Les années du Riacquistu ont vu émerger des talents qui pour certains se sont inscrits dans la durée. La femme a su faire de l’humour un allié et aujourd’hui de nouvelles figures fortes s’imposent.
Riacquistu : le sillon creusé
La période que l’on nomme Riacquistu débute dans les années 1970, elle est marquée par un souffle artistique nouveau et l’adhésion des acteurs culturels à la politique d’émancipation de la Corse. La contestation prend diverses formes et la lutte armée nourrit le cycle infernal de la répression.
L’actualité est régulièrement marquée par des épisodes tragiques, malgré tout l’humour trouve sa place et se réinvente au fil des évènements, des artistes savent mettre à profit cet art pour dénoncer les injustices, défendre leur terre, leur langue, leur culture. Des compagnies théâtrales se créent, des femmes y trouvent leur place.
À Bastia avec Patrizia Poli et Lidia Poli, j’ai fait partie du trio Fola fuletta actif à la fin des années 1970. Nous étions les premières jeunes femmes parmi les artistes de notre génération à interpréter des comédies de Ghjacumu Thiers en langue corse dans lesquelles sont mises à jour des questions d’identités individuelles et collectives.
En 1986 Patrizia Poli lance et anime avec d’autres jeunes artistes I scrianzati, émission radiophonique diffusée chaque semaine sur RCFM. L’émission enregistrée en public obtient une large audience. I scrianzati sont de sympathiques trouble-fête qui s’intéressent particulièrement à l’actualité politique. C'est un humour qui s'engage pour dénoncer un système dont la Corse subit les conséquences.
Pionnière incontestée dans le domaine du rire et de l’humour : Marie-Ange Geronimi. Artiste aux multiples talents et facettes avec une énergie débordante, elle débute sa carrière en 1984 en tant que chanteuse dans le groupe Zia Divota dont elle devient un des piliers. Cette formation hors normes déploie un humour rebelle. Zia se permet toutes les audaces, les artistes sont grimés, déguisés et rien n’échappe à la plume audacieuse de Jean Battì Filippi.
Passionnée de théâtre, Marie-Ange Geronimi rejoint la compagnie U teatrinu au début des années 90, elle a aujourd’hui à son actif plus de trente pièces de théâtre dont une grande majorité sont des comédies. À partir de 1994 et jusqu’à nos jours, elle s’illustre sur le petit écran dans I Storti, A famiglia Pastasciù, U Casalone, Hotel Paradisula. Parodie, autodérision allant parfois jusqu’au burlesque, celle qui définit la macagna comme « un art de l’échange et du vivre ensemble » poursuit sa carrière tous azimuts. Sollicitée par nombre de réalisateurs, elle s’impose comme une figure incontournable dans le paysage culturel insulaire.
À la fin des années 1970, les Corses découvrent l’emblématique Teatru Mascone et son humour décapant. Au début des années 1980, une jeune Balanine, Marie Jo Butteri alias Zaza se joint à lui sur scène à l’occasion d’une tournée et se lance par la suite en solo, elle est la première jeune femme à proposer du one woman show humoristique en Corse.
Dans la veine de Mascone, elle met en scène un personnage loufoque et truculent qui aborde de nombreux thèmes de société. Du côté d’Ajaccio à la même période les comédiennes Dominique Petris et Michèle Casalta surfent sur l’humour dans leurs créations au sein de la troupe A tribbiera.
Des évolutions continues
Coco Orsoni et Corinne Mattei sont toutes deux issues du cours Florent qu’elles terminent en 1986. Dès la création de U teatrinu, Coco Orsoni est présente dans I Storti, Corine Mattei quant à elle intègre A Famiglia Pastasciù un peu plus tard. Les deux comédiennes ne quitteront plus la compagnie pour prendre part à de nombreux projets, elles créeront cependant en parallèle pour le théâtre puis pour le petit écran, les personnages de Rachel et Betty au début des années 2000.
Cette initiative leur vaudra un beau succès populaire car les deux pimbêches bastiaises interprétées par le duo sont hilarantes. Aussi, quelques années plus tard un nouveau spectacle intitulé Coco and Co voit le jour, écrit sous forme de sketchs, il propose une interaction avec le public. On peut souhaiter que ce duo complice et complémentaire nous offre encore de bons moments délirants.
De mon côté, j’ai proposé deux spectacles humoristiques en 2011 et 2015 qui mettent en scène respectivement une hôtesse de l’air déjantée sur le vol Paris-Bastia et une élue missionnée par la Collectivité de Corse pour solutionner le problème des déchets sur l’île. Ces personnages dont le propos évolue en fonction de l’actualité me permettent de traiter de choses légères mais aussi de dossiers sensibles en mode puttachju, toujours en interaction avec le public.
Marianne Nativi a connu le théâtre militant marqué par les revendications des années 70 et 80. Pour cette comédienne qui dirige U locu teatrale à Ajaccio, le théâtre est un lieu de questionnement et de remise en question et le théâtre expérimental a toujours guidé son parcours.
