Face à la standardisation des objets architecturaux « hors-sol » et contre l’insoutenabilité économique et écologique de nombreux projets de construction, l’architecture vernaculaire semble aujourd’hui une piste capable de répondre aux grands enjeux éthiques et esthétiques qui nous font face : adaptée à son contexte, elle s’élabore à partir des ressources locales, qu’il s’agisse du site, des matériaux, des savoir-faire ou des usages culturels. Sans débauche de moyens et sans fausse note.
Eppuru ! Parce qu’elle est radicalement aux antipodes des promesses de la Modernité – qui perçoit les liens uniquement sous l’angle de contraintes à abolir – l’architecture vernaculaire a longtemps été regardée comme un vestige d’archaïsme, et partant déconsidérée.
Eppuru ! Parce qu’elle est radicalement aux antipodes des promesses de la Modernité – qui perçoit les liens uniquement sous l’angle de contraintes à abolir – l’architecture vernaculaire a longtemps été regardée comme un vestige d’archaïsme, et partant déconsidérée.
Vous avez dit « vernaculaire » ?
Le vocabulaire lui-même traduit cette sorte d’infériorisation du local face au global. En effet, le mot vient de l’adjectif latin « vernacŭlus » (« domestique ») lui-même dérivé de « verna » (« l’esclave de la maison, de la famille »).
La définition la plus complète me paraît celle du portail Géoconfluences :
« Vernaculaire est un adjectif désignant la propriété de ce qui appartient à une minorité ou à un groupe culturel local, non dominant, historiquement intégré à un groupe culturel plus vaste. »
Il est par ailleurs intéressant de constater que cet adjectif ne s'utilise qu’à propos de langue et de patrimoine. Géoconfluences poursuit :
« La langue vernaculaire est une langue à diffusion locale ou régionale, par opposition à une langue véhiculaire qui permet la communication avec d'autres groupes. La cohabitation d'un grand nombre de langues vernaculaires et d'une langue véhiculaire est fréquente dans les États issus de la décolonisation comme l'Inde ou de nombreux États africains, mais elle se retrouve aussi dans la plupart des grands États du monde, par exemple le Canada, la Russie, ou la Chine. Cette diversité a pour conséquence positive le multilinguisme, c'est-à-dire la maîtrise d'au moins deux langues, mais parfois plus, par une grande partie de leur population. Rappelons qu'aucune limite claire n'existe, sur le plan linguistique, entre une langue, un dialecte, un parler, ou un patois : on parle au contraire d'un continuum linguistique. »
« Dans le domaine du patrimoine, le patrimoine vernaculaire désigne les éléments caractéristiques d'une culture locale, populaire, non-dominante, celle de l'histoire du quotidien et des pratiques : lavoirs, calvaires, ou petit bâti rural (cadoles, burons...). Ce pan du patrimoine a longtemps été éclipsé par les monuments témoignant du pouvoir et de la culture des élites dominantes (châteaux, palais, cathédrales, abbayes...). L'intérêt porté au patrimoine vernaculaire, ou « petit patrimoine », à partir des années 1960, témoigne de l'élargissement de la définition du patrimoine, au risque d'aboutir aux excès du 'tout-patrimoine" et de la muséification. »
Enfin :
« En sciences du vivant, le nom vernaculaire est le nom utilisé dans le langage courant, par opposition au nom scientifique. Vache est ainsi le nom vernaculaire de la femelle de l'espèce Bos taurus. »
Pour suivre les associations de sens entre local et inférieur, communautaire, vernaculaire et déprécié, il n’est pas inutile de faire un détour par la langue italienne qui, comme on le sait, cohabite très souvent avec ce qu’elle désigne comme dialectes. Or, il y a en italien trois degrés de légitimité linguistique : la « lingua », il « dialetto » (detto anche « volgare ») e il « vernacolare » (detto anche il « vernacolo »).
