En 1971 paraissait aux éditions Jérôme Martineau, à Paris, Main basse sur une île. Pour les générations d’après-guerre, ce livre allait offrir des repères et une référence à la prise de conscience collective qu’il existait un problème corse.
Le français des Corses : de bons artisans ?
Je vais m’exprimer ici à partir de sa réédition par l’Accademia di i vagabondi (Cassanu, 1981). Je m’intéresserai au chapitre 3, intitulé « Le grand dérangement culturel » (pages 45-74). Voici ce qu’on peut y lire, page 53 :
« …le recours obligatoire à la langue de l’État n’a permis que la formation de bons artisans du français, disséminés dans l’enseignement, l’administration, le barreau, la magistrature et le journalisme, c’est-à-dire là où ils peuvent manier cette langue avec efficacité, comme un bon outil parfaitement en main, et comme un bon outil anonyme. Ils la manient bien ou très bien, ou sans plus. Ils ne sont pas des maîtres d’œuvre, car la création littéraire exige que l’outil ne soit plus anonyme, mais au contraire fasse corps, en quelque sorte, avec la sensibilité qu’il voulait traduire, - qu’il soit lui-même cette sensibilité, qu’il permette l’expression du tréfonds… »
À l’époque donc, les auteurs de l’ouvrage collectif considèrent que le français n’est pas intériorisé au point de devenir l’outil d’une expression littéraire authentique et originale, celle qui rendrait infailliblement compte du fameux « tréfonds ».
Pourtant, Marie Susini et Angelo Rinaldi accèdent alors à la reconnaissance littéraire en France, sans doute au prix d’une forme de conformité aux stéréotypes hérités du mériméisme mais sûrement pas sans talent de plume. Aux jours d’aujourd’hui, Elena Piacentini publie aux éditions du Fleuve noir, Francesca Serra chez Anne Carrière, Laure Limongi a les faveurs de Grasset, on connaît L’insulaire de feu Eugène Mannoni (de Fallois), sans parler bien entendu de la consécration de Jérôme Ferrari (Actes sud), une référence aux yeux de la critique française. Cette brève liste n’étant à l’évidence pas exhaustive, je tiens à m’excuser par avance auprès des personnes concernées pour les omissions que j’aurais pu commettre. Cela signifie que la dynamique de l’intégration culturelle, initiée sous le Second empire et amplifiée sous la IIIe République, a pleinement réussi. À ce titre, je ne parlerai évidemment pas des auteurs à patronyme corse édités par les maisons parisiennes mais sans qu’eux-mêmes fassent la moindre allusion référentielle à l’île dont ils sont (ou pourraient être) originellement issus.
Risquons alors l’hypothèse qu’au mieux, les écrivains reconnus dont je parle précisément ici seront bilingues (français-corse), un bilinguisme évidemment déséquilibré, qu’au pire, à côté de leur langue de « tréfonds », ils auront une idée plus ou moins vague de l’idiome local, celui transmis oralement de génération en génération. Le tout dans l’occultation totale de l’italien, qui fut notre langue de culture multiséculaire : de profundis. Ceci dit, personne ne songera à leur adresser le moindre reproche, ils constituent autant de produits et/ou de résultats individuels d’un processus qui excède l’expérience et la conscience collectives contemporaines.
Les imitateurs plus ou moins habiles des belles lettres d’autrefois, fussent-elles italiennes, on connaît le goût historiquement prononcé de nos élites pour la reproduction de modèles d’écriture à l’identique, sont donc aujourd’hui devenus, pour certains, des acteurs efficaces, singuliers, originaux de la littérature française. Et ce grâce à leur maîtrise scripturale, à leur persévérance et à leur investissement. L’analyse de Main basse sur une île, se voit ainsi datée. Dont acte.
