes a mis fin à ce cycle de concerts interdits, ce « désordre public » bien organisé et officiel.
RÉVOLTE: "Action violente par laquelle un groupe se révolte contre l'autorité politique, la règle sociale établie. ➙ dissidence, émeute, insurrection, mutinerie, rébellion, sédition, soulèvement - Attitude de refus et d'hostilité devant une autorité, une contrainte ».
Ce choix des mots nous oriente vers un renversement des rôles, déclarant « message de révolte » ce qui n’était qu'expression d’un droit tellement républicain et démocratique.
Pardon, mais le révoltant était bien en face ce jour-là.
Le sens de ce concert, le sens de cette réaction citoyenne, le sens de cette confrontation « non-violente », s’en trouve quelque peu détourné.
Nous n'étions ni hostiles aux CRS, ni hostiles aux élus du village. C'est bien un arrêté municipal, son application par la force, qui représentait le véritable scandale. Nous n’étions nullement des lanceurs de révolte, et moins encore des esprits égarés à qui il fallait venir mettre un peu de « sale in zucca ».
Nous étions simplement citoyens conscients, face à un mur d'intolérance et de « démophobie ». Ce mépris du peuple qui consiste à minimiser ses manifestations, sa force, son intelligence collective. Une peur du peuple toujours « irresponsable », qu'il faut contrôler, qui aurait toujours besoin d’ordres et d’interdits, plus que d’écoute et de respect.
Je rappelle qu’à l’époque, i Muvrini chantaient Demucrazia, Cù lu stessu destinu, Anu da vultà, À rombu di cantà… des textes de chansons qui sont consultables et demeurent encore d'actualité : des chansons, dans une langue qui à elle seule était une provocation, considérée comme un trouble à l’ordre public.
La chose la plus normale au monde : chanter dans sa langue, un droit cardinal, se retrouvait ainsi face à des gens qui, pour l’interdire, étaient bien plus engagés que nous, bien plus intéressés que nous, bien plus révoltants.
J’ai en mémoire les témoignages de CRS qui nous confiaient ce jour-là: « c'est bien la première fois que l’on nous mobilise pour interdire des chanteurs ! ». La Corse entière a en mémoire ce militant socialiste, qui devant les caméras, a déchiré sa carte du parti, écœuré par cette mascarade, certes provocante et dangereuse.
Oui, Lugu di Nazza reste une victoire du « people power », u « populu-pudere », a putenza di u populu, qui sans heurts, sans incivilités, sans armes a mis fin à ce cycle de concerts interdits, ce « désordre public » bien organisé et officiel.
Chì resistenza dapoi tandu ?
Depuis, cet esprit de résistance civile, cette désobéissance non-violente, ont-ils été jamais mesurés à leur juste valeur, leur juste efficacité ?
La victoire citoyenne et non-violente de Lugu di Nazza, des moyens nobles pour une cause noble, a-t-elle réussi à poser son empreinte ?
Quelques années après, le 8 août 1993, avec i Muvrini, nous assistions sous chapiteau à Corti, à la revendication publique du meurtre de Robert Sozzi par le FLNC.
Depuis cette impasse violente et tragique, et à contre-courant, i Muvrini « désobéissants » n’ont plus chanté sous un chapiteau nationaliste.
Mais cela est un autre chapitre.
Lugu di Nazza reste pour autant un merveilleux exemple de conscience citoyenne, et de force populaire dans l’île. C’est aussi une inspiration … per oghje è per dumane .
Désobéir aujourd’hui se présente sous tant de formes actuelles : ne pas détourner la vocation de la terre nourricière et agricole mais la sauvegarder comme un bien commun irremplaçable, faire pousser des jardins pour faire les premiers pas vers une autonomie alimentaire, équiper les citoyens des outils du combat non-violent…
La victoire citoyenne et non-violente de Lugu di Nazza, des moyens nobles pour une cause noble, a-t-elle réussi à poser son empreinte ?
Quelques années après, le 8 août 1993, avec i Muvrini, nous assistions sous chapiteau à Corti, à la revendication publique du meurtre de Robert Sozzi par le FLNC.
Depuis cette impasse violente et tragique, et à contre-courant, i Muvrini « désobéissants » n’ont plus chanté sous un chapiteau nationaliste.
Mais cela est un autre chapitre.
Lugu di Nazza reste pour autant un merveilleux exemple de conscience citoyenne, et de force populaire dans l’île. C’est aussi une inspiration … per oghje è per dumane .
Désobéir aujourd’hui se présente sous tant de formes actuelles : ne pas détourner la vocation de la terre nourricière et agricole mais la sauvegarder comme un bien commun irremplaçable, faire pousser des jardins pour faire les premiers pas vers une autonomie alimentaire, équiper les citoyens des outils du combat non-violent…