La définition la plus complète me paraît celle du portail Géoconfluences :
« Vernaculaire est un adjectif désignant la propriété de ce qui appartient à une minorité ou à un groupe culturel local, non dominant, historiquement intégré à un groupe culturel plus vaste. »
Il est par ailleurs intéressant de constater que cet adjectif ne s'utilise qu’à propos de langue et de patrimoine. Géoconfluences poursuit :
« La langue vernaculaire est une langue à diffusion locale ou régionale, par opposition à une langue véhiculaire qui permet la communication avec d'autres groupes. La cohabitation d'un grand nombre de langues vernaculaires et d'une langue véhiculaire est fréquente dans les États issus de la décolonisation comme l'Inde ou de nombreux États africains, mais elle se retrouve aussi dans la plupart des grands États du monde, par exemple le Canada, la Russie, ou la Chine. Cette diversité a pour conséquence positive le multilinguisme, c'est-à-dire la maîtrise d'au moins deux langues, mais parfois plus, par une grande partie de leur population. Rappelons qu'aucune limite claire n'existe, sur le plan linguistique, entre une langue, un dialecte, un parler, ou un patois : on parle au contraire d'un continuum linguistique. »
« Dans le domaine du patrimoine, le patrimoine vernaculaire désigne les éléments caractéristiques d'une culture locale, populaire, non-dominante, celle de l'histoire du quotidien et des pratiques : lavoirs, calvaires, ou petit bâti rural (cadoles, burons...). Ce pan du patrimoine a longtemps été éclipsé par les monuments témoignant du pouvoir et de la culture des élites dominantes (châteaux, palais, cathédrales, abbayes...). L'intérêt porté au patrimoine vernaculaire, ou « petit patrimoine », à partir des années 1960, témoigne de l'élargissement de la définition du patrimoine, au risque d'aboutir aux excès du 'tout-patrimoine" et de la muséification. »
Enfin :
« En sciences du vivant, le nom vernaculaire est le nom utilisé dans le langage courant, par opposition au nom scientifique. Vache est ainsi le nom vernaculaire de la femelle de l'espèce Bos taurus. »
Pour suivre les associations de sens entre local et inférieur, communautaire, vernaculaire et déprécié, il n’est pas inutile de faire un détour par la langue italienne qui, comme on le sait, cohabite très souvent avec ce qu’elle désigne comme dialectes. Or, il y a en italien trois degrés de légitimité linguistique : la « lingua », il « dialetto » (detto anche « volgare ») e il « vernacolare » (detto anche il « vernacolo »).
Vernacolare, più rozzo del volgare
Ainsi à la définition de l’adjectif "vernacolare", on trouve “scritto in vernacolo, nella lingua paesana, in dialetto volgare”
Et pour la définition du substantif “vernacolo”, on trouve “parlata caratteristica di una zona geografica limitata, dalle connotazioni spiccatamente popolari”.
Le développement de la définition est éloquent :
“La parola vernacolo deriva dalla parola latina, “vernāculus”, che significa nativo o indigeno. Idealmente, il vernacolo è il modo in cui le persone comuni parlano tra loro in contesti non formali come a casa. Una lingua volgare (dialetto non standard) è un dialetto nativo o una forma di discorso di persone specifiche o di una regione specifica. Queste lingue sono anche conosciute come lingue etniche e sono più parlate che scritte formalmente e sono endemiche in determinate società. Durante l'Impero Romano, i non nativi di diverse parti del mondo parlavano latino perché non potevano imparare ognuna delle molte lingue che i nativi parlarono nell'impero, e quindi, questa situazione rese il latino un lingua franca e tutte le altre lingue in volgare.”
Et pour la définition du substantif “vernacolo”, on trouve “parlata caratteristica di una zona geografica limitata, dalle connotazioni spiccatamente popolari”.
Le développement de la définition est éloquent :
“La parola vernacolo deriva dalla parola latina, “vernāculus”, che significa nativo o indigeno. Idealmente, il vernacolo è il modo in cui le persone comuni parlano tra loro in contesti non formali come a casa. Una lingua volgare (dialetto non standard) è un dialetto nativo o una forma di discorso di persone specifiche o di una regione specifica. Queste lingue sono anche conosciute come lingue etniche e sono più parlate che scritte formalmente e sono endemiche in determinate società. Durante l'Impero Romano, i non nativi di diverse parti del mondo parlavano latino perché non potevano imparare ognuna delle molte lingue che i nativi parlarono nell'impero, e quindi, questa situazione rese il latino un lingua franca e tutte le altre lingue in volgare.”