« …le recours obligatoire à la langue de l’État n’a permis que la formation de bons artisans du français, disséminés dans l’enseignement, l’administration, le barreau, la magistrature et le journalisme, c’est-à-dire là où ils peuvent manier cette langue avec efficacité, comme un bon outil parfaitement en main, et comme un bon outil anonyme. Ils la manient bien ou très bien, ou sans plus. Ils ne sont pas des maîtres d’œuvre, car la création littéraire exige que l’outil ne soit plus anonyme, mais au contraire fasse corps, en quelque sorte, avec la sensibilité qu’il voulait traduire, - qu’il soit lui-même cette sensibilité, qu’il permette l’expression du tréfonds… »
À l’époque donc, les auteurs de l’ouvrage collectif considèrent que le français n’est pas intériorisé au point de devenir l’outil d’une expression littéraire authentique et originale, celle qui rendrait infailliblement compte du fameux « tréfonds ».
Pourtant, Marie Susini et Angelo Rinaldi accèdent alors à la reconnaissance littéraire en France, sans doute au prix d’une forme de conformité aux stéréotypes hérités du mériméisme mais sûrement pas sans talent de plume. Aux jours d’aujourd’hui, Elena Piacentini publie aux éditions du Fleuve noir, Francesca Serra chez Anne Carrière, Laure Limongi a les faveurs de Grasset, on connaît L’insulaire de feu Eugène Mannoni (de Fallois), sans parler bien entendu de la consécration de Jérôme Ferrari (Actes sud), une référence aux yeux de la critique française. Cette brève liste n’étant à l’évidence pas exhaustive, je tiens à m’excuser par avance auprès des personnes concernées pour les omissions que j’aurais pu commettre. Cela signifie que la dynamique de l’intégration culturelle, initiée sous le Second empire et amplifiée sous la IIIe République, a pleinement réussi. À ce titre, je ne parlerai évidemment pas des auteurs à patronyme corse édités par les maisons parisiennes mais sans qu’eux-mêmes fassent la moindre allusion référentielle à l’île dont ils sont (ou pourraient être) originellement issus.
Risquons alors l’hypothèse qu’au mieux, les écrivains reconnus dont je parle précisément ici seront bilingues (français-corse), un bilinguisme évidemment déséquilibré, qu’au pire, à côté de leur langue de « tréfonds », ils auront une idée plus ou moins vague de l’idiome local, celui transmis oralement de génération en génération. Le tout dans l’occultation totale de l’italien, qui fut notre langue de culture multiséculaire : de profundis. Ceci dit, personne ne songera à leur adresser le moindre reproche, ils constituent autant de produits et/ou de résultats individuels d’un processus qui excède l’expérience et la conscience collectives contemporaines.
Les imitateurs plus ou moins habiles des belles lettres d’autrefois, fussent-elles italiennes, on connaît le goût historiquement prononcé de nos élites pour la reproduction de modèles d’écriture à l’identique, sont donc aujourd’hui devenus, pour certains, des acteurs efficaces, singuliers, originaux de la littérature française. Et ce grâce à leur maîtrise scripturale, à leur persévérance et à leur investissement. L’analyse de Main basse sur une île, se voit ainsi datée. Dont acte.
Rigiru : des ambitions, un bilan
En 1974, paraissait la revue Rigiru, entièrement rédigée en corse. Je veux bien sûr dire « en langue corse » mais j’écris volontairement « en corse », peut-être de façon iconoclaste, comme on dit et écrit « en français, en italien, en tagalog… ». Elle donnait corps, en matière littéraire, au projet émancipateur du Riacquistu. Quel bilan peut-on tirer, cinquante ans après sa parution et l’expression de son ambition majeure, faire sortir le corse de la marginalité littéraire, non seulement en mettant un terme, dans une langue espérée authentique, à la folklorisation de ses thèmes de prédilection mais encore en suscitant l’émergence d’un véritable lectorat ?
Si la langue a incontestablement marqué des points dans l’enseignement, dans une forme de reconnaissance publique partielle, on doit avoir l’honnêteté de reconnaître que son expansion dans le domaine littéraire non seulement n’a pas eu lieu mais que rien ne semble indiquer présentement la possibilité d’une amélioration prochaine de sa situation.
Certes des romans ont été écrits assez régulièrement depuis le novateur A Funtana d’Altea en 1990, et la qualité n’en est pas absente, bien au contraire, notamment chez Ghjacumu Thiers. Mais qui le sait, qui en connaît les auteurs et, surtout, où est le lectorat du corse ? Les conditions d’émergence d’une littérature, celles de son existence et de son développement sont aujourd’hui bien cernées : il y faut des auteurs, des éditeurs, la présence d’une critique littéraire, des prix et une acculturation des jeunes générations via un enseignement organisé. Toutes ces conditions favorisent bien entendu un autre facteur indispensable, l’accumulation capitalistique d’une valeur littéraire déposée dans les textes : la littérarité.