En 2015 pourtant, elle décide de proposer Azeza, un seul en scène humoristique dans lequel elle relate ses déboires d’artiste Corse en face d’une administration bornée, le ton est incisif et polémique. Azeza fait son retour pour d’autres mésaventures en 2018.
Au théâtre comme au cinéma, des comédiennes sont régulièrement sollicitées pour leur capacité à faire rire, à celles déjà citées on peut ajouter entre autres Marie-Paule Franceschetti, ou Roselyne De Nobili pour qui la macagna n’a pas de secrets.
Oghje dinù
Chroniques médiatiques, stand up, one woman show, humour sur les réseaux sociaux…une nouvelle génération d’humoristes est aujourd’hui présente sur la scène insulaire. En adéquation avec leur temps mais aussi avec leur culture, des femmes distillent le rire et fédèrent. Notre macagna s’adapte aux nouveaux formats tel le Stand-up, apparu en Corse depuis peu.
Ce genre comique ou humoriste sans décor est un court seul en scène de 10 à 12 minutes, dans lequel l’humoriste prend l’auditoire à témoin de manière informelle des histoires qui lui sont prétendument arrivées. Ce genre est connu aux États-Unis ou en France depuis le XIXe siècle, son style évolue jusqu’à nos jours, le Stand up repoussant de plus en plus les limites de la bienséance pour aborder des sujets politiques, raciaux ou sexuels.
Depuis quelques années donc, cette forme d’humour séduit en Corse. C’est à Bastia que le premier Comedy club voit le jour en 2019 et l’idée vient de deux femmes qui évoluent dans le milieu culturel : Frédérique Balbinot, directrice du Théâtre de cette même ville et Olivia Cesari gérante de l’école de musique Spartimusica. C’est dans cet espace chaleureux de la rue des Zéphirs, que la scène du Sparticomedy club s’anime une fois par mois. Quelques femmes excellent dans l’exercice du stand up et déploient avec force leurs armes de dérision massive.
Parmi elles, Dominique Fumaroli, artiste-peintre et écrivaine que le public a pu découvrir dès l’ouverture du Comedy club. L’humoriste a trouvé son style et s’affirme grâce à sa créativité et à son originalité. Les relations hommes-femmes sont un de ses thèmes privilégié et ça se passe chez nous … Quand on lui demande à de définir son humour elle répond : « ce n’est pas trash, c’est cash ! ». Dominique Fumaroli est à retrouver également dans le one woman show « Attachante », dans lequel elle campe un personnage qui pratique l’art de la séduction grâce à des méthodes un peu musclées.
Les réseaux sociaux sont très en vogue pour dispenser de l’humour, tous réseaux confondus. Leur popularité s’est accrue et avec elle la popularité des artistes qui savent utiliser ces outils de façon efficace afin de profiter d’une large audience et de promouvoir leur activité. Les avantages des réseaux sociaux pour des professionnels ne sont plus à démontrer.
L’humoriste originaire de Centuri Morgane Bastid-Albertini ne s’y est pas trompée, la scène est pour elle avant tout virtuelle. La jeune femme qui a commencé à poster ses vidéos lors du premier confinement est aujourd’hui suivie par de nombreux fans en Corse et hors de Corse. Autodérision et macagna sont les maîtres mots de sa proposition artistique. Fine observatrice, dans ses sketchs elle campe différents personnages qu’elle débusque dans la société corse. Ce qui a débuté comme un jeu a pris une ampleur à laquelle Morgane elle-même ne s’attendait pas.
Sur les ondes de RCFM il y a toujours eu une place pour l’humour, c’est devenu aujourd’hui une des composantes essentielles de la programmation. Récemment les auditeurs ont pu découvrir Andrea Pinelli de la bande des Kongoni.
Bien que fidèle à la troupe qui évolue depuis 2013 sur les réseaux sociaux, la jeune femme égrène en solo ses notes d’humour à l’antenne plusieurs fois par semaine pour la plus grande joie des auditeurs. Ci hè da ride ou Micro puttachju, sont entre autres les émissions qu’elle anime. Grâce à son naturel, à sa spontanéité et sa sympathie, Andrea Pinelli a conquis un large auditoire.
Per compie
Ce petit panorama ne se veut en aucun cas exhaustif mais suffit sans doute à montrer combien rire et humour sont et ont toujours été présents dans notre société insulaire, malgré les stéréotypes parfois renvoyés par les médias ou une certaine littérature.
Ancré dans sa culture tout en sachant s’adapter au temps qui changent, l’humour au féminin préfère l’autodérision et manie avec talent le second degré. Dans un monde où les droits des femmes sont encore bafoués, il participe également de la liberté d’expression et semble être un enjeu majeur pour développer la citoyenneté et permettre le vivre ensemble, à condition de savoir manier avec discernement et subtilité cette arme qui peut être à double tranchant !
NDLR: cet article pourra être retrouvé dans le magazine Quì.