Une reconsidération au tournant des années 1960
Dès les années 1960 commence à s’élaborer un discours qui conteste le récit de la modernité, de la standardisation et de la croissance illimitée.
Et c’est dans le cadre de ces approches critique que s’observe un regain d’intérêt pour l’architecture vernaculaire. Un des jalons fondateurs de cette réhabilitation est l’exposition que l’architecte et historien Bernard Rudofsky organise au MOMA en 1964 sous le titre « Architecture sans architecture ». Il y révèle la beauté de constructions autochtones et souvent anonymes, majoritairement rurales, issues du monde entier. Un ouvrage suit en 1966 dans lequel il déclare que “l’histoire de l’architecture, telle qu’écrite et enseignée dans le monde occidental, n’a jamais concerné que quelques cultures sélectionnées”. L’ouvrage a un fort retentissement et est traduit en français en 1977. Le concept est souvent analysé, commenté, interrogé.
Dans un article qu’il rédige pour Le Moniteur en avril 2008, Luc Baboulet, architecte et enseignant écrit : “Dans son acception linguistique courante, le vernaculaire s’oppose au véhiculaire. La langue vernaculaire relève d’une inscription locale – aussi large qu’en soit l’emprise, elle concerne un lieu –, tandis que la langue véhiculaire est celle qui permet de se faire comprendre au-dehors, voire partout. Le rapport du vernaculaire au véhiculaire est donc celui d’une connaissance en profondeur à une compréhension de surface : l’une opère en intensité, l’autre en extension. L’une est l’indice d’une communion au sein d’une culture, l’autre permet la communication entre gens cultivés. De sorte que le véhiculaire s’attache à établir des critères de compréhension entre eux comparables pour les mettre en réseau – network –, tandis que le vernaculaire met en rapport des traits d’expression hétérogènes, cousus ensemble selon les lignes d’un unique motif culturel qu’on appellera territoire – patchwork.”
Et c’est dans le cadre de ces approches critique que s’observe un regain d’intérêt pour l’architecture vernaculaire. Un des jalons fondateurs de cette réhabilitation est l’exposition que l’architecte et historien Bernard Rudofsky organise au MOMA en 1964 sous le titre « Architecture sans architecture ». Il y révèle la beauté de constructions autochtones et souvent anonymes, majoritairement rurales, issues du monde entier. Un ouvrage suit en 1966 dans lequel il déclare que “l’histoire de l’architecture, telle qu’écrite et enseignée dans le monde occidental, n’a jamais concerné que quelques cultures sélectionnées”. L’ouvrage a un fort retentissement et est traduit en français en 1977. Le concept est souvent analysé, commenté, interrogé.
Dans un article qu’il rédige pour Le Moniteur en avril 2008, Luc Baboulet, architecte et enseignant écrit : “Dans son acception linguistique courante, le vernaculaire s’oppose au véhiculaire. La langue vernaculaire relève d’une inscription locale – aussi large qu’en soit l’emprise, elle concerne un lieu –, tandis que la langue véhiculaire est celle qui permet de se faire comprendre au-dehors, voire partout. Le rapport du vernaculaire au véhiculaire est donc celui d’une connaissance en profondeur à une compréhension de surface : l’une opère en intensité, l’autre en extension. L’une est l’indice d’une communion au sein d’une culture, l’autre permet la communication entre gens cultivés. De sorte que le véhiculaire s’attache à établir des critères de compréhension entre eux comparables pour les mettre en réseau – network –, tandis que le vernaculaire met en rapport des traits d’expression hétérogènes, cousus ensemble selon les lignes d’un unique motif culturel qu’on appellera territoire – patchwork.”
Quelques jalons de la connaissance sur l’architecture vernaculaire corse
En 1978 paraît le tome « Corse » de l’Architecture Rurale Française qui fixe « le corpus des genres, des types et des variantes ». Il s’agit d’une restitution des travaux de recherches architecturales et anthropologiques d’Henri Raulin et de Georges Ravis-Giordani où l’on peut lire que « on ne trouve, d’un bout de l’île à l’autre, que des variations sur le même modèle fondamental ».