Si la langue a incontestablement marqué des points dans l’enseignement, dans une forme de reconnaissance publique partielle, on doit avoir l’honnêteté de reconnaître que son expansion dans le domaine littéraire non seulement n’a pas eu lieu mais que rien ne semble indiquer présentement la possibilité d’une amélioration prochaine de sa situation.
Certes des romans ont été écrits assez régulièrement depuis le novateur A Funtana d’Altea en 1990, et la qualité n’en est pas absente, bien au contraire, notamment chez Ghjacumu Thiers. Mais qui le sait, qui en connaît les auteurs et, surtout, où est le lectorat du corse ? Les conditions d’émergence d’une littérature, celles de son existence et de son développement sont aujourd’hui bien cernées : il y faut des auteurs, des éditeurs, la présence d’une critique littéraire, des prix et une acculturation des jeunes générations via un enseignement organisé. Toutes ces conditions favorisent bien entendu un autre facteur indispensable, l’accumulation capitalistique d’une valeur littéraire déposée dans les textes : la littérarité.
Le mur de la minoration
Examinons donc quelques-uns de ces critères, l’un après l’autre. On n’est pas en mal d’auteurs, au contraire, plusieurs ont pris le risque de se commettre, ce qui s’est traduit par une production romanesque certes non pléthorique mais pas pour autant insignifiante. Les éditeurs, par définition, sont Corses puisque le corse est une petite langue pratiquée dans un espace géographique réduit, nettement circonscrit. La labilité du lectorat les condamne à de faibles tirages, de 300 à 500 exemplaires au mieux, et les contraint à recourir à l’indispensable subvention de la Collectivité de Corse, sans laquelle toute initiative serait frappée d’inanité.
Pire que cela, si la distribution peut être assurée de façon convenable, la possibilité de réassort n’existe pratiquement pas : il faut s’empresser d’acheter un ouvrage car en très peu d’années il devient introuvable. Aucune émission radiophonique ou télévisuelle, aucun journal, aucune revue spécialisée ne donne à connaître un titre, un auteur, en matière de publicité celui qui se lance dans l’aventure romanesque se voit automatiquement promis à une traversée du désert assurée et assumée. Des prix publics existent, certes, mais tous soumis à l’épreuve d’une forme incontournable de confidentialité, aggravée par l’absence de relai médiatique.
Quant à l’enseignement de la littérature proprement dite, c’est évidemment la bouteille à l’encre, la priorité demeurant accordée, pour des raisons évidentes, aux acquisitions linguistiques, dans un contexte où le corse demeure une discipline non généralisée et optionnelle de bout en bout du cursus scolaire. Les seuls appelés à travailler sur un corpus littéraire sont, en lycée, les rarissimes élèves inscrits en 1ère et terminale en enseignement de spécialité et, à l’université, les étudiants fréquentant les études corses, et encore ces dernières requièrent-elles de façon inévitable une certaine forme de généralité entre approche linguistique, historique, anthropologique, musicologique et littéraire.
Le corse évolue donc dans le champ exigu des petites littératures. Demeure enfin un problème peu ou mal identifié jusqu’à présent du côté du lectorat : on peut être un bon bilingue, pratiquer le corse à un certain niveau, y compris écrit, être un consommateur assidu de fictions romanesques en français et demeurer fermé à celles proposées en corse.
Pourquoi ? Parce que, d’une part, les Corses sont généralement analphabètes dans leur langue. Peu ont eu un contact avec elle à l’école, peu ont bénéficié d’une transmission intrafamiliale, encore moins d’une socialisation dans la langue, a fortiori écrite. Parce que d’autre part, quand bien même seraient-ils bilingues, en matière de culture littéraire, il n’existe pas de transfert par simple transitivité : si on sait résoudre un problème en français tout en parlant bien corse, si on a fait un minimum de mathématique en corse, on passera l’obstacle aussi bien dans une langue que dans l’autre, certes avec un peu d’entraînement.
