Robba
 



Lettre persane



Lorsque Montesquieu donnait vie à Usbek et Rica dans ses Lettres Persanes, il s’agissait de dresser un sévère rapport d’étonnement des mœurs alors en vigueur en France. Rien de tel dans cette aventure qui se joue entre Balagne et Iran, entre Tonì Casalonga et Mohammad Reza Rashtizadeh, qui a abouti notamment à la création d’un authentique tapis persan aux couleurs de Pigna.



Il y eut certes la venue du maître du tombak, Djamchid Chémirâmi, pour un concert de musique persane. Mais c’est depuis que notre ami et voisin Pierre-René a épousé à Paris Roxane, Iranienne, que Pigna a tissé un lien particulier avec la culture persane. Grâce à eux, en 2015, l’Ensemble Pallett de Téhéran régala le public de Festivoce d’une mémorable soirée de jazz irano-corse en duo avec Zamballarana. Et puis un nouveau chapitre de cette relation s’est ouvert avec la venue au village, en principe pour quelques jours de vacances, de leur ami Mohammad Reza Rashtizadeh, arrivé directement de Qom où il a révolutionné par ses créations l’art millénaire du tissage.

Reza est depuis revenu chaque année à Pigna, et à la troisième fois il décida d’offrir un tapis en hommage à ce village qu’il s’est pris à aimer. Il me demanda de dessiner quelques motifs qui pourraient le symboliser, il les combina avec la subtilité et la science de l’entrelacs que seuls les siècles savent polir. On y voit la pomme de pin emblématique, les clochetons jumeaux de l’église, le palmier et le cyprès qui leur répondent, et au loin la mer. Dix-sept mois et deux mille six cent quarante-six heures de tissage plus tard, le tapis de laine et de soie bigarré de treize couleurs était déposé sur la terre de Balagne.
Au cours de nos conversations, j’étais toujours frappé par l’originale pertinence de ses remarques à propos de la Corse, auxquelles je ne manquais pas de trouver une allure de « lettres persanes ». C’est pourquoi je lui demandai d’écrire quelques mots pour Robba.
 
 

Jahangir  Khan,
Be Khoda. Que Dieu te protège et que ton ombre ne diminue jamais.
 
Je me suis rendu à plusieurs reprises en Corse, cette île de la mer ligurienne dont on vante la splendeur.
Un Persan tombe instantanément sous le charme du paysage qui lui rappelle les monts verdoyants du massif de l’Elbourz descendant en terrasses sur la Mer Caspienne et ses forêts de chênes et châtaigniers. Il admire les torrents d’eau fraiche dévalant la pente, les villages accrochés à flanc de montagne et leurs vieilles pierres ayant résisté au temps et aux invasions (chacun ses malheurs : pour nous les Mongols et les Arabes, pour eux les Vandales et les Maures).
 
Le choc se produit lorsque le Persan rencontre un indigène.
 
Nous sommes imprégnés depuis l’enfance par le cérémonial des salutations. Où que l’on soit dans le bazar ou dans le fond de la campagne, lorsque l’un d’entre nous croise un étranger, il le couvre de taarofs (formules de politesse), dont la traduction seule fait la joie d’un occidental. Les formules que nous proclamons comme nous récitons des versets du Coran sont foison : « ma maison est votre maison », « que je meure pour vous », « que mes yeux soient illuminés », et ainsi de suite jusqu’à épuisement. Nous en possédons une collection en réserve prête à l’emploi, que nous enrichissons régulièrement. D’où l’adage : « la politesse est une monnaie destinée à enrichir non pas celui qui la reçoit, mais celui qui la donne ». Ensuite, avant que notre interlocuteur n’ait pu se présenter, nous l’invitons chez nous à prendre le thé, à dîner et à demeurer la nuit. Propositions qu’il serait de la plus grande goujaterie d’accepter. C’est seulement après tout notre cérémonial que le voyageur pourra enfin demander son chemin ou l’adresse d’un hôtel. Et tout recommence au moment de se quitter.
 
En Corse, le premier contact avec l’habitant peut causer au Persan un intense désarroi. Point de démonstration de bienvenue. D’une voix grave, le Corse gratifie son vis-à-vis d’un « bonjour » ou d’un « salute » comme s’il regrettait déjà cette largesse avant de l’avoir prononcée, et l’examine silencieusement des pieds à la tête avec le regard d’un Émir Mamelouk dévisageant un sultan qu’il s’apprête à décapiter pour lui ravir ses fonctions.
 
Dieu merci, cette réserve cache un grand sens de l’hospitalité que l’insularité a su préserver. La curiosité l’emporte vite, surtout pour une culture exotique comme la nôtre, et après quelques échanges où tu prendras soin de manifester l’intérêt que tu portes aux attraits de son territoire, ton interlocuteur te témoignera une convivialité sincère, bien rare chez un Occidental. Et quand il t’invite chez lui, il est sérieux ! Si tu refuses, il se vexera comme si tu l’avais offensé. C’est très surprenant.
 
Donc quand tu viendras dans cette île, ne juge pas sur le premier contact. Comme il est dit à Ispahan : « le vrai musc est celui qui répand son parfum et non celui que vend le droguiste. »
 

Pour découvrir le tapis

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Samedi 24 Septembre 2022
Mohammad Reza Rashtizadeh et Tonì Casalonga


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