En 1984, les architectes Paul Casalonga et Xavier Bohl publient U Casamentu anzianu di Corsica, un ouvrage de sensibilisation à la réhabilitation du patrimoine dans lequel ils réalisent un inventaire des modes de construction traditionnels, et donnent un glossaire franco-corse des éléments qui composent les bâtiments.
En 1986, Jean-Baptiste Leccia et Alain Hayot, étudiants à l’Ecole d’architecture de Marseille-Luminy, livrent une recherche sur Habitat et identité locale. La haute vallée du Taravo en Corse-du-Sud. Ils privilégient l’étude morphologique et typologique dans un rapport historique et anthropologique avec le territoire. Ils y relèvent trois types d’habitat : les deux premiers, de rang social modeste, seraient issus des pratiques agro-sylvo-pastorales, « la maison de transhumants » et « la maison de paysans ». Le troisième, « la maison de maître », relève d’une classe sociale plus élevée.
En 1990, Joseph Orsolini, conseiller architecture du Parc Naturel Régional de Corse, publie L’habitat au toit en terrasse. Spécimen de l'architecture paysanne en Corse. Les menuiseries traditionnelles en Corse suivent en 2004. Puis en 2005, ce sera au tour de ses Carnets de campagne, croquis d’architecture rurale de paraître, en deux tomes.
En 2022, l’association U Scoddu s’élance avec un collectif d’architectes, chercheurs et artistes pour Inventorier, Étudier et Transmettre le patrimoine bâti des territoires du Sud de la Corse. Leur nom, ils le tirent d’un proverbe issu de la tradition constructive orale - « Quandu t'ai da fundà a to casa, ghjunghji à u scoddu » / « Si tu dois construire ta maison, fonde-la sur la roche » - qui illustre pour nous la relation particulière qu'entretient l'architecture vernaculaire corse avec son sol.
En 1984, les architectes Paul Casalonga et Xavier Bohl publient U Casamentu anzianu di Corsica, un ouvrage de sensibilisation à la réhabilitation du patrimoine dans lequel ils réalisent un inventaire des modes de construction traditionnels, et donnent un glossaire franco-corse des éléments qui composent les bâtiments.
En 1986, Jean-Baptiste Leccia et Alain Hayot, étudiants à l’Ecole d’architecture de Marseille-Luminy, livrent une recherche sur Habitat et identité locale. La haute vallée du Taravo en Corse-du-Sud. Ils privilégient l’étude morphologique et typologique dans un rapport historique et anthropologique avec le territoire. Ils y relèvent trois types d’habitat : les deux premiers, de rang social modeste, seraient issus des pratiques agro-sylvo-pastorales, « la maison de transhumants » et « la maison de paysans ». Le troisième, « la maison de maître », relève d’une classe sociale plus élevée.
En 1990, Joseph Orsolini, conseiller architecture du Parc Naturel Régional de Corse, publie L’habitat au toit en terrasse. Spécimen de l'architecture paysanne en Corse. Les menuiseries traditionnelles en Corse suivent en 2004. Puis en 2005, ce sera au tour de ses Carnets de campagne, croquis d’architecture rurale de paraître, en deux tomes.
En 2022, l’association U Scoddu s’élance avec un collectif d’architectes, chercheurs et artistes pour Inventorier, Étudier et Transmettre le patrimoine bâti des territoires du Sud de la Corse. Leur nom, ils le tirent d’un proverbe issu de la tradition constructive orale - « Quandu t'ai da fundà a to casa, ghjunghji à u scoddu » / « Si tu dois construire ta maison, fonde-la sur la roche » - qui illustre pour nous la relation particulière qu'entretient l'architecture vernaculaire corse avec son sol.
Une architecture d’avenir ?
Parce que l’architecture vernaculaire reflète une diversité ethnique, sociale et culturelle incroyable ; parce qu’elle est adaptée à son milieu, elle répond parfaitement aux critères d’un urbanisme durable et de la valorisation d’un patrimoine local, elle semble pleine de promesses. En Corse pourtant, du fait de la difficulté d’accès aux matériaux locaux, elle semble encore trop peu mobilisée. Ma tocc’à una nova generazione d’architetetti, d’eletti è di Corsi di fà la rinvivisce.