Par contre, la maîtrise du texte littéraire long en corse nécessite une seconde acculturation, c’est-à-dire un effort continu d’intérêt, de suivi, d’approfondissement et de réflexion pour une narration écrite dans une autre langue. En termes de bilinguisme individuel, tout ne se fait pas par translation, il y faut une énergie substantielle, seule susceptible d’assurer la structuration et la pérennité d’une véritable aptitude. Pour l’instant, ce dont je parle précisément ici, la construction d’une véritable compétence bilingue, pleine et entière, y compris dans le domaine littéraire, demeure l’apanage de quelques initiés. Et l’écrit corse, par la convergence et l’accumulation des facteurs défavorables que je viens d’énumérer, de végéter dans une confidentialité dont les auteurs eux-mêmes, par lassitude, courent le risque de la prendre en grippe.
Un peu de soleil dans l’eau froide, cependant : il faut souligner les initiatives associatives en faveur de l’apprentissage de la langue, de son écriture, des Case di a lingua, pertinemment soutenues par la Collectivité de Corse, et, dans ce cadre, l’intéressante pratique des ateliers d’écriture développés à l’initiative de Marcu Biancarelli.
Globalement pourtant, cette marginalité organisée, structurée par la dissymétrie entre les moyens et les ressources au bénéfice du français et ceux disponibles pour le corse, conduit à une stagnation de la production de la fiction littéraire, à sa rareté et, étant donné notre analphabétisme structurel ci-avant expliqué, à l’insatisfaction chronique de tout auteur prenant le risque d’écrire en langue minorée. Si on se commet, c’est bien pour être lu à un moment donné, pour recevoir un écho, un retour minimal du côté de la réception de sa création : sans tomber dans une forme de prétention, un émetteur a linguistiquement besoin d’un récepteur, c’est une loi générale, jusques et y compris en matière littéraire. Or, dans le cas qui nous occupe, cette mise en relation dynamique d’un auteur avec un lecteur, pour peu d’ailleurs que ce dernier ait eu connaissance de l’existence d’une publication, demeure obstinément évanescente, volatile.
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de l’inévitable appel d’air vers l’expression en langue française, sous une triple influence :
Pire que cela, si la distribution peut être assurée de façon convenable, la possibilité de réassort n’existe pratiquement pas : il faut s’empresser d’acheter un ouvrage car en très peu d’années il devient introuvable. Aucune émission radiophonique ou télévisuelle, aucun journal, aucune revue spécialisée ne donne à connaître un titre, un auteur, en matière de publicité celui qui se lance dans l’aventure romanesque se voit automatiquement promis à une traversée du désert assurée et assumée. Des prix publics existent, certes, mais tous soumis à l’épreuve d’une forme incontournable de confidentialité, aggravée par l’absence de relai médiatique.
Quant à l’enseignement de la littérature proprement dite, c’est évidemment la bouteille à l’encre, la priorité demeurant accordée, pour des raisons évidentes, aux acquisitions linguistiques, dans un contexte où le corse demeure une discipline non généralisée et optionnelle de bout en bout du cursus scolaire. Les seuls appelés à travailler sur un corpus littéraire sont, en lycée, les rarissimes élèves inscrits en 1ère et terminale en enseignement de spécialité et, à l’université, les étudiants fréquentant les études corses, et encore ces dernières requièrent-elles de façon inévitable une certaine forme de généralité entre approche linguistique, historique, anthropologique, musicologique et littéraire.
Le corse évolue donc dans le champ exigu des petites littératures. Demeure enfin un problème peu ou mal identifié jusqu’à présent du côté du lectorat : on peut être un bon bilingue, pratiquer le corse à un certain niveau, y compris écrit, être un consommateur assidu de fictions romanesques en français et demeurer fermé à celles proposées en corse.
Pourquoi ? Parce que, d’une part, les Corses sont généralement analphabètes dans leur langue. Peu ont eu un contact avec elle à l’école, peu ont bénéficié d’une transmission intrafamiliale, encore moins d’une socialisation dans la langue, a fortiori écrite. Parce que d’autre part, quand bien même seraient-ils bilingues, en matière de culture littéraire, il n’existe pas de transfert par simple transitivité : si on sait résoudre un problème en français tout en parlant bien corse, si on a fait un minimum de mathématique en corse, on passera l’obstacle aussi bien dans une langue que dans l’autre, certes avec un peu d’entraînement.
Par contre, la maîtrise du texte littéraire long en corse nécessite une seconde acculturation, c’est-à-dire un effort continu d’intérêt, de suivi, d’approfondissement et de réflexion pour une narration écrite dans une autre langue. En termes de bilinguisme individuel, tout ne se fait pas par translation, il y faut une énergie substantielle, seule susceptible d’assurer la structuration et la pérennité d’une véritable aptitude. Pour l’instant, ce dont je parle précisément ici, la construction d’une véritable compétence bilingue, pleine et entière, y compris dans le domaine littéraire, demeure l’apanage de quelques initiés. Et l’écrit corse, par la convergence et l’accumulation des facteurs défavorables que je viens d’énumérer, de végéter dans une confidentialité dont les auteurs eux-mêmes, par lassitude, courent le risque de la prendre en grippe.
Un peu de soleil dans l’eau froide, cependant : il faut souligner les initiatives associatives en faveur de l’apprentissage de la langue, de son écriture, des Case di a lingua, pertinemment soutenues par la Collectivité de Corse, et, dans ce cadre, l’intéressante pratique des ateliers d’écriture développés à l’initiative de Marcu Biancarelli.
Globalement pourtant, cette marginalité organisée, structurée par la dissymétrie entre les moyens et les ressources au bénéfice du français et ceux disponibles pour le corse, conduit à une stagnation de la production de la fiction littéraire, à sa rareté et, étant donné notre analphabétisme structurel ci-avant expliqué, à l’insatisfaction chronique de tout auteur prenant le risque d’écrire en langue minorée. Si on se commet, c’est bien pour être lu à un moment donné, pour recevoir un écho, un retour minimal du côté de la réception de sa création : sans tomber dans une forme de prétention, un émetteur a linguistiquement besoin d’un récepteur, c’est une loi générale, jusques et y compris en matière littéraire. Or, dans le cas qui nous occupe, cette mise en relation dynamique d’un auteur avec un lecteur, pour peu d’ailleurs que ce dernier ait eu connaissance de l’existence d’une publication, demeure obstinément évanescente, volatile.
Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner de l’inévitable appel d’air vers l’expression en langue française, sous une triple influence :
- l’intériorisation culturelle de la « grande langue » flanquée d’une paupérisation linguistique du côté du « vernaculaire », paupérisation entretenue par les conditions de précarité dans lesquelles ce dernier est maintenu ;
- la puissance de modèles littéraires à reproduire, dans la foulée de l’un des auteurs à succès actuel de la littérature française, Jérôme Ferrari, et l’on court alors le risque, au-delà du possible stimulant d’une écriture reconnue, de retomber dans la filiation historique du modèle de l’empreinte ;
- l’espoir d’un accès à un public élargi, donc d’une reconnaissance et, de fil en aiguille, d’une entrée dans l’économie sonnante et trébuchante du livre qui se vend : écrire devient alors -aussi- une affaire de réalisme marchand ; il n’y a dans mon propos aucune matière à critique, tirer un revenu de ses efforts d’écriture n’apparait pas comme une activité coupable en soi ; si, par contre, l’on écrit des textes à chansons en corse, correctement rémunérés par la Sacem, si celles-ci ont du succès, et que l’on produit dans le même temps de la littérature en français dans l’espoir d’accéder à un large public après avoir fait l’expérience d’un lectorat famélique dans le domaine du vernaculaire, le temps de travail et l’effort d’investissement entre les deux activités n’ayant aucune commune mesure, ce double comportement rend peut-être compte d’une nouvelle extension, quelque peu inattendue mais somme toute logique, du domaine des compétences bilingues chez ceux qui possèdent le savoir-faire adéquat.
À rebours, il faut cependant concéder que, d’une certaine façon, écrire en français suppose une confrontation avec une concurrence beaucoup plus rude que si l’on tient la plume en corse. Mais dans ce dernier cas, le revers de la médaille réside, au-delà de l’exiguïté du lectorat potentiel, dans l’absence d’une critique constituée en tant qu’instance prenant toute sa part dans une institution littéraire qui, de toute façon, n’existe pas. Ce qui n’aide guère à une émulation de la production d’expression vernaculaire.
Une épitaphe ?
Ainsi donc ont été rappelés, ici, les éléments structurants d’une situation pérenne de stagnation linguistique, dans le domaine particulier de l’écriture littéraire. Amalgame, entre moellons et liant, de ce qu’il faut bien nommer le mur quasi infranchissable de la minoration.
D’un point de vue personnel, par atavisme, par habitude, sans doute aussi par militantisme attardé, voire par obsolescence programmée, routard grisonnant du Riacquistu, je persiste et persisterai à écrire en corse. Ici, en Corse. Non pas avec la préoccupation de mettre systématiquement la langue en exergue mais simplement par penchant personnel pour la fiction narrative, dans l’idée de relever le gant de l’épreuve créative. Bien entendu, derrière le roman écrit en corse demeure l’ambition de la reconnaissance des aptitudes et des qualités d’une langue à accéder à la dignité littéraire, celle à laquelle aspirait Paul Arrighi alors jeune dans son article « Nationalisme littéraire » publié en 1921 dans A Muvra (n° 42).
Mais les obstacles à surmonter, structurels, demeurent immenses et peuvent être ressentis comme décourageants. Le livre écrit en corse ne bénéficie pas d’un soutien pensé, d’une stratégie élaborée au bénéfice de sa connaissance et de sa diffusion : de toute façon, la Collectivité de Corse n’a défini aucune politique linguistique, ni en la matière, ni en général. De ce point de vue, une stratégie bien pensée de traduction à proposer aux éditeurs hexagonaux, ils sont toujours en demande de nouveauté, sans a priori hiérarchisant systématique, constituerait une initiative susceptible d’ouvrir de nouveaux horizons. Le livre publié en édition bilingue, quant à lui, conduit de mon point de vue à une impasse : outre la surcharge imposée d’un double travail, la facilité poussera le lecteur à se tourner vers le texte français au détriment de l’original.
En attendant, l’auteur téméraire qui s’entête à faire œuvre littéraire dans sa petite langue doit accepter avec un fatalisme sisyphéen l’inévitabilité d’une forme de relégation dans le lieu même où, précisément, il demeure et vit.
D’un point de vue personnel, par atavisme, par habitude, sans doute aussi par militantisme attardé, voire par obsolescence programmée, routard grisonnant du Riacquistu, je persiste et persisterai à écrire en corse. Ici, en Corse. Non pas avec la préoccupation de mettre systématiquement la langue en exergue mais simplement par penchant personnel pour la fiction narrative, dans l’idée de relever le gant de l’épreuve créative. Bien entendu, derrière le roman écrit en corse demeure l’ambition de la reconnaissance des aptitudes et des qualités d’une langue à accéder à la dignité littéraire, celle à laquelle aspirait Paul Arrighi alors jeune dans son article « Nationalisme littéraire » publié en 1921 dans A Muvra (n° 42).
Mais les obstacles à surmonter, structurels, demeurent immenses et peuvent être ressentis comme décourageants. Le livre écrit en corse ne bénéficie pas d’un soutien pensé, d’une stratégie élaborée au bénéfice de sa connaissance et de sa diffusion : de toute façon, la Collectivité de Corse n’a défini aucune politique linguistique, ni en la matière, ni en général. De ce point de vue, une stratégie bien pensée de traduction à proposer aux éditeurs hexagonaux, ils sont toujours en demande de nouveauté, sans a priori hiérarchisant systématique, constituerait une initiative susceptible d’ouvrir de nouveaux horizons. Le livre publié en édition bilingue, quant à lui, conduit de mon point de vue à une impasse : outre la surcharge imposée d’un double travail, la facilité poussera le lecteur à se tourner vers le texte français au détriment de l’original.
En attendant, l’auteur téméraire qui s’entête à faire œuvre littéraire dans sa petite langue doit accepter avec un fatalisme sisyphéen l’inévitabilité d’une forme de relégation dans le lieu même où, précisément, il demeure